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Devenu milliardaire grâce à Facebook, cet investisseur en capital-risque signe un nouveau coup de maître

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Jim Breyer assiste à la dixième cérémonie annuelle du Breakthrough Prize à l'Academy Museum of Motion Pictures, le 13 avril 2024 à Los Angeles, en Californie. Source : Getty Images
L’investisseur en capital-risque Jim Breyer a réalisé son premier milliard grâce à Facebook il y a vingt ans, à une époque où le succès du réseau social n'était pas assuré. Aujourd’hui, après avoir traversé une tragédie familiale et en s’associant avec ses deux fils adultes, il signe une nouvelle réussite tout en nourrissant l’ambition de réinventer le secteur des soins de santé.

Nous sommes à la mi-août, et l’investisseur en capital-risque Jim Breyer a quitté son domicile d’Austin, au Texas, pour rejoindre sa propriété sécurisée de Pebble Beach, en Californie, à l’occasion de la Monterey Car Week. Parmi les événements phares figure le Concours d’élégance, présenté comme « le salon automobile le plus prestigieux au monde ». Breyer aime admirer les voitures élégantes, mais n’est pas un collectionneur passionné : son allée abrite simplement une BMW récente et une Land Rover. Ici, il est surtout venu pour jouer au golf et retrouver des amis.

Discuter avec les autres et être à leur écoute est sans doute le véritable super-pouvoir de Jim Breyer. L’investisseur préfère débattre d’idées, d’opportunités — et, à l’occasion, de football universitaire — plutôt que de sujets superficiels. Devenu milliardaire en 2011 grâce à un pari visionnaire sur Facebook, il vient de signer un nouveau coup de maître avec l’introduction en bourse de Circle Internet Group, le créateur de la cryptomonnaie stable USDC. En juin, la capitalisation de Circle a bondi à 55 milliards de dollars, portée par l’appétit des investisseurs pour les valeurs crypto. Deuxième actionnaire individuel derrière le PDG et cofondateur Jeremy Allaire, Breyer a vu sa fortune plus que doubler pour atteindre 5,7 milliards de dollars.

« Je veux que les fondateurs soient vraiment impliqués. J’adore quand les investisseurs le sont tout autant », explique-t-il.

Depuis, l’euphorie autour de Circle s’est atténuée. Le titre, dont l’essentiel des revenus provient des placements en bons du Trésor américain servant de garantie à son stablecoin, a perdu près de 50 % entre la fin juin et le 29 septembre. Malgré ce repli, la société conserve une capitalisation boursière robuste de 33 milliards de dollars, soit plus de douze fois les 2,5 milliards de revenus attendus cette année. Breyer, qui avait encaissé près de 100 millions de dollars à la mi-août, détient encore 8 % du capital, valorisés à plus de 1,7 milliard. En y ajoutant ses autres actifs, sa fortune est désormais estimée à 3,8 milliards de dollars — le double de son niveau du début d’année — ce qui lui permet de réintégrer pour la première fois depuis 2021 le classement Forbes 400 des Américains les plus riches.


Le succès de ce pari est le fruit de plus d’une décennie de patience. Breyer a investi pour la première fois dans Circle en 2013, quatre ans après l’apparition du bitcoin. À l’époque, la start-up se présentait comme une plateforme de stockage de cryptomonnaies, bien avant que le terme de « stablecoin » n’entre dans le vocabulaire courant. Breyer connaissait déjà son fondateur, Jeremy Allaire, qu’il avait soutenu dans sa précédente aventure, la société de vidéo en ligne Brightcove. Les deux hommes se sont rencontrés à Harvard Yard, ont longuement échangé, puis scellé leur accord par une poignée de main, raconte Breyer, qui tenait à figurer parmi les premiers investisseurs. « Après avoir mené toutes mes vérifications, j’étais persuadé que l’infrastructure crypto et sa pile technologique allaient ouvrir des perspectives exceptionnelles », raconte Breyer, qui avait alors déboursé 27 cents par action.

Breyer, classé numéro un de la liste Midas des meilleurs investisseurs en capital-risque de Forbes en 2011, 2012 et 2013, a multiplié les coups gagnants. Circle, dit-il, est l’un des quatre investissements qui lui ont rapporté au moins 100 fois sa mise. Les trois autres sont Facebook, qu’il avait soutenu via sa société de capital-risque Accel Partners à un prix d’entrée de 4 cents par action (contre 743 dollars récemment) ; ainsi que deux entreprises de matériel réseau de la fin des années 1990, Foundry Networks et Redback Networks, toutes deux introduites en bourse avant l’éclatement de la bulle internet, puis rachetées par la suite.

Selon lui, quinze autres ont rapporté plus de 20 fois l’investissement initial, dividendes en espèces compris. Parmi elles, Spotify, qu’il a soutenu en 2011 alors qu’elle était évaluée à 900 millions de dollars ; il détient toujours des actions de cette société qui vaut aujourd’hui 149 milliards de dollars (valeur marchande). Un autre investissement fructueux a été celui de plusieurs millions de dollars dans l’équipe de basket-ball des Celtics de Boston, aux côtés de son ami d’enfance Wyc Grousebeck, qui a mené l’acquisition de 360 millions de dollars en 2002. Breyer a vendu sa participation cette année, lorsqu’un groupe dirigé par le financier de la Silicon Valley Bill Chisholm a racheté 51 % de l’équipe dans le cadre d’une transaction évaluant la franchise à 6,1 milliards de dollars.

La capacité de Jim Breyer à accorder autant d’importance aux personnes qu’aux produits – qu’il s’agisse d’un ami d’école primaire, d’un étudiant ayant quitté l’université, d’un ancien soldat israélien ou d’un photographe en herbe – lui a permis de multiplier les succès. Parmi eux : Marvel, racheté par Disney pour 4 milliards de dollars en 2009 ; Etsy, introduit en bourse en 2015 ; ou encore Legendary Pictures, acquis par le groupe chinois Wanda pour 3,5 milliards de dollars en 2016. Au fil de sa carrière, Breyer a également siégé aux conseils d’administration de Walmart, Dell, News Corp. et Harvard. Aujourd’hui, il siège à celui de Blackstone. « J’ai pu constater son ouverture d’esprit », confie Jon Gray, président de Blackstone. « Je pense que c’est une qualité qui lui est propre. »

Ses publications Instagram traduisent cette curiosité insatiable et ses centres d’intérêt multiples. On l’y aperçoit à Roland-Garros, aux côtés de Jimmy Page, l’ex-guitariste de Led Zeppelin, ou encore au gala de l’American Film Institute à Los Angeles, où il siège au conseil d’administration depuis des années, lors de l’hommage à Francis Ford Coppola. Peu après, on le retrouve à l’inauguration d’une exposition Picasso à la Gagosian Gallery, ou encore photographiant Matthew McConaughey lors d’une levée de fonds au profit des victimes des inondations au Texas.

Breyer affiche aussi son attachement croissant au football universitaire. Depuis qu’il a quitté la Silicon Valley pour s’installer à Austin il y a cinq ans, il s’est pleinement converti au Texas : il possède désormais plus de 20 paires de bottes de cow-boy et assiste à près de 90 % des matchs des UT Longhorns à travers le pays. « Mes enfants me disent :Papa, tu t’intéresses à trop de choses” », sourit-il. « Et ils ont raison ! »

L’ouverture d’esprit de Jim Breyer remonte à son enfance. Comme nombre de membres du classement Forbes 400, il est le premier de sa famille à être né aux États-Unis. Ses parents ont fui la Hongrie après la révolution de 1956, trouvé refuge à Vienne, puis traversé l’Atlantique lorsque son père a décroché une bourse à Yale. La famille est arrivée avec seulement 500 dollars en poche et a d’abord vécu dans un funérarium à New Haven, avant de s’installer à Boston, où ses parents ont tous deux travaillé chez Honeywell.

En 1979, Breyer intègre Stanford, où il suit un cursus interdisciplinaire mêlant informatique et économie. Un semestre passé à Florence, en Italie, élargit encore ses horizons. Après deux années chez McKinsey, il décroche un MBA à Harvard, puis rejoint en 1987 la toute petite société de capital-risque Accel Partners, alors dirigée par Arthur Patterson et Jim Swartz, deux anciens de Citicorp. Son ambition initiale était de devenir entrepreneur : « Je pensais naïvement qu’après quelques années dans le capital-risque, en côtoyant des fondateurs et en lisant des plans d’affaires, je pourrais créer ma propre entreprise », raconte-t-il. Quelques années plus tard, il réalise qu’il n’est pas fait pour diriger une société. « J’ai toujours aimé investir. »

Ce penchant trouve son expression la plus éclatante en 2005. Accel, qui avait manqué Google et perdu des investisseurs majeurs comme Harvard et Princeton, est séduite par Facebook grâce à un jeune directeur, Kevin Efrusy. Lors d’une réunion, Mark Zuckerberg fait forte impression. Breyer, pour sceller l’accord, invite l’équipe de Facebook à dîner. L’investisseur met 1,1 million de dollars de sa poche en plus des 11,7 millions d’Accel. Six ans plus tard, il est milliardaire.

Dès 2006, Breyer commence à tracer sa propre voie. Il lance Breyer Capital, une structure parallèle qui lui permet d’investir dans des entreprises hors du champ traditionnel d’Accel, comme Marvel ou 21st Century Fox. L’arrangement satisfait tout le monde : Accel reste concentrée sur la tech en phase de démarrage, tandis que Breyer explore d’autres horizons. Il quitte finalement Accel en 2014, après près de trente ans, pour se consacrer à plein temps à Breyer Capital – un an après avoir investi dans Circle.

