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Exportations, inflation, fracture européenne… les 5 conséquences d’une paix tarifaire sous pression

Exportations, inflation, fracture européenne : les 5 conséquences d’une paix tarifaire sous pression
Exportations, inflation, fracture européenne : les 5 conséquences d’une paix tarifaire sous pression

En acceptant un tarif moyen de 15 % sur ses exportations vers les États-Unis, l’Union européenne a évité une guerre commerciale frontale avec Donald Trump. Mais derrière cette concession politique se dessinent déjà les premières conséquences économiques, industrielles et géopolitiques. Voici cinq répercussions majeures à surveiller dans les mois à venir.

 

Les négociations ont enfin abouti. Ce dimanche 27 juillet, lors d’une rencontre à Turnberry (Écosse), Donald Trump et Ursula von der Leyen ont annoncé un accord fixant un droit de douane unique de 15 % sur près de 70 % des biens européens exportés vers les États‑Unis, notamment dans l’automobile, les semi‑conducteurs et les produits pharmaceutiques. Si ce taux remplace des menaces précédentes de 30 à 50 %, des questions subsistent quant à l’application réelle de ces surtaxes et à leurs conséquences économiques.

 


1. Des exportations européennes pénalisées sur le marché américain

Avec un tarif moyen de 15 %, les exportations européennes deviennent moins compétitives face aux produits locaux ou d’autres partenaires des États-Unis bénéficiant de régimes plus favorables, à l’image du Royaume-Uni. Avant cet accord, le taux moyen de droits à l’importation appliqué par les États-Unis sur les produits européens était très bas, autour de 2 % selon les données de l’OMC. Appliquer un tarif fixe de 15 % représente donc une hausse spectaculaire qui diminue directement la compétitivité des produits européens.

Certains secteurs, comme l’automobile, les cosmétiques, le luxe ou les équipements industriels, sont particulièrement exposés. Par exemple, l’industrie automobile européenne est frappée de plein fouet par un surplus de droits, avec un tarif global de 27,5 % appliqué depuis avril 2025. Si l’accord trouvé le 27 juillet ramène ce taux à 15 %, les constructeurs restent très vulnérables. Une majoration substantielle des coûts sur le marché américain peut pousser les importateurs à privilégier des fournisseurs de pays non européens, comme la Corée ou le Japon, réduisant ainsi les volumes exportés par l’UE sur son premier marché export. Les PME exportatrices, en particulier, risquent de perdre des parts de marché faute de marges suffisantes pour absorber le surcoût.

 

2. Une pression inflationniste alimentée par les droits de douane

Les hausses de tarifs se traduiront inévitablement par une augmentation des prix. Une reconfiguration des chaînes d’approvisionnement devra être mise en place, les entreprises qui voudront contourner les droits de douane devant se fournir ailleurs, ce qui impliquerait des frais de transition et des produits moins adaptés ou plus chers que ceux importés d’Europe. Les producteurs européens, eux, devront rogner sur leurs marges ou répercuter les coûts, ce qui impactera l’offre.

Aux États-Unis, les consommateurs paieront plus cher pour les produits importés, notamment dans les secteurs du luxe, de l’alimentaire ou de la santé. Même si ces droits de douane ciblent des produits importés, ils risquent de créer un effet en cascade sur l’ensemble du système de production et de consommation américain, ce qui alimenterait une hausse généralisée des prix, donc une pression inflationniste. Dans un contexte déjà tendu, une inflation importée des deux côtés de l’Atlantique est donc à craindre.

 

3. Des reconfigurations industrielles à prévoir

Les grandes entreprises chercheront à contourner ces nouvelles barrières douanières. Un produit ou une pièce importée depuis l’Europe, soudainement taxé à 15 %, risque de modifier profondément la structure de coûts des entreprises américaines et européennes qui dépendent de ces échanges. Cela forcera les industriels à relocaliser des unités de production à l’intérieur des États-Unis pour éviter les droits de douane, comme le font déjà certaines marques européennes dans l’automobile ou la tech, ou à délocaliser certaines étapes de production vers des pays tiers non soumis à ces tarifs douaniers. Les grandes entreprises européennes ayant une activité importante aux États-Unis, comme Airbus, LVMH ou encore Nestlé, devront revoir leurs flux logistiques, leur politique d’investissement ainsi que leur montage juridique (filiales de distribution locales plutôt qu’export).

