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Future of Tech | À quand un GAFAM européen ?

 » En France, il est impossible pour un entrepreneur de la tech comme moi d’approcher l’armée. Donc non seulement l’armée ne joue pas le rôle d’accélérateur de technologies et de grand financier au service des entreprises de son pays, comme aux États-Unis, mais elle privilégie même les concurrents étrangers. « 

 

Pour se rendre compte de l’importance qu’ont pris les GAFAM dans notre vie quotidienne, il suffit d’imaginer un monde où elles n’existeraient pas… Que ferions-nous sans Google pour trouver une information, écrire un email ou se déplacer avec un GPS, sans Amazon pour se faire livrer un colis dans notre boîte aux lettres, sans Facebook/WhatsApp pour garder le contact avec nos amis, sans IPhone pour prendre des photos, sans Microsoft Office pour travailler ? Bien-sûr, il y a encore trente ans, nos parents s’en sortaient très bien sans les outils déployés par ces entreprises. Mais nous… ?!

Tout d’abord, je trouve essentiel d’insister sur le fait que les GAFAM, malgré tous les reproches légitimes que nous pouvons leur adresser (situation de monopole, évasion fiscale, risque démocratique, contrainte environnementale) ont changé notre vie ! Google nous a permis d’accéder à une encyclopédie mondiale ; Apple a créé l’écran tactile, l’Internet mobile et l’ordinateur grand public ; Facebook a rassemblé les gens (du moins au début) en leur permettant de communiquer d’un bout à l’autre du monde ; Amazon a industrialisé l’e-commerce ; Microsoft nous a permis à tous de naviguer sur le web sur un écran d’ordinateuret d’utiliser Word, Excel et PowerPoint. Ces entreprises ont créé des technologies ultra performantes et de surcroît hyper accessibles et d’une simplicité d’utilisation quasi enfantine. Elles doivent leur incroyable succès à leur réactivité et à leur capacité à pressentir les envies et les besoins des consommateurs. Elles ne proposent pas seulement un produit, mais un écosystème de solutions innovantes. Elles sont à la fois concurrentes et complémentaires : saviez-vous d’ailleurs qu’en 1997, Microsoft a investi 150 millions de dollars dans Apple, alors en proie à des problèmes financiers importants ? L’année dernière, Google a payé près de 18 milliards de dollars pour être le moteur de recherche de l’Iphone et les données du cloud d’Apple sont hébergées en partie sur les serveurs d’Amazon.

 

L’armée : un fonds d’investissement qui ne dit pas son nom

J’estime qu’une des raisons de leur succès repose aussi sur l’immense soutien financier de l’État américain et notamment de l’armée américaine. Beaucoup l’ignorent en France, mais le ministère de la Défense dispose là-bas d’une agence de recherche baptisée la DARPA (Defense Advanced Research Projects Agency), qui finance très en amont, et à coups de milliards de dollars, la recherche sur des innovations de rupture. Sans elle, pas de projet SpaceX, ni d’Internet ou de GPS. C’est un peu comme un fonds d’investissement américain qui ne dirait pas son nom. En France aussi, le ministère des Armées investit dans la tech mais à une échelle infiniment plus petite. Quand la DARPA a annoncé en 2018 investir 2 milliards de dollars dans l’intelligence artificielle, l’armée française en annonçait 100 millions, soit vingt fois moins… 

À la veille des élections européennes pourquoi aucun candidat ne milite-t-il pour faire émerger un GAFAM européen ? Par exemple en créant une DARPA européenne ? En France, il est impossible pour un entrepreneur de la tech comme moi d’approcher l’armée. Donc non seulement l’armée ne joue pas le rôle d’accélérateur de technologies et de grand financier au service des entreprises de son pays, comme aux États-Unis, mais elle privilégie même les concurrents étrangers. Un exemple :  l’essentiel des drones désormais utilisés par les forces de l’ordre lors des manifestations sont Chinois. Pourtant, plusieurs entreprises françaises innovantes et au savoir-faire reconnu en la matière ont répondu à l’appel d’offre publié par Beauvau en 2020 portant sur l’achat de plus de 600 drones. Mais au motif qu’elles étaient légèrement plus chères, elles se sont fait retoquer. Et les autorités françaises ont préféré confier à l’entreprise chinoise DJI, déjà accusée en Europe d’espionnage, le soin de nous filmer. On marche sur la tête…  

 

Vivre sans Google ? 

Ceci étant dit, il ne s’agit pas d’être un admirateur béat des GAFAM, car leur toute-puissance nécessite tout de même d’être encadrée. Elle pose, d’ores et déjà, de véritables problèmes de souveraineté numérique. Ce concept semble lointain mais il est très concret : il renvoie à la capacité d’un pays d’être ou non en possession des données numériques de ses citoyens ou de ses entreprises. Aujourd’hui toutes ces données sont contrôlées par les géants américains. Nous, Européens, n’avons pas notre libre-arbitre en matière de gestion et de traitement de nos données, nous sommes pieds et poings liés à des acteurs étrangers. Or une entreprise qui utilise Google Drive donne à Google l’accès à ses contrats, ses clients, son activité. Si demain un concurrent américain veut la racheter, il peut s’appuyer sur ces données. Les Russes, eux, ont leur propre web, les Chinois aussi, les Américains évidemment, mais pas nous, Européens. 

Pire, le scénario qui consisterait à ce que la France soit possiblement déconnectée un jour de l’Internet mondial n’a rien de surréaliste. D’aucuns dirons qu’il est totalement impossible que les États-Unis, notre allié historique, puisse nous faire cela ? Pas si sûr si l’on se souvient des mots très durs de Donald Trump expliquant qu’un pays qui n’honore pas sa participation financière à l’OTAN pourrait ne pas bénéficier de la protection de ses partenaires… 

Une épée de Damoclès est donc au-dessus de nous. Impossible alors de travailler, de vivre sans Google ou Gmail. Comme le dit l’économiste Jacques Attali, « une règle saine est de ne pas dépendre de plus de 20% d’un fournisseur, pour quoi que ce soit ». Nous en sommes très loin puisque 92 % de nos datas européennes sont hébergées aux États-Unis. 

Nous, Européens, devons donc impérativement reprendre la main sur nos données. C’est une question clef, insuffisamment abordée à mes yeux dans le débat politique français et européen.

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