Une chose fait consensus : le logement est devenu inabordable. Exemple frappant : en mars, la National Association of Home Builders (NAHB) indiquait que 60 % des ménages américains ne pouvaient pas acheter une maison à 300 000 dollars, alors que le prix médian dépasse désormais largement les 400 000 dollars. Pour la plupart des familles, l’équation financière est tout simplement impossible.
Les causes sont multiples. Le zonage complique la construction. Les matériaux comme le bois et le béton coûtent plus cher. Les promoteurs peinent à recruter de la main-d’œuvre. Les taux hypothécaires sont élevés, et beaucoup de propriétaires déjà installés restent liés à des prêts à moitié moins chers que les taux actuels. Résultat : l’offre reste limitée. D’après realtor.com, le nombre d’annonces actives mensuelles n’a franchi la barre du million qu’en mai. Or, avant la pandémie, ce seuil n’avait jamais été en dessous depuis au moins 2016.
Mais il existe une autre pièce du puzzle.
Depuis les années 1990, les prix de l’immobilier ont flambé, alors que les règles fiscales encadrant la vente d’une résidence principale n’ont pas bougé d’un pouce. L’exonération des plus-values reste plafonnée à 250 000 dollars pour les célibataires et à 500 000 dollars pour les couples mariés. Pour de nombreux propriétaires de longue date — notamment les personnes âgées — cela se traduit par une lourde facture fiscale au moment de vendre. Le passage à un logement plus petit n’est donc souvent pas un choix de confort, mais une contrainte liée à ce qu’il leur reste après impôts.
Les économistes de Moody’s Analytics ont quantifié cet effet dans un rapport publié ce mois-ci.
L’exonération actuelle, instaurée en 1997, avait remplacé un système plus complexe : auparavant, les propriétaires pouvaient différer le paiement de l’impôt en réinvestissant dans un logement de valeur équivalente ou supérieure, et les plus de 55 ans bénéficiaient en outre d’une exonération unique de 125 000 dollars s’ils achetaient plus petit. Le Congrès avait alors choisi la simplicité, fixant un plafond unique de 250 000 dollars pour les célibataires et 500 000 pour les couples, sans possibilité de report. Cette réforme a allégé les démarches administratives des propriétaires comme de l’Internal Revenue Service (IRS), mais le plafond n’a jamais été indexé sur l’inflation — encore moins sur l’évolution des prix de l’immobilier.
Résultat : près de trente ans plus tard, l’exonération a perdu une grande partie de sa valeur réelle. Si le plafond avait suivi la hausse des prix de l’immobilier, Moody’s Analytics estime qu’il serait aujourd’hui de 885 000 dollars pour les célibataires et de 1 775 000 dollars pour les couples. S’il s’était simplement aligné sur l’inflation, il atteindrait 500 000 dollars pour les contribuables célibataires et 1 million de dollars pour les couples.
Moody’s Analytics illustre bien la manière dont cette situation fausse le marché.
Les parents dont les enfants ont quitté le foyer constituent une part importante des ménages installés dans des maisons devenues trop grandes. Près de 6 millions de foyers dirigés par des personnes de 65 ans et plus vivent encore dans des habitations dépassant 2 500 pieds carrés (soit 232 mètres carrés). Beaucoup préféreraient des logements plus petits, plus faciles à entretenir. Mais vendre pourrait leur coûter 100 000 dollars ou plus en impôts, même pour une maison modeste dans un marché où les prix restent élevés. Résultat : l’incitation est de rester sur place jusqu’au décès, moment où les héritiers profitent d’une « remise à zéro » de la base d’imposition, leur permettant de vendre sans avoir à payer de taxe sur les plus-values. En attendant, les jeunes familles demeurent coincées dans des logements trop exigus et les primo-accédants peinent à trouver leur place sur le marché.
Le rapport estime que les seniors occupant des logements surdimensionnés dépensent chaque année entre 3 000 et 5 000 dollars de plus en entretien, charges et impôts qu’ils ne le feraient dans un logement plus petit. Cela représente au total 20 à 30 milliards de dollars de dépenses superflues par an pour cette tranche de population. Pendant ce temps, les familles sous-logées subissent davantage de stress, des résultats scolaires moins bons et une santé plus fragile. Cette mauvaise allocation des ressources pèse sur l’ensemble de l’économie, en freinant la mobilité de la main-d’œuvre et en limitant la croissance de l’emploi dans les grandes métropoles.
À première vue, on pourrait penser que les ménages les plus aisés sont les principaux bénéficiaires d’une exonération plus généreuse. Ce n’est pourtant pas le cas.
Moody’s Analytics souligne que nombre de ceux qui dépassent les plafonds fiscaux actuels ne sont pas des ménages aisés. Les veuves, par exemple, ne disposent que de deux ans après le décès de leur conjoint pour vendre leur maison et bénéficier encore de l’exonération complète de 500 000 dollars. (Elles profitent toutefois d’un avantage : la moitié de la maison appartenant au défunt bénéficie d’une réévaluation permanente de la base d’imposition, à condition que le bien ait été détenu conjointement.)
Les propriétaires de la classe moyenne installés dans des États au coût de la vie élevé, comme la Californie ou le Massachusetts, sont eux aussi pénalisés, même avec des revenus modestes. Une étude de l’IRS avait d’ailleurs montré qu’en 1995-1996, entre 20 % et 25 % des impôts perçus au titre des règles actuelles provenaient de contribuables dont les revenus étaient inférieurs à 20 000 dollars.
À l’inverse, les ménages plus fortunés disposent souvent de solutions pour contourner l’impôt : ils peuvent choisir le moment de la vente, déménager plus fréquemment (ce qui limite l’accumulation de plus-values et maintient les gains sous le plafond), ou encore transmettre directement leur maison à leurs héritiers. Résultat : la charge fiscale retombe souvent sur ceux qui sont le moins en mesure de la supporter.
« Une réforme de l’impôt sur les plus-values ne résoudra pas, à elle seule, la crise du logement, mais elle peut s’intégrer dans un ensemble plus large de solutions », souligne Cristian deRitis, économiste en chef adjoint chez Moody’s Analytics et coauteur de l’étude avec l’économiste en chef Mark Zandi. Selon lui, les décideurs disposent de peu de leviers au niveau fédéral pour agir sur le zonage ou l’offre de logements. En revanche, le traitement fiscal des plus-values fait partie des rares instruments dont ils peuvent se saisir.
Le Congrès a déjà tenté à plusieurs reprises de relever les plafonds. Le Congressional Research Service rappelle qu’il y a eu, depuis 1997, diverses propositions : certaines pour indexer les seuils, d’autres pour créer des allègements spécifiques aux personnes âgées. Deux projets de loi sont actuellement à l’étude. Le More Homes on the Market Act (H.R. 1340), présenté par le démocrate californien Jimmy Panetta, doublerait les exclusions et les indexerait sur l’inflation. Le No Tax on Home Sales Act (H.R. 4327), proposé par la républicaine de Géorgie Marjorie Taylor Greene, supprimerait purement et simplement le plafond.
La Maison-Blanche suit le dossier. En juillet, le président Trump, interrogé sur le texte de Mme Greene, a répondu : « Nous y réfléchissons », avant de revenir sur son thème favori, la baisse des taux d’intérêt. « Si la Fed baissait les taux, nous n’aurions même pas besoin de faire cela. Mais nous envisageons de supprimer l’impôt sur les plus-values immobilières. »
D’après l’analyse de Moody’s Analytics, chacune de ces options comporte avantages et inconvénients. Supprimer le plafond pourrait libérer des centaines de milliers de logