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Dumping, fast fashion, contournement des règles… Marie Even (Cdiscount) dénonce « une concurrence déloyale à un niveau jamais vu »

Alors que les plateformes chinoises de fast fashion comme Temu et Shein inondent le marché européen avec des prix cassés et des pratiques contestées, Marie Even, Directrice Générale déléguée de Cdiscount, alerte sur une menace systémique pour l’e-commerce français. Dans cet entretien, elle dénonce des méthodes de dumping inédites, plaide pour une régulation européenne ferme, et détaille la stratégie de Cdiscount pour allier performance, durabilité et innovation technologique.

Le marché français du commerce en ligne traverse une zone de fortes turbulences. Sous la pression de plateformes étrangères qui pratiquent des prix prédateurs et contournent les règles du marché, les acteurs historiques comme Cdiscount cherchent à défendre un modèle fondé sur la qualité, la conformité et la durabilité. Marie Even, à la tête du géant bordelais du e-commerce, insiste sur l’urgence d’une réponse politique et économique à la hauteur de l’enjeu.

 

Forbes France : Comment percevez-vous la concurrence des plateformes chinoises comme Temu ou Shein, notamment sur le terrain des prix et de la durabilité ?

Marie Even : La concurrence, c’est sain car elle pousse à innover. Mais ce que nous observons avec certaines plateformes chinoises, ce n’est pas de la concurrence, c’est de la concurrence déloyale à un niveau jamais vu. Trois éléments sont en jeu  : ce qu’on vend, comment on le vend, et à quel prix. Cdiscount propose des produits de qualité, durables, et conformes. Chez ces plateformes, on constate des problèmes sérieux de conformité, de sécurité, et de contrefaçon structurelle. Sur la méthode : en France, nous sommes contrôlés régulièrement. Les règles de publicité et de pratiques commerciales loyales sont strictes tandis que les plateformes chinoises multiplient les pratiques déloyales vis-à-vis des consommateurs. Sur le prix : en France, la vente à perte est interdite. Temu et Shein offrent des prix prédateurs et absurdes dans une logique d’acquisition de parts de marché, quitte à perdre de l’argent. Le consommateur, après deux ans d’inflation, est attiré par un maillot de bain à 2 €. Mais ce prix ne correspond à rien et ne couvre même pas les coûts de livraison.


 

Que faire face à cela ?

M. E. : Il faut agir à plusieurs niveaux. Nous, notre rôle est de continuer à proposer une offre de confiance. Mais les pouvoirs publics doivent prendre la mesure du péril et accélérer. Le sujet est omniprésent dans les médias, mais l’action tarde à venir. La lenteur devient fautive. Des dispositifs existent, comme la fermeture de plateformes non conformes, mais il faut les appliquer. Créer de nouvelles règles, comme la loi anti-fast fashion, sans cibler les bons acteurs, c’est un aveu d’échec. Il faut appliquer le droit existant.

 

Cdiscount est l’un des plus grands employeurs tech en France. Comment attirez-vous et fidélisez-vous les talents ?

M. E. : On a la chance d’avoir chez Cdiscount un terrain de jeu unique. Une marketplace de cette taille, en France, c’est rare. Nous sommes donc attractifs par nature pour les talents. Ensuite, nous sommes toujours aux avant-postes de l’innovation. Quand l’IA générative est arrivée, nous avons commencé à travailler dessus avant même qu’elle ne soit disponible pour le grand public. Nous participons aussi à des communautés tech et nous encourageons le partage. Et surtout, nous avons créé un écosystème à Bordeaux, où d’autres acteurs tech s’installent, ce qui génère un vivier de talents. On recrute chez eux, ils recrutent chez nous. Tout le monde y gagne.

 

Concrètement, comment Cdiscount utilise l’IA en 2025 ?

M. E. : Nous sommes très pragmatiques. L’un de nos premiers cas d’usage a été la classification des produits, car un produit bien classé, c’est 30 % de ventes en plus. L’IA nous a fait gagner du temps et de la croissance. Ensuite, nous l’avons déployée dans le service client avec notre chatbot. Il est présenté comme étant alimenté par une IA parce que la transparence est essentielle. Si le client préfère parler à un humain, il le peut. Nous n’avons pas réduit le nombre de téléconseillers, mais ils se concentrent désormais sur les questions complexes.

 

Comment gérez-vous les enjeux éthiques de l’IA ?

M. E. : Nous travaillons main dans la main avec notre directrice de l’IA et notre DPO (Data Protection Officer), qui a aussi une casquette « éthique IA ». L’IA générative est entre les mains de tous, donc l’accompagnement est crucial, tant sur le plan technique que sur les questions éthiques. Avant, l’IA était l’affaire des data scientists. Nous avions monté une équipe de 50 data scientists, une des plus grosses en France. Aujourd’hui, avec l’IA générative, le défi est différent puisque l’outil est accessible à tous. Il faut donc accompagner à la fois sur le geste technique et sur les enjeux éthiques.

 

Comment l’IA transforme-t-elle votre organisation interne ?

M. E. : Nous avons entamé une transformation « Lean » dans l’entreprise. L’objectif est de créer plus de valeur pour le client en simplifiant la vie des équipes. Tout le monde, y compris le Comex et moi-même, va sur le terrain pour comprendre les difficultés des clients et tester des améliorations. Cette méthode permet de mieux servir le client tout en développant les compétences de nos équipes.

 

Cdiscount propose de nombreuses initiatives durables. Pouvez-vous nous en citer quelques-unes ?

M. E. : Nous avons une approche ingénieur de notre empreinte carbone. 80 % de notre bilan vient des produits, 8 % de la logistique, et seulement 1 % du numérique. Depuis 2009, nous investissons pour réduire notre impact. Par exemple, 88 % de nos produits sont livrés avec un emballage optimisé. Nous avons même lancé le « zéro emballage », c’est-à-dire que pour certains produits, on colle l’étiquette directement sur l’emballage d’origine. Une initiative que 98 % des clients acceptent. Nous avons aussi réduit de 30 % le nombre de camions sur les routes grâce à des machines d’emballage 3D qui optimisent l’espace. Et nous livrons le jour même en train, avec des camions électriques pour les premiers et les derniers kilomètres.

 

Comment intégrez-vous la durabilité dans votre offre produits ?

M. E. : Notre mission est de donner le pouvoir d’avoir le choix. Nous poussons les produits plus responsables puisqu’un téléphone sur trois vendu sur cdiscount.com est reconditionné et un ordinateur sur dix. Nous développons aussi la puériculture et les jouets reconditionnés. Nous travaillons avec des labels comme Origine France Garantie. Il y a trois ans, l’offre responsable représentait 10 % de notre volume d’affaires. Aujourd’hui, c’est 30 %. Et nous ne transigeons pas sur le prix car pour que le durable devienne un réflexe, il doit être accessible.

 

Comment conciliez-vous rentabilité et durabilité ?

M. E. : Chez nous, il n’y a pas de sacrifice entre impact et performance financière. Un projet durable doit aussi être économiquement performant. Réduire les emballages, c’est faire 30 % d’économies de carton et mieux remplir les camions, c’est réduire les coûts de transport. La RSE, ce ne sont pas des paillettes, ce sont des actions concrètes qui alignent intérêts économiques, satisfaction client et impact environnemental.

 

Quelle est votre vision pour les prochaines années ?

M. E. : Dans un contexte international complexe, nous poursuivons notre transformation vers un modèle à prédominance marketplace. Nous avons retrouvé la croissance en fin d’année dernière et visons une croissance rentable. Notre base client continue de grossir, et nous travaillons à atteindre l’équilibre. Malgré les incertitudes économiques, nous savons où nous allons.

 


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