Dans un monde où chaque film est précédé de 25 minutes de bandes-annonces, voici pourquoi les studios dépensent des millions pour s’assurer une place avant les plus grands blockbusters de l’été.
Ceux qui iront voir Thunderbolts* des studios Marvel prochainement peuvent s’attendre à voir huit, voire dix bandes-annonces avant le début du film. Ajoutez à cela une publicité pour du pop-corn et Nicole Kidman qui vante les mérites du cinéma, et l’attente avant le début du film peut durer près d’une demi-heure.
Même si cela peut sembler lassant pour le public, ces minutes sont très précieuses pour les studios de cinéma et les chaînes de salles. À une époque où la fréquentation des salles continue de baisser (le box-office américain a enregistré 8,7 milliards de dollars l’année dernière, soit une baisse de plus de 3 % par rapport à 2023, et les ventes de billets ont chuté de 7 %), les bandes-annonces restent le principal moteur de la notoriété et de la décision d’achat pour la plupart des cinéphiles.
Selon l’enquête semestrielle du National Research Group, 36 % des personnes âgées de 12 à 74 ans déclarent avoir entendu parler pour la première fois du dernier film qu’elles ont vu au cinéma grâce à une bande-annonce, plus que toute autre source.
Thunderbolts* étant le premier blockbuster très attendu de la saison estivale, une période de 18 semaines entre le 1er mai et le 1er septembre qui représente 40 % du total des recettes annuelles au box-office aux États-Unis et au Canada, les 30 minutes avant la projection du film sont l’une des opportunités marketing les plus importantes pour les plus grosses sorties, notamment Mission: Impossible – The Final Reckoning de Paramount, Jurassic World : Renaissance et Superman de Warner Bros.
Outre la concurrence féroce pour ces créneaux théoriquement limités, il existe une autre raison à l’augmentation du nombre de bandes-annonces : les chaînes de salles de cinéma vendent ce créneau au plus offrant. « Le bien le plus précieux de cette industrie est la diffusion des bandes-annonces. C’est là que nous créons une synergie gagnante », a déclaré Tom Quinn, PDG de Neon, le mois dernier lors du CinemaCon à Las Vegas. « Mais en tant qu’indépendant, je n’ai pas toujours accès à la diffusion de bandes-annonces. Je dois acheter ce temps d’antenne à tous les autres studios. Et nous visons très haut, mais cela coûte très cher. »
Les détails de ce système pay-to-play sont tellement confidentiels qu’Ethan Hunt et toute son équipe Mission: Impossible seraient ravis. Malgré la relation symbiotique entre les studios et les cinémas (ou la destruction mutuelle assurée, selon à qui vous demandez), les deux parties fonctionnent souvent sur la base du besoin d’en connaître et de l’absence de traces écrites. De peur de perturber ce système délicat, aucune des deux parties n’est disposée à s’exprimer officiellement.
Selon la légende hollywoodienne, c’est Jeff Blake, cadre chez Sony, qui a été le premier à payer pour le placement de bandes-annonces en 2001. À l’époque, les cinémas diffusaient en moyenne quatre bandes-annonces par film. Les deux emplacements les plus proches du film étaient garantis à la société qui distribuait le film, et les autres étaient choisis par l’exploitant du cinéma. C’était avant que Jeff Blake ne débourse environ 100 000 dollars, répartis entre quatre chaînes de cinémas, pour s’assurer qu’une bande-annonce de 60 secondes de la comédie Animal ! L’Animal…, avec Rob Schneider, soit diffusée avant la grande sortie estivale du mois de mai, Le Retour de la momie.
Aujourd’hui, les grands studios hollywoodiens concluent régulièrement des accords marketing d’un an avec les principales chaînes de cinéma, notamment AMC, Regal et Cinemark, afin de garantir la diffusion de leurs bandes-annonces avant les plus grosses sorties. Ces accords, qui vont de deux à cinq millions de dollars chacun, proportionnellement à la taille de la chaîne, peuvent inclure d’autres opportunités de marketing en salle, telles que des publicités sur les stands de vente de snacks ou les marquises des cinémas.
