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Distribution aux États-Unis : un virage nécessaire pour les domaines viticoles étrangers dans un marché en mutation

États-Unis
Du vin rouge servi dans un verre dans un domaine viticole. Getty Images

Pendant des décennies, accéder au marché américain du vin — qui a franchi les 107 milliards de dollars de ventes en 2023 — passait par une recette bien rodée : trouver un importateur, conclure un accord avec un distributeur, et gagner en visibilité grâce aux rayons des cavistes ou aux recommandations de sommeliers.

 

Cependant, ce modèle est en train de voler en éclats. La consolidation massive du secteur de la distribution et de l’importation aux États-Unis a bouleversé les règles du jeu, marginalisant les petits et moyens producteurs étrangers et les écartant des circuits traditionnels.

Pour rester compétitifs, les vignobles étrangers doivent repenser en profondeur leur stratégie — pas seulement logistique, mais financière. L’avenir appartient à ceux qui sauront adopter des modèles hybrides ou en vente directe (DTC, direct-to-consumer) et développer leur notoriété sans passer par les intermédiaires classiques.


 

Moins d’acteurs, des enjeux plus grands

En une vingtaine d’années, le nombre de grossistes en vin aux États-Unis a fondu, passant d’environ 3 000 au milieu des années 1990 à seulement 1 000 en 2023. Le marché est désormais dominé par deux mastodontes : Southern Glazer’s et Republic National Distributing Company (RNDC). Leur fonctionnement s’apparente davantage à celui d’opérateurs logistiques de la grande distribution qu’à celui d’ambassadeurs du vin.

Dans ce contexte, le message aux petits producteurs et aux domaines étrangers est sans équivoque : sans volumes importants ni budget marketing solide, difficile d’exister.

Ce bouleversement n’est pas sans conséquences financières. À travers le système américain à trois niveaux — importateur, distributeur, détaillant — le prix d’un vin peut être multiplié par trois, voire quatre, entre la cave et le rayon. Une mécanique tarifaire souvent incompatible avec l’économie des petits producteurs axés sur la qualité.

 

L’importateur, un rôle en perte de vitesse

Autrefois, les importateurs jouaient le rôle de véritables ambassadeurs, promouvant avec passion des cuvées confidentielles venues de Slovénie ou de Sancerre. Aujourd’hui, la majorité agit comme des gestionnaires de portefeuille, construisant leurs catalogues à l’aune du risque, des contraintes réglementaires et de la rentabilité attendue.

Les grands distributeurs, eux, privilégient les produits à fort volume, gages de ventes régulières et de rentabilité. Résultat : les domaines étrangers peinent à trouver des partenaires prêts à défendre leurs bouteilles.

Cette évolution entraîne une baisse de visibilité pour les marques et une perte de souplesse commerciale. Sans le soutien actif d’un importateur, les producteurs étrangers peinent à construire un récit autour de leurs vins sur le marché américain — ce qui se traduit par un moindre pouvoir de fixation des prix, des ventes plus lentes et un lien affaibli avec les consommateurs.

 

Modèles hybrides et vente directe : le nouveau cap des domaines étrangers

Autrefois réservée aux caves californiennes, la vente directe au consommateur séduit aujourd’hui de plus en plus de producteurs étrangers souhaitant toucher le marché américain. Selon un rapport publié en 2022, ce canal de distribution a triplé en une décennie, passant de 1,3 milliard de dollars en 2012 à 4,2 milliards en 2021.

 

Un virage stratégique

Des domaines comme Tenuta di Arceno (Italie) ou Bodega Garzón (Uruguay) ont ouvert des boutiques en ligne à destination des clients américains. D’autres misent sur des plateformes spécialisées telles que Vivino, Wine Access ou SommSelect pour se faire connaître et fidéliser leur clientèle.

L’avantage est clair : en vendant directement via leur site web ou leur caveau, les producteurs peuvent conserver jusqu’à 80 % du prix de vente final. À titre de comparaison, la distribution traditionnelle leur laisse généralement entre 30 % et 50 %, avec en prime une perte de contrôle sur les prix. Certes, cette dernière permet une plus large visibilité en magasin ou au restaurant, mais elle rogne les marges et dilue souvent l’image de marque.

Un modèle hybride permet de tirer le meilleur des deux mondes : vendre en direct les cuvées phares ou éditions limitées pour préserver leur valeur et leur exclusivité, tout en confiant la distribution de certaines références à des partenaires grossistes rigoureusement choisis.

 

Des obstacles réglementaires qui deviennent leviers stratégiques

Les taxes douanières, frais de conformité et droits d’importation ont longtemps constitué un véritable casse-tête pour les domaines étrangers. En témoignent les surtaxes américaines imposées entre 2019 et 2021 sur les vins tranquilles français, espagnols et allemands. Selon la Fédération des Exportateurs de Vins et Spiritueux de France (FEVS), les importations de vin français aux États-Unis ont ainsi chuté de 400 millions d’euros en 2020. Avec des droits de douane européens toujours à 20 %, d’autres pertes sont malheureusement à prévoir.

Pour y faire face, certains producteurs repensent leur modèle financier de fond en comble :

  • Stocker aux États-Unis dans des entrepôts sous douane : cela permet de réduire les délais de livraison, d’optimiser la trésorerie en différant les paiements de taxes, et de livrer plus rapidement les commandes DTC ou wholesale.
  • Intégrer les coûts logistiques dans les prix : avec la hausse des coûts d’expédition et de livraison, les domaines construisent désormais des grilles tarifaires qui incluent une marge de sécurité sur les frais de transport, tout en restant lisibles et cohérents par région.
  • S’associer à des entités légales américaines : cela permet d’obtenir les licences nécessaires pour vendre en DTC dans plusieurs États, une étape incontournable pour contourner les lourdeurs réglementaires.

 

Une maîtrise précieuse de l’image de marque

Opter pour la vente directe ou hybride permet enfin aux domaines de reprendre la main sur leur actif le plus stratégique : leur image. Campagnes e-mailing, dégustations virtuelles, live Instagram, partenariats avec des créateurs de contenu… autant d’initiatives rendues possibles par le lien direct avec les clients, que les distributeurs traditionnels ne permettent pas.

En contrôlant leur distribution et leur communication, les producteurs renforcent leur lien avec les consommateurs, stimulent la fidélité à la marque et récoltent des données précieuses. Une dynamique qui favorise les achats répétés, renforce la valeur à long terme de la marque — et offre une résilience bienvenue face à l’évolution des priorités des distributeurs.

 

Conclusion

Le paysage de la distribution du vin aux États-Unis se concentre à grande vitesse, réduisant l’espace pour les domaines de petite taille qui dépendent encore du modèle traditionnel en trois étapes (importateur, distributeur, détaillant). Mais cette transformation est aussi une chance à saisir.

Les producteurs qui repensent leur stratégie et misent sur des canaux directs avec les consommateurs américains peuvent non seulement améliorer leurs marges, mais aussi renforcer leur image de marque et assurer la pérennité de leurs exportations. L’avenir de la distribution du vin passe par la vente directe.

 

Un article de Anthony Zhang (cofondateur de Vinovest, plateforme d’investissement spécialisée dans le vin et les spiritueux) pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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