Les droits de douane à 15 % créant un choc asymétrique dans les structures de production mondialisées, c’est le retour d’une logique de production géopolitisée, influencée par les accords bilatéraux.

 

4. Un signal mondial : l’avènement du bilatéralisme transactionnel

Après le Royaume-Uni et le Japon, l’Union européenne cède à son tour à la logique imposée par Donald Trump : celle d’accords bilatéraux déséquilibrés, négociés sous pression tarifaire. Les nouveaux droits de douane marquent donc une rupture avec les principes traditionnels du commerce multilatéral fondé sur les règles de l’OMC. Une orientation qui risque de favoriser l’avènement d’un bilatéralisme transactionnel.

Les accords multilatéraux de l’OMC reposent sur des règles communes, stables et non discriminatoires, applicables à tous les membres. Or, en concluant un accord spécifique fixant un taux unique de droits de douane arbitraire, les deux blocs privilégient une logique de rapport de force bilatéral à la coopération multilatérale. Ursula von der Leyen a déclaré que ce compromis tarifaire était « le meilleur que nous pouvions obtenir », face aux menaces de sanctions de 30 % ou plus. Elle a également confirmé que certains secteurs clés resteraient exemptés.

En plus d’affaiblir la légitimité des institutions comme l’OMC, cet abandon partiel du multilatéralisme commercial pourrait inciter d’autres pays à réclamer des traitements de faveur équivalents ou revoir leurs alliances commerciales. Dans ce contexte, un nouveau paysage se dessine, moins stable et plus stratégique.

 

5. Des tensions politiques en Europe, entre divisions et frustrations

L’accord conclu entre Donald Trump et Ursula von der Leyen risque de creuser des lignes de fracture entre les États membres de l’UE. La répartition de l’impact des droits de douane est inégale et tous les pays européens ne seront pas affectés de la même manière. L’Allemagne, qui exporte énormément vers les États-Unis, redoute un impact durable sur son industrie, et en particulier le secteur automobile. L’Italie, les Pays-Bas et la France, exportateurs massifs outre-Atlantique, ont également de quoi s’inquiéter. Les pays d’Europe de l’Est ou du Sud, comme la Hongrie, le Portugal ou la Grèce, ont une exposition beaucoup plus faible. Cela pourrait créer un clivage Nord/Sud ou Ouest/Est, certains pays estimant payer un prix fort pour des négociations qu’ils n’ont pas pesées. L’Irlande, elle, a contesté le déséquilibre de traitement entre Nord et Sud.

La France s’inquiète pour son secteur viticole, luxe, agroalimentaire et ses PME industrielles. Vins, champagnes, cognac, spiritueux… que de produits très dépendants du marché américain, qui pourraient se retrouver moins compétitifs, voire évincés par des alternatives locales ou sud-américaines. Le luxe, secteur emblématique du soft power français, risque de chuter à cause des ventes ralenties par les hausses de prix aux États-Unis.

Le Premier ministre français François Bayrou a dénoncé l’accord comme « un jour sombre pour l’Europe », ajoutant : « Nous nous résignons à la soumission ». De son côté, le ministre chargé de l’Europe Benjamin Haddad l’a qualifié de « déséquilibré » et a plaidé pour des « mesures de rééquilibrage ciblées ».

L’accord conclu entre le président américain et la présidente de la Commission européenne peut provoquer une certaine frustration de la part des États membres envers Bruxelles. L’accord semble avoir été négocié en bilatéral, sans consultation approfondie des gouvernements ni du Parlement européen. Certains estiment que la Commission a cédé trop vite, ou qu’elle a légitimé une pression américaine injuste. D’autres se disent marginalisés dans le processus décisionnel, notamment ceux qui subissent de plein fouet les effets des surtaxes. De quoi nourrir critiques internes contre la Commission… et raviver certains euroscepticismes.

 


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