Cependant, ce que cet argent achète exactement n’est pas toujours clair. La plupart des cinéphiles supposent que le système des bandes-annonces est similaire à toute autre dépense publicitaire, mais dans la pratique, les dirigeants des studios affirment qu’il s’apparente souvent davantage à un pot-de-vin. Les studios sélectionnent généralement les films auxquels ils souhaitent associer leurs bandes-annonces, et les exploitants répondent en proposant un certain pourcentage de projections pour chaque titre, généralement entre 50 % et 100 %.
La tradition consistant à réserver gratuitement les deux dernières bandes-annonces au studio qui a produit le film se maintient, mais la valeur des quatre à six autres créneaux est en constante évolution. Des transactions à six chiffres pour la diffusion de bandes-annonces supplémentaires peuvent souvent se concrétiser à tout moment. Ce marché dynamique est déterminé par la popularité prévue d’un film, les sommes versées et, surtout, la crainte de la concurrence.
Le marché des bandes-annonces
L’intérêt pour les bandes-annonces de films en ligne est un indicateur clé pour prédire les résultats au box-office aux États-Unis. Voici la corrélation entre les cinq films ayant généré le plus de recettes à l’échelle américaine en 2025.
Pour compliquer encore davantage le marché, chaque studio ignore ce que les autres paient à une chaîne donnée, et les chaînes ignorent ce que chaque studio paie à la concurrence. De plus, les studios ignorent si les avant-premières dont ils bénéficient auront lieu dans les meilleures salles ou aux meilleurs horaires.
Pour élaborer leur stratégie, certains studios ont fait appel à des sociétés tierces spécialisées dans l’audit des bandes-annonces, qui envoient des personnes dans les salles de cinéma à travers les États-Unis pour noter l’ordre dans lequel toutes les bandes-annonces sont diffusées avant un film donné.
« Cela a toujours été un sujet sensible et confidentiel », explique un responsable de la distribution, qui estime qu’il devrait y avoir plus de transparence, mais qui souhaite rester anonyme. « Cela vient du fait que nous voulons maximiser notre influence sur le public. Une grande partie de la distribution en salles est ancrée dans cette tradition. »
Jusqu’à la pandémie, Disney était connu pour ne jamais avoir à payer pour le placement de ses bandes-annonces en raison de sa position dominante sur le marché. La simple menace de retirer un film ou d’augmenter ses frais de location (le pourcentage prélevé sur les recettes au box-office) suffisait à garantir un bon placement des bandes-annonces auprès des chaînes de cinéma. Les studios concurrents comptaient également sur les nouvelles sorties de Disney pour pouvoir faire la promotion de leurs plus grands films avant eux.
Cependant, Disney n’a détenu la plus grande part du marché du box-office national qu’une seule fois au cours des cinq années qui ont suivi la pandémie, et ces dernières années, les initiés d’Hollywood estiment que la société a commencé à participer au système de paiement pour la diffusion des bandes-annonces, comme tout le monde.
La stratégie des bandes-annonces devient encore plus complexe par la suite. Tous les créneaux non réservés par ces garanties annuelles sont vendus à l’unité ou sous forme de mini-forfaits à des distributeurs indépendants tels que A24 et Neon, qui, dans certains cas, paient jusqu’à un million de dollars à l’ensemble des chaînes pour s’assurer un pourcentage de diffusion de la bande-annonce avant un film particulier.
L’ironie de cet environnement très stressant est que les enjeux sont relativement faibles. Un blockbuster présumé comme Thunderbolts* dispose d’un budget marketing bien supérieur à 100 millions de dollars, et le montant consacré à la publicité télévisée pour un seul film peut être supérieur à ce qu’un studio peut dépenser pour le placement de bandes-annonces pendant toute une année.