En 2020, Breyer et sa deuxième épouse, Angela Chao – PDG du groupe maritime Foremost et sœur de l’ancienne secrétaire américaine aux Transports, Elaine Chao – s’installent à Austin, encouragés par leurs amis Michael et Susan Dell. Cette même année, il associe ses deux fils, Daniel et Ted, alors âgés de 30 et 28 ans, à Breyer Capital, transformant sa société en un véritable family office, animé par une ambition toujours intacte.

Les deux fils de Jim Breyer incarnent deux trajectoires très différentes. Ted s’est passionné très tôt pour la finance : à six ans, il avait déjà ouvert avec son père un compte de courtage. Étudiant à Harvard, il a commencé à investir dans les cryptomonnaies avec l’argent économisé grâce à ses anniversaires et à quelques petits boulots. Daniel, lui, a suivi un tout autre chemin. Diplômé en histoire de Brown et grand lecteur de Stephen King, il a publié en avril son premier roman, Smokebirds, une fresque sombre sur une famille de milliardaires dysfonctionnelle. Dans ce récit, le fils du magnat est un investisseur en capital-risque accro aux jeux vidéo, qui a eu un coup de chance en misant sur une start-up de réalité virtuelle. « C’est un roman très introspectif. Si j’avais grandi autrement, si j’étais devenu la pire version de moi-même, à quoi ressemblerait-elle ? », explique Daniel, en précisant que son père n’a rien à voir avec le personnage de milliardaire. Sur son travail avec sa famille, il résume : « Nous sommes simplement les gens les plus chanceux de la planète ».

Mais la vie de Breyer a aussi été marquée par le drame. En février 2024, son épouse Angela Chao est décédée dans un accident tragique. Alors qu’elle se trouvait dans leur ranch texan pour un week-end entre amies, elle a accidentellement enclenché la marche arrière de sa Tesla et a plongé dans un étang, selon le Wall Street Journal. Breyer n’a jamais parlé publiquement de cette perte, mais confie que sa famille a été une source de réconfort. Il élève désormais leur fils de cinq ans, avec l’aide de deux nounous. « Je persévère pour ce petit garçon, en essayant d’être le meilleur père et le meilleur partenaire possible pour le reste de ma famille », dit-il.

L’arrivée de ses fils à ses côtés dans Breyer Capital lui a redonné de l’énergie et une vision tournée vers l’avenir. Un an après son installation au Texas et l’intégration de Daniel et Ted comme associés, Breyer s’est fixé un nouvel objectif : explorer les synergies entre intelligence artificielle, sciences de la vie et santé. « Nous cherchons les domaines où l’IA peut – et va – avoir un impact décisif », explique-t-il. Pour l’accompagner, il a recruté en avril Morgan Cheatham, un ami proche de Daniel rencontré à Brown. Déjà nommé dans la liste Forbes 30 Under 30 en 2023, Cheatham a travaillé huit ans chez Bessemer Venture Partners tout en poursuivant des études de médecine. Aujourd’hui en résidence spécialisée en génétique, il jongle entre recherche clinique et investissements pour Breyer Capital.

L’un des paris les plus prometteurs de cette nouvelle orientation est OpenEvidence, une application gratuite inspirée de ChatGPT, qui permet aux médecins d’accéder aux dernières recherches médicales. Breyer connaissait déjà son fondateur, Daniel Nadler, dont la première start-up, Kensho, avait été rachetée 550 millions de dollars par S&P Global en 2018. L’appli connaît un succès fulgurant : déjà adoptée par 40 % des médecins américains, elle est utilisée pour 8,5 millions de consultations par mois. En juillet, la société a levé 210 millions de dollars pour une valorisation de 3,5 milliards, propulsant Nadler, 42 ans, au rang de milliardaire.

Daniel Nadler ne tarit pas d’éloges sur Jim Breyer. « Il est vraiment différent de presque tous les autres investisseurs avec qui j’ai travaillé. Et j’ai travaillé avec les meilleurs », affirme l’entrepreneur. « Breyer s’intéresse avant tout au fondateur, à ce qui le rend unique… La plupart des gens qui réussissent à ce niveau sont un peu singuliers, et lui cherche à comprendre pourquoi. »

Selon Nadler, Breyer (tout comme les investisseurs de Sequoia) ne s’est pas contenté de parler de business. Il lui a posé des questions directes, parfois déroutantes : « Pourquoi avez-vous une dent contre le monde ? Qu’est-ce qui vous motive ? Pourquoi êtes-vous si compétitif ? Et qu’est-ce qui vous poussera à le rester même après avoir atteint une sécurité financière confortable ? »

Une fois devenu investisseur, Breyer est resté présent. « Je lui ai envoyé des dizaines de mails, parfois une phrase, parfois trois mots. Et il me répondait toujours en une ou deux phrases, avec une clarté immédiate. Pas besoin de détour, pas de cérémonial », raconte Nadler. « C’est comme échanger avec un ami. »

C’est peut-être là le véritable talent de Jim Breyer : instaurer une relation de confiance avec les entrepreneurs, suffisamment forte pour conclure des deals, mais surtout pour les accompagner dans les moments difficiles.

 

Un article de Kerry A. Dolan pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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