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Dans l’industrie de la santé, le Maroc peut devenir un hub régional qui rayonne sur l’Afrique 

Maroc

Le Maroc a investi près de 500 millions d’euros dans une usine de fabrication de vaccins (anti-Covid mais pas seulement) dont la construction vient d’être lancée en grande pompe, tout près de Casablanca. Pourquoi un tel choix ? Indépendance sanitaire ? Soft power ? Abdelmalek Alaoui, l’un des meilleurs connaisseurs du royaume chérifien, auteur de « Le temps du Maroc » (Ed La croisée des chemins, 2021) décrypte pour Forbes la stratégie du souverain Mohamed VI en matière d’économie de la santé et, au-delà, sa vision de l’avenir du Maroc.


 

Pourquoi le Maroc a-t-il investi autant d’argent pour avoir des vaccins ? Il ne pouvait pas les acheter ?

Abdelmalek Alaoui : Il y a des limites à ce qu’une nation peut réaliser si sa sécurité et sa souveraineté sanitaire dépendent de prestataires extérieurs… Aujourd’hui, les vaccins sont disponibles, mais rappelez-vous des « retard à l’allumage » il y a un an et des très fortes tensions sur les chaînes de production. De plus, nous ne connaissons pas les évolutions futures et les variants potentiels, contre lesquels les vaccins actuellement disponibles à l’achat seront peut-être inopérants. Mais de manière globale, le Roi du Maroc a fait le choix à la fois d’autonomiser le Royaume Chérifien en matière de production de vaccins, mais également d’en faire un pôle régional qui pourra satisfaire les besoins de l’Afrique dans son ensemble. Ceci se situe dans le prolongement de la doctrine déroulée par le chef de l’Etat marocain depuis le déclenchement de la pandémie, qui combine réponse tactique immédiate – avec par exemple la campagne de vaccination la plus aboutie d’Afrique- avec des investissements de long terme pour permettre au pays de se projeter et de s’autonomiser. La fabrication du vaccin « made in Morocco » n’est en réalité que la face émergée de l’Iceberg, car le pays se transforme de manière importante à beaucoup de niveaux, incluant la généralisation de la protection sociale pour tous les marocains, un mix énergétique ambitieux, et une politique de relance très agressive mobilisant 10% du PIB.

 

Sa Majesté le Roi préside la cérémonie de lancement des travaux de réalisation d’une usine de fabrication de vaccins anti-Covid-19

 

Cette nouvelle usine va produire des vaccins Pfizer mais aussi des vaccins chinois qui n’ont pas une excellente réputation en Europe…

En Europe, il y a eu des critiques très fortes contre les vaccins chinois, russes, ou même cubains, poussant même les pays de l’Union à ne pas les reconnaître. Pourtant, les taux de létalité enregistré dans des pays ayant adopté ces vaccins sont en majorité plus bas que ceux du vieux continent. De manière globale, il y a un sentiment persistant de défiance en occident à l’endroit des produits chinois, qui seraient de moins bonne qualité. La réalité, c’est que beaucoup de produits que nous utilisons au quotidien sont fabriqués en Chine, sans que nous n’y prêtions attention, dont la plupart des smartphones Haut de gamme. Dans ce cadre, le Maroc poursuit une stratégie de multilatéralisme actif et noue des partenariats avec des pays ou des ensembles géographiques disposés à travailler avec lui dans une dynamique où toutes les parties trouvent leur compte. C’est emblématique de la nouvelle « realpolitik » de Mohammed VI.

 

L’indépendance vaccinale est importante pour le royaume ?

Elle est vitale. La surexposition de l’industrie pharmaceutique européenne et par extension, méditerranéenne aux chaînes de production d’Asie du Sud Est a révélé une faille dans nos systèmes de sécurité sanitaires. Désormais, chaque pays, ou chaque ensemble de pays cohérent sur le plan géographique et philosophique se doit d’être indépendant pour faire face aux futures menaces épidémiques.

 

Le Maroc est l’un des bons élèves de la lutte anti-Covid à l’échelle mondiale. Cela vous a étonné ?