Pourtant, les dirigeants des studios affirment que le fait d’atteindre les personnes qui ont déjà acheté leurs billets de cinéma et d’obtenir toute leur attention pour une bande-annonce est souvent le moment où elles décident si elles veulent voir un film à venir. Parallèlement, les publicités télévisées, les publicités numériques et les panneaux d’affichage servent principalement à rappeler aux téléspectateurs la date de sortie d’un film.
C’est la raison pour laquelle les studios peuvent dépenser jusqu’à 200 000 dollars pour produire une bande-annonce de deux minutes et demie, voire trois bandes-annonces complètes pour une campagne marketing de sept mois, comme dans le cas de Thunderbolts*.
L’allongement de la durée des bandes-annonces et l’augmentation du nombre de bandes-annonces au fil des ans semblent avoir poussé certains cinéphiles à bout. Dans le Connecticut, un sénateur de l’État a présenté en janvier un projet de loi qui obligerait les cinémas à afficher l’heure réelle du début du film plutôt que l’heure à laquelle commencent les bandes-annonces.
De plus, lors du CinemaCon, le rassemblement des propriétaires de salles de cinéma aux États-Unis, de nombreuses discussions ont eu lieu autour de la relance de l’initiative visant à limiter la durée des bandes-annonces à deux minutes (une directive envoyée en 2014 par la National Association of Theater Owners a été largement ignorée par les studios).
« Le public adore les bandes-annonces », explique Paul Dergarabedian, analyste média senior chez ComScore, l’un des principaux fournisseurs de données sur le box-office. « Mais [les cinémas] doivent trouver le juste équilibre : il ne faut pas en faire trop, sinon les spectateurs seront lassés avant même que le film commence. »
Pour les studios, une bonne bande-annonce fait souvent office de support marketing numérique le plus efficace dans le cadre de la campagne promotionnelle d’un film, une fois qu’elle est publiée sur YouTube et d’autres plateformes de réseaux sociaux. Selon la même enquête National Research Group, les cinéphiles de la Gen Z ont déclaré que les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille avaient plus d’influence que les bandes-annonces, mais lorsqu’on leur a demandé quel type de contenu sur les réseaux sociaux influençait leurs choix, les bandes-annonces ont une fois de plus remporté la palme d’or.
Daniel Loria, vice-président senior de la stratégie de contenu chez Boxoffice Pro, affirme que le nombre de vues des bandes-annonces en ligne est un indicateur fiable des performances au box-office. « C’est une donnée importante que nous utilisons en interne pour nos prévisions », explique Daniel Loria. « La mise en ligne des bandes-annonces a véritablement changé la donne dans le domaine du marketing cinématographique. »
Il existe toutefois une autre force marketing qui s’est avérée encore plus puissante et imprévisible ces dernières années : la viralité en ligne. Lorsqu’un film devient viral de manière organique, qu’il s’agisse d’une armée d’adolescents en costume allant voir Les Minions 2 : Il était une fois Gru, de la danse de M3gan ou de la récente tendance du « chicken jockey » autour du film Minecraft, le film, cela peut entraîner des résultats bien supérieurs aux prévisions au box-office.
Cependant, les tentatives des distributeurs pour créer ces moments viraux se sont révélées largement vaines, de sorte que pour l’instant, l’accent reste mis sur les bandes-annonces.
« Je pense que ce que tout le monde dans cette industrie a appris, c’est que les moments viraux des films doivent être naturels. On ne peut pas créer un Barbenheimer de toutes pièces », explique Daniel Loria. « Mais dans une salle de cinéma, vous savez que vous avez l’attention du public. Et vous avez deux à trois minutes pour vendre le film. C’est extrêmement précieux. »
Article de Matt Craig pour Forbes US, traduit par Flora Lucas
À lire également : FILM | Les 25 superproductions les plus attendues au cinéma en 2025

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits