Rechercher

French Tech face à la taxe Zucman : un équilibre complexe à trouver entre fiscalité et innovation

French Tech face à la taxe Zucman : un équilibre complexe à trouver entre fiscalité et innovation - gettyimages 2193584364
Source : Getty Images
Présentée comme une potentielle solution face à la charge de la dette française, la taxe Zucman suscite de vifs débats au sein de l’échiquier politique. En première ligne, les leaders de start-up françaises, dont certains désapprouvent fermement sa mise en application.

La taxe Zucman est devenue, en l’espace de quelques mois à peine, l’un des sujets les plus débattus de France. Source de franches tensions entre les différents partis politiques, elle cristallise également une rancœur chez une grande partie des entrepreneurs de la French Tech. Proposée par l’économiste Gabriel Zucman, elle consisterait à prélever 2 % par an sur les patrimoines financiers supérieurs à 100 millions d’euros, afin de rapporter environ 15 milliards d’euros supplémentaires au budget de l’État.

 

Une taxe impossible à assumer

Malgré leur jeunesse, certaines start-up sont éligibles à la taxe Zucman en raison de leur valorisation, qui dépasse parfois les 100 millions d’euros grâce aux levées de fonds et aux investisseurs étrangers. C’est le cas de Mistral AI, fondée par Arthur Mensch, Guillaume Lample et Timothée Lacroix en 2023, aujourd’hui valorisée à 11,7 milliards d’euros et perçue comme référence européenne en termes d’intelligence artificielle.

Malgré cette valorisation spectaculaire pour une société créée il y a seulement deux ans, il serait impossible pour Mistral d’assumer la taxe. Payer les 2 % d’impôt annuel (qui équivaut pour la première décacorne française à 25 millions d’euros) est infaisable d’après l’un de ses fondateurs, Arthur Mensch, qui expliquait au journal de 20 h de France 2 le 16 septembre : « On fait des levées de fonds, ça valorise l’entreprise, mais ça ne correspond pas nécessairement à une liquidité ».


« Aucun dirigeant d’entreprise tech serait en mesure de payer cette taxe sans mettre l’avenir de son entreprise en péril, confirme Fabrice Pelosi, PDG de Cignero, à Forbes. Le message passé découragera la prise de risque, puisque tout succès – virtuel financièrement pendant des années – sera systématiquement sanctionné par un impôt impayable. »

En raison de cette pénalité, les entrepreneurs pourraient être tentés de s’installer hors de l’Hexagone, dans des pays où la fiscalité leur serait plus favorable. La crainte serait d’engendrer une perte d’attractivité de la France qui mettrait donc à mal l’innovation et la création de nouvelles entreprises.

« Les dirigeants des plus grosses entreprises technologiques tricolores ne pourraient simplement pas payer une taxe Zucman et son application aurait des conséquences mortifères pour la French Tech pour de nombreuses raisons: par exemple  les entrepreneurs sont très mobiles géographiquement et donc iront simplement créer dans des contrées qui leur permet de vivre de leur activité », estime Fabrice Pelosi.

Par ailleurs, depuis quelques jours, la réaction dépasse les 1 800 ultra-riches initialement visés : de nombreux possédants manifestent leur hostilité à la taxe, perçue comme une menace fiscale généralisée.

 

Des entrepreneurs favorables à la taxe Zucman

Certains fondateurs de la French Tech affichent pourtant une position inverse. Armand Thiberge (Brevo), Marc Batty (Dataiku) et Jean-Baptiste Rudelle (Criteo) défendent la taxe dans une tribune publiée le 21 septembre dans La Tribune Dimanche.  Ils y affirment qu’elle vise à « établir une meilleure équité entre les revenus du travail et ceux du capital ».

Ils suggèrent des mécanismes d’adaptation : transfert temporaire des droits de vote des actions, options de rachat, afin de garantir le paiement sans déstabiliser la gouvernance. Ces propositions visent à limiter le risque de dilution des fondateurs dans le capital de leur entreprise. Pour rendre cette « taxe applicable et crédible », les 3 entrepreneurs présentent diverses modalités de rachat progressif et des garde-fous sur la gouvernance.

Ces mêmes entrepreneurs rappellent également que la Californie, « épicentre mondial de l’entrepreneuriat », connaît une fiscalité plus lourde qu’en France, mais reste le berceau de la Silicon Valley.

Malgré tout, ce parti-pris chez les jeunes pousses françaises reste isolé. La plupart des startuppers déplorent le fait que la taxe Zucman confonde patrimoine et valorisation d’entreprise.

 

Trouver un équilibre entre justice fiscale et attractivité

Invité d’honneur du FDDAY à Paris ce 17 septembre, Gabriel Zucman a cherché à défendre sa proposition malgré les risques de délocalisation des entreprises :

« Savez-vous quand Bill Gates a fondé Microsoft ? En 1975. À l’époque, l’impôt sur les sociétés était de 50 %, l’impôt sur le revenu de 70 %, l’impôt sur les successions, 77 %. Est-ce que ça a découragé Bill Gates d’innover ? Non. Plus largement, les États-Unis ont appliqué pendant les décennies d’après-guerre une fiscalité progressive très élevée sur les hauts revenus, les patrimoines et le capital. Est-ce que ça a tué l’innovation ? Pas du tout. »

Lors d’une interview au Monde parue le 11 septembre, Gabriel Zucman a esquissé une solution pour les startuppers visés par la taxe. Il suggérait qu’ils puissent s’acquitter de l’impôt en nature, en apportant des titres de leur entreprise que l’État pourrait conserver ou revendre – par exemple aux salariés – afin d’éviter les cessions forcées à des investisseurs étrangers. 

Cette proposition est toutefois très compliquée à mettre en œuvre, car elle suppose une gestion active et risquée du capital par l’État, pose des problèmes de valorisation des titres non cotés et pourrait créer des conflits de gouvernance si l’État devenait actionnaire d’entreprises privées innovantes.

Arthur Mensch, de son côté, plaide pour un compromis :

« Je pense qu’on peut trouver des solutions qui répondent au besoin de justice fiscale, qui est nécessaire, et qui permettent néanmoins à la France de rester aussi compétitive qu’elle l’est aujourd’hui dans l’entreprenariat. »

Sur le plan politique, le Modem remet sur la table une alternative : un impôt sur la « fortune improductive », qui exclurait les actifs utiles à l’économie et se rapprocherait de l’ancien ISF.

Enfin, il faut rappeler qu’un doute pèse aussi sur la constitutionnalité de la taxe Zucman. En effet, taxer des plus-values dites latentes – c’est-à-dire des gains encore “sur le papier” mais non encaissés – revient à imposer un patrimoine sans liquidité. Or, en droit fiscal français, l’impôt doit en principe correspondre à des ressources réellement disponibles. Cette limite juridique, déjà pointée lors des précédents débats, pourrait fragiliser la réforme devant le Conseil constitutionnel.

Enfin, afin d’éviter ces conséquences néfastes pour la French Tech, certains députés du Parti Socialiste réclament une taxe Zucman modifiée qui exclurait les start-up. Une dualité entre rééquilibrage fiscal et protection de l’innovation qui risque de susciter de nouveaux débats.

 


À lire aussi : Les tarifs des assurances devraient augmenter en 2026 à cause de la multiplication des catastrophes climatiques – Forbes France

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC