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Faut-il toujours chercher des connaissances à l’extérieur de l’entreprise pour une R&D innovante ? L’exemple du secteur du pétrole et du gaz

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En management de l’innovation, il existe un vieux dilemme : faut-il chercher des connaissances nouvelles à l’externe, ou bien au contraire capitaliser sur les connaissances internes de l’entreprise ? Plutôt que de segmenter les projets d’innovation entre ces deux volets, nos travaux proposent une voie originale : favoriser des combinaisons novatrices d’expertises déjà existantes dans l’entreprise.

 

Par exemple, face à l’arrivée d’une nouvelle technologie, le département R&D doit se demander comment ladite technologie pourrait permettre de combiner de façon originale des expertises déjà maîtrisées par l’organisation. Cette capacité d’innovation est mesurable à partir du portefeuille de brevets de l’entreprise, et nous proposons d’étudier ici l’exemple des leaders de l’industrie du pétrole et du gaz.

 

Le dilemme de l’accès à de nouvelles connaissances pour l’innovation :

Les théories de la ressource (RBV), ou du renouveau stratégique, appellent à un renouvellement constant des connaissances de l’organisation pour (1) favoriser le développement d’une capacité stratégique distinctive et (2) faire face aux changements technologiques. Ainsi, l’innovation passerait nécessairement par des connaissances nouvelles : les entreprises doivent acquérir et développer des connaissances sur l’IA, l’ordinateur quantique ou l’industrie 4.0 pour pouvoir innover dans ces domaines.

Pourtant, une étude récente a montré que, lorsqu’un inventeur accède à de nouvelles connaissances pour développer une invention, cet effort conduit à une invention plus créative, mais avec des retombées économiques moindres. À l’inverse, si un inventeur capitalise sur des connaissances qu’il maîtrise déjà, la valeur économique de l’invention sera plus élevée, mais son originalité plus faible. Ce résultat semble logique : il faut une certaine expertise, une connaissance du sujet, des idées d’applications pour innover. Il est par exemple difficile d’envisager de développer une raffinerie qui capitalise sur les apports de l’industrie 4.0, sans une expertise préalable sur le fonctionnement même d’une raffinerie.

Ainsi, la capacité d’innovation d’une organisation ne réside pas uniquement sur sa capacité à accéder (ou absorber) de nouvelles connaissances, mais aussi sur ses expertises préexistantes. Les théories de l’ambidextrie proposent de gérer ce dilemme en séparant les équipes de R&D : une partie des équipes d’innovation se concentrent sur l’exploitation des expertises de l’organisation, et l’autre sur l’exploration de nouvelles connaissances. Mais comment aller plus loin en combinant expertises préalables et connaissances nouvelles ?

 

De l’absorption de connaissances externes à la recomposition des expertises de l’entreprise :

Dans notre étude récente sur les brevets du secteur du pétrole et du gaz menée avec Pascal Le Masson et Benoît Weil en partenariat avec Total SA, nous avons développé une méthode pour mieux comprendre comment les leaders de ce secteur combinent leurs expertises, avec des connaissances nouvelles.

Lorsqu’une entreprise dépose un nombre important de brevets, ces derniers peuvent permettre de distinguer les connaissances utilisées ou nouvellement acquises par celle-ci. En effet, les brevets sont classés par les examinateurs brevets dans des Classes Technologiques : un classement fin et rigoureux des connaissances. En nous appuyant sur la théorie des graphes et en exploitant les données de classes technologiques d’environ 50,000 brevets, nous pouvons différencier plusieurs situations :

  • Soit l’entreprise capitalise principalement sur des connaissances nouvelles dans le cadre d’une invention, on parlera de régime d’absorption;
  • Soit l’entreprise réutilise uniquement des connaissances préexistantes qu’elle a déjà combinées entre-elles pour une invention, on parlera de régime de raffinement;
  • Soit l’entreprise génère de nouvelles combinaisons de connaissances préexistantes, et ce potentiellement avec des connaissances nouvelles, pour concevoir une invention, on parlera alors de régime de recomposition.

Mais comment les entreprises du secteur et du gaz s’inscrivent-elles dans ces régimes ? Lesquels favorisent les approches les plus créatives en matière d’innovation ?

 

La recomposition des expertises pour favoriser des approches plus innovantes

Le secteur du pétrole et du gaz est soumis à une forte pression pour développer des solutions créatives pour (1) lutter contre la baisse de la quantité d’hydrocarbures disponibles, (2) faire face aux risques de sécurité pour l’humain et l’environnement, et (3) relever le défi de la diversification vers davantage d’énergies renouvelables et alternatives.

Nos analyses montrent pourtant que 40% des inventions déposées par les principales entreprises du secteur s’appuient sur une logique de raffinement de leurs connaissances préexistantes. En utilisant une mesure du potentiel créatif de ces inventions, il apparaît que ce régime est, logiquement, celui qui favorise le moins des inventions créatives. Parmi les plus grandes entreprises du secteur, Chevron et Royal Dutch Shell apparaissent comme celles qui s’appuient le plus sur ce régime, pour plus de 60% de leurs inventions.

Par ailleurs, également 40% des inventions déposées s’appuient sur une logique d’absorption, c’est-à-dire l’intégration simple de connaissances nouvelles dans l’organisation. Exxon Mobil (env. 60%) et BP (env. 50%) sont les entreprises les plus actives sur ce régime. Il conduit à des résultats en matière de créativité plus élevés que le régime de raffinement, mais ses performances restent limitées. On peut qualifier les entreprises qui s’appuient sur ce de fast-followers : elles capitalisent principalement sur des combinaisons créatives de connaissances éprouvées dans d’autres industries ou chez leurs concurrents, limitant les taux d’échecs lors de leur intégration.

Enfin, c’est le régime de recomposition, bien qu’il soit le régime le moins utilisé par ces les principaux acteurs du secteur, qui conduit aux résultats les plus probants en matière de créativité. Même s’il  ne représente que 5% de leurs inventions totales, TOTAL et BP sont leaders dans cette catégorie. Dans ce régime, l’entreprise est capable de combiner de façon novatrice des expertises préexistantes qui n’ont jamais été combinées par le passé. À titre d’exemple, Total SA a récemment développé un programme d’innovation sur l’Autonomous Underwater Vehicle (AUV) : un drone sous-marin autonome qui permet d’analyser les conduites sous-marines de deep offshore. Ce programme d’innovation permet à la fois de combiner des expertises variées de Total SA en matière de captation par imagerie (scanner laser), détection de la protection contre la corrosion, mais également de les combiner pour la première fois au sein d’un même projet en capitalisant sur une connaisse nouvelle : les drones sous-marins.

 

Plaidoyer pour un pilotage de la R&D qui favorise la rencontre d’expertises variées

Ainsi la question n’est plus seulement de chercher (ou non) des connaissances en externe pour booster l’innovation au sein de la R&D, mais devient plutôt quelle connaissance nouvelle absorber ou développer pour combiner des expertises distinctives préexistantes dans l’organisation ? Cela plaide pour davantage de collaborations entre les business units et les différents départements de R&D d’une même organisation, en particulier dans le secteur du pétrole et du gaz réputé siloté. Répondre à cette question va également de pair avec des experts possédant des expertises variées et multiples. Cela plaide également pour davantage de rencontres entre experts issus de domaines de compétences éloignés au sein d’une même entreprise ce qui peut passer par des collages d’experts. Une piste pourrait également être de favoriser des collaborations externes avec des universités ou des partenaires industriels tout en capitalisant sur plusieurs compétences éloignées entre-elles de l’organisation.

 

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