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Fin de la « taxe Apple » sur l’App Store ?

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Logo Apple. | Source : Getty Images

Le 30 avril 2025, Apple a subi un revers juridique majeur lorsque la juge fédérale américaine Yvonne Gonzalez Rogers a statué que le géant technologique ne pouvait plus imposer sa fameuse « taxe Apple » aux développeurs qui redirigent les utilisateurs vers des systèmes de paiement externes.

 

Cette décision historique, issue du long conflit opposant Epic Games à Apple, modifie considérablement le rapport de force sur les marchés numériques et encourage les développeurs qui critiquent depuis longtemps la commission de 27 % prélevée par Apple, qu’ils jugent injustifiée et anticoncurrentielle.

La première réaction de Spotify en 2019 contre les politiques d’Apple s’est avérée prophétique. Loin d’être simplement « aigrie », la plateforme avait identifié un problème fondamental : Apple était à la fois concurrent et gardien, faussant la concurrence en imposant des frais élevés à ses rivaux. Cette décision confirme ce que les développeurs affirment depuis des années, à savoir que les politiques restrictives d’Apple freinent l’innovation plutôt que de protéger les consommateurs.


 

La réglementation mondiale rattrape son retard

La dernière décision de justice américaine est loin d’être un revers isolé pour Apple. Elle s’inscrit dans une vague mondiale de contrôles réglementaires visant à remettre en cause la position dominante des grandes plateformes technologiques.

La Corée du Sud a ouvert la voie en 2022 en obligeant Apple et Google à autoriser les méthodes de paiement tierces dans les applications mobiles. L’Europe a amplifié cette dynamique avec la loi sur les marchés numériques, entrée en vigueur en 2024, qui classe explicitement Apple comme un « contrôleur d’accès » et l’oblige à ouvrir sa plateforme à d’autres boutiques d’applications, au sideloading et aux paiements tiers.

Cet alignement réglementaire international marque la fin d’une époque pour Apple, dont le modèle économique a précisément prospéré grâce à la fragmentation des politiques mondiales. Apple a habilement tiré parti des différences entre les juridictions pour maintenir un contrôle strict sur son écosystème, générant ainsi des milliards de revenus. Cependant, les régulateurs du monde entier s’accordent désormais sur le principe selon lequel le contrôle d’une plateforme ne doit pas équivaloir à un contrôle monopolistique.

 

La Chine : dernier bastion d’Apple ?

La Chine est l’un des marchés les plus importants et les plus lucratifs d’Apple, générant environ 48 milliards de yuans (environ 5,9 milliards d’euros) rien qu’avec les commissions de l’App Store en 2023. Pourtant, paradoxalement, la Chine subit l’application la plus stricte des restrictions d’Apple : pas de sideloading, pas de moyens de paiement tiers et une commission inébranlable de 30 %.

Les tensions ont atteint leur paroxysme en 2024 lorsque Apple a menacé de supprimer des applications très populaires telles que WeChat et Douyin pour avoir contourné son système de paiement, ce qui a suscité une vague d’indignation sur les réseaux sociaux chinois. Début 2025, Pékin a réagi de manière ferme en convoquant Apple pour des discussions, un développement significatif indiquant que le gouvernement chinois pourrait ne plus tolérer les politiques inflexibles d’Apple.

Les fréquentes visites diplomatiques de Tim Cook en Chine, plus de 20 depuis 1996, dont quatre rien que l’année dernière, soulignent l’importance cruciale de la Chine pour la stratégie d’Apple. Les relations qu’il a soigneusement entretenues ont protégé Apple d’une grande partie de la pression réglementaire à laquelle les autres géants technologiques américains ont été confrontés dans ce pays. Cependant, cette protection semble plus fragile que jamais.

Comme l’écrit la juge Yvonne Gonzalez Rogers, le témoignage du vice-président financier Alex Roman était « truffé de fausses déclarations et de mensonges éhontés » sur la question de savoir « quand » Apple avait décidé d’imposer une commission de 27 % sur les transactions sortantes. Apparemment, Apple a irrité la juge américaine et les autorités réglementaires derrière elle. C’est également un signal d’alarme pour les autres régulateurs nationaux à travers le monde qui ont fait confiance à Apple.

Alors que le consensus mondial contre les politiques d’Apple se renforce, la Chine pourrait bientôt passer du statut de marché le plus conforme à Apple à celui de plus grand casse-tête réglementaire.

 

Le démantèlement de la stratégie mondiale d’Apple

Le modèle économique d’Apple repose sur une navigation prudente dans les paysages géopolitiques. En se positionnant comme un acteur économique clé aux États-Unis et en Chine, Apple a évité pendant des années toute surveillance stricte. Cependant, la décision américaine d’avril 2025 et des réglementations similaires en Europe et en Corée du Sud ont perturbé cet équilibre fragile.

La loi sur les marchés numériques ne représente ni plus ni moins qu’un changement de régime. La classification d’Apple comme « contrôleur d’accès » par l’Europe a un poids considérable, car elle impose des sanctions importantes (jusqu’à 10 % du chiffre d’affaires mondial) en cas de non-respect. Ce contexte juridique laisse peu de marge de manœuvre à Apple. Le géant de la technologie ne peut plus invoquer la sécurité ou l’expérience des utilisateurs pour justifier ses contrôles stricts.

 

La fin d’une ère

Au départ, les contrôles rigoureux d’Apple étaient défendables. L’App Store, alors naissant, offrait une expérience sécurisée et standardisée sur un marché en plein essor. Cependant, au fil du temps, ce qui était au départ une mesure de protection s’est transformé en une source de profits. L’App Store s’est mué en un péage numérique, où les développeurs étaient confrontés à un choix cornélien : payer des commissions élevées ou perdre l’accès à la vaste base d’utilisateurs d’Apple.

Cette transformation est devenue de plus en plus claire. Les récentes mesures juridiques et réglementaires témoignent d’un changement de perception plus large parmi les décideurs politiques, les développeurs et les consommateurs. Les arguments avancés par Apple pour se défendre (confidentialité, sécurité et expérience utilisateur) perdent de leur crédibilité, car les régulateurs reconnaissent que ces arguments masquent souvent des tendances monopolistiques plutôt qu’une véritable protection des consommateurs.

 

Que va-t-il se passer ensuite ?

L’emprise d’Apple ne disparaîtra pas du jour au lendemain. Son App Store reste incroyablement rentable et profondément intégré à des milliards d’appareils dans le monde entier. Cependant, les hypothèses qui sous-tendent la domination d’Apple, à savoir que personne ne pourrait contester avec succès ses pratiques, sont fondamentalement remises en cause.

Avec des marchés importants comme les États-Unis, l’Union européenne, la Corée du Sud et le Japon qui ont déjà mis en œuvre des changements, et la Chine qui laisse entrevoir des mesures potentielles, Apple est confronté à une pression sans précédent. La question n’est plus de savoir si Apple s’adaptera, mais à quelle vitesse et dans quelle mesure ce changement aura lieu. Ce moment ne représente pas seulement la fin de la « taxe Apple », mais un changement de pouvoir plus large, qui déterminera qui contrôle l’infrastructure numérique et qui en tire profit.

La résistance d’Apple devrait se poursuivre, motivée par des impératifs financiers et l’inertie institutionnelle. Cependant, l’issue semble inévitable. Encouragés par leurs récents succès, les développeurs du monde entier se font de plus en plus entendre et remettent en question les arguments d’Apple en matière de sécurité et de contrôle qualité. Les régulateurs sont enhardis et ne sont plus disposés à laisser les entreprises exercer un contrôle sans limites sur les marchés numériques.

En fin de compte, la fameuse « taxe » d’Apple sur les développeurs semble intenable. Alors que les réglementations mondiales s’alignent contre les comportements monopolistiques, Apple doit repenser fondamentalement ses stratégies commerciales. L’ère des péages numériques incontrôlés touche à sa fin, laissant Apple avec moins de refuges pour appliquer ses politiques strictes. La « taxe Apple » n’a plus nulle part où se cacher.

 

Une contribution de Vivian Toh pour Forbes US, traduite par Flora Lucas


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