Je ne pense pas avoir été le plus surpris, bien que l’ampleur de la réaction marocaine et la mobilisation des forces souvent sous-estimées du Royaume m’ait quelque peu étonnée. Ce sont surtout nos partenaires traditionnels, notamment européens, qui semblaient sidérés qu’un pays du sud de la Méditerranée ait réussi à réorienter son industrie en trois semaines pour produire plusieurs millions de masques par jour là où l’Europe connaissait une pénurie en avril 2020. De même, le fait que des acteurs que l’on taxait souvent d’immobilisme, comme l’administration, aient su faire preuve d’agilité stratégique a prouvé que le pays dispose désormais d’une technostructure qui arrive à se hisser à la hauteur du moment. Mais surtout, et je pense que c’est insuffisamment expliqué, c’est la politique du « principe de précaution maximum » voulue par Mohammed VI, faite de barrières strictes sur le plan sanitaire et du déploiement d’un filet économique et social qui a permis que le Maroc soit à la fois le pays d’Afrique avec le taux de vaccination le plus élevé et celui avec le taux de létalité le plus bas. De manière générale, le Maroc a réagi de manière décomplexée, sans chercher à « imiter » quiconque, mais en cultivant sa manière de faire singulière.

 

Abdelmalek Alaoui : A l’échelle de l’Afrique, le Maroc est indiscutablement une puissance régionale, tout en n’ayant pas d’agenda hégémonique. En effet, Le Royaume a une longue tradition de coexistence et de dialogue culturel, et jouit d’un leadership indéniable sur les plans diplomatiques ou même spirituels 

 

Cette usine va aussi servir à fournir en vaccins les pays africains. Le Maroc soigne se relations avec ses partenaires continentaux… C’est du soft power ?

 Je pense qu’il y a une surutilisation du terme « soft Power » dès lors qu’il s’agit du Maroc. Peut-être faut-il y voir une forme de compliment pour ce vieil état-nation jaloux de son identité et de sa culture ? Ainsi, lorsque la France ou l’Allemagne déploient des dispositifs d’aide au développement international qui favorisent souvent l’implantation de leurs entreprises dans les pays visés, personne ne vient parler de « Soft Power » alors même que nous sommes en plein dans la définition. Je pense que dans le cas du Maroc, la forme ne se substitue pas au fond. Le Maroc, par la voix de son Roi, a un véritable agenda africain qui parle pour lui-même sans avoir besoin d’en faire la « pédagogie » par des artifices ou à travers du volontarisme de discours. Cet agenda est résumé dans la formule de Mohammed VI : « l’Afrique doit faire confiance à l’Afrique » et est basé sur des partenariats sud-sud où les parties prenantes traitent d’égal à égal.

 

L’industrie de santé peut-elle devenir un secteur économique de pointe pour le Maroc ?

Oui. A condition de réussir le pari d’atteindre la « taille critique » et de pouvoir monter dans les chaînes de valeur, et notamment l’amont industriel pour les médicaments par exemple. Or, le Maroc reste un marché de dimension modeste pour l’industrie de la santé, et doit donc se positionner en « Hub » régional afin de faire de ce secteur une success-story à l’instar de ce qui a été réussi dans l’automobile, l’aéronautique ou les services. Pour les européens, il y a une occasion unique à saisir car le Maroc jouit de la stabilité institutionnelle et macro-économique, et est le seul pays de la région en capacité de se projeter de manière efficiente en direction du vaste marché d’Afrique de l’0uest et ses quelques 500 millions de consommateurs. Il reste donc à aligner certains facteurs clés de succès et à surmonter les contraintes logistiques et de production. Les professionnels du secteur, en coordination avec l’Etat, travaillent d’arrache-pied pour mettre en œuvre cette vision, et ils devraient d’ailleurs faire des annonces en ce sens dans l’année.

 

Peut-on dire qu’à l’échelle de l’Afrique, le Maroc est désormais une puissance émergente ?

 A l’échelle de l’Afrique, le Maroc est indiscutablement une puissance régionale, tout en n’ayant pas d’agenda hégémonique. En effet, Le Royaume a une longue tradition de coexistence et de dialogue culturel, et jouit d’un leadership indéniable sur les plans diplomatiques ou même spirituels. L’enjeu essentiel désormais est de devenir un pays émergent « tout court » et de raccrocher les wagons sociaux à la locomotive économique. A ce titre, un horizon a été fixé – à savoir 2035- par la Commission Spéciale pour le Nouveau modèle de Développement qui a rendu son rapport au roi au printemps 2021.

 

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