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Fournisseurs : le nouveau maillon faible des entreprises ?

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Fournisseurs : le nouveau maillon faible des entreprises ?

Et si votre prochaine crise ne venait ni de vos équipes, ni de vos clients… mais de vos partenaires ?

Une contribution de Mélanie Medjo Ze, Head of Marketing and Customer Experience chez Provigis

Cyberattaque via un sous-traitant, retrait d’un fournisseur non conforme, défaillance financière d’un prestataire clé : les signaux se multiplient, les incidents aussi. Pourtant, la majorité des entreprises continuent à penser le risque comme un problème interne.

Mais dans une économie interconnectée, mondialisée, interopérable, le vrai point de rupture ne se situe plus au cœur de l’organisation, il est à ses marges. Et ce que l’on croit sous contrôle peut, en réalité, être une faille béante.


Dans cette tribune, nous posons une question simple : l’entreprise d’aujourd’hui peut-elle encore ignorer ce qu’elle ne maîtrise pas directement ?

 

Quand le fournisseur devient une menace systémique

 

Pendant longtemps, les fournisseurs ont été considérés comme des partenaires d’exécution. On les choisissait pour leur prix, leur fiabilité, leur capacité à tenir les délais. On signait un contrat, on cochait quelques clauses de conformité, et on avançait.

Mais ce modèle est en train d’exploser.

Aujourd’hui, les tiers ne sont plus périphériques : ils opèrent des fonctions critiques. Ils hébergent des données sensibles, codent des interfaces, gèrent des flux logistiques en temps réel, conditionnent le respect de vos engagements RSE, ou assurent la continuité de vos services numériques.

Et lorsqu’ils flanchent, c’est toute la chaîne de valeur qui en subit l’impact.

En 2023, plusieurs groupes européens ont dû interrompre leur activité suite à des cyberattaques indirectes, menées via des prestataires IT mal sécurisés. Le point d’entrée était externe. Le dommage, lui, était pleinement interne.

Même logique côté solvabilité. L’effondrement brutal d’un fournisseur stratégique, parfois une PME très spécialisée peut mettre en danger un acteur bien plus grand. Non pas à cause d’un défaut de trésorerie, mais parce qu’aucune solution de repli n’avait été anticipée.

Ajoutons à cela les nouvelles exigences ESG, et le tableau est complet.

Il suffit d’un fournisseur non aligné avec les critères environnementaux ou sociaux pour fragiliser une marque entière : retrait d’un label, sanction réglementaire, crise de réputation.

Ces exemples ne relèvent plus de l’exception. Ils dessinent le nouveau visage du risque d’entreprise : diffus, exogène, mais potentiellement dévastateur.

 

Pourquoi les entreprises n’en font pas (encore) assez

 

Face à cette montée en puissance du risque tiers, on pourrait s’attendre à un changement de paradigme. À une prise de conscience stratégique. À une évolution des pratiques. En réalité, la plupart des entreprises en sont encore à un stade artisanal.

Elles collectent, archivent, empilent des documents contractuels ou réglementaires. Elles envoient des questionnaires génériques, demandent des attestations à des fréquences fixes, puis rangent les réponses dans un dossier partagé ou un logiciel de gestion.

Mais à quoi sert une information que personne n’exploite ? Que personne ne croise ? Que personne n’actualise ?

La réalité est plus brutale : dans une majorité d’organisations, le contrôle fournisseur se limite à une logique documentaire. On ne mesure pas le risque, on se contente de vérifier la présence d’un fichier. On ne contextualise pas, on uniformise. On ne priorise pas, on traite tout le monde pareil, que l’on parle du fournisseur de café ou du prestataire cloud.

Or, cette approche produit une double illusion. L’illusion de conformité, parce que tout est formellement “rempli”. L’illusion de pilotage, parce qu’on a “quelque chose” à montrer à l’audit.

Mais ni l’une ni l’autre ne permettent de sécuriser une chaîne de valeur exposée à la complexité du réel.

Ce décalage entre le volume d’information collecté et le niveau d’analyse réel est devenu l’un des angles morts les plus dangereux du pilotage d’entreprise.

 

Ce qu’il faut changer : d’un reporting passif à une résilience active

 

Le monde a changé, mais les réflexes n’ont pas suivi. Pour la plupart des organisations, la gestion des risques fournisseurs reste ancrée dans une culture du reporting : on coche des cases, on valide des pièces, on prépare l’audit.

Mais cette logique défensive est dépassée.

Aujourd’hui, il ne s’agit plus de montrer qu’on contrôle. Il faut vraiment piloter.

Cela commence par une rupture : traiter différemment les fournisseurs critiques. Tous les tiers ne présentent pas le même niveau d’exposition, ni les mêmes conséquences en cas de défaillance. Une cartographie précise, dynamique, hiérarchisée est indispensable. C’est elle qui permet d’adapter l’effort de contrôle, d’alléger là où c’est possible, de renforcer là où c’est vital.

Ensuite, il faut dépasser la collecte pour entrer dans l’analyse intelligente. Cela suppose des outils capables de lire les documents déposés, d’en extraire automatiquement les données structurantes, de détecter les écarts, les absences, les incohérences, et de relier ces données à des référentiels réglementaires ou internes.

Ce type d’approche transforme la relation fournisseur : on passe d’une logique d’empilement à une logique d’interprétation. On ne se demande plus si un document est là, mais ce qu’il dit réellement, et ce qu’il implique pour l’entreprise.

Enfin, il faut réconcilier les métiers autour d’un socle commun. Le juridique, l’IT, les achats, la RSE : chacun a ses exigences, mais tous partagent la même vulnérabilité si les flux sont silotés. C’est là que les plateformes spécialisées apportent leur valeur. Elles ne font pas tout, mais elles rendent possible une gouvernance transversale, contextualisée, exploitable.

Ce changement n’est pas une surcouche. C’est un virage stratégique. Car dans un monde où les crises sont systémiques, la résilience n’est pas un supplément d’âme, c’est une assurance de survie.

 

Le vrai pouvoir, c’est de savoir où l’on est vulnérable

 

Le contrôle des fournisseurs n’est plus une formalité administrative, ni un enjeu de conformité isolé. C’est devenu un levier de résilience, un indicateur de maturité, et parfois même un révélateur de gouvernance.

Les entreprises qui traverseront les crises à venir, qu’elles soient cyber, climatiques, économiques ou réglementaires, ne seront pas forcément les plus grandes, ni les plus rentables.

Ce seront celles qui auront su maîtriser les dépendances invisibles, fiabiliser leurs flux critiques, cartographier leurs vulnérabilités.

 

Piloter ses fournisseurs, aujourd’hui, c’est piloter ses marges, sa réputation, sa soutenabilité.

Et si vous ne savez pas précisément qui, parmi vos tiers, peut faire tomber votre entreprise, il est peut-être temps de reprendre le contrôle.

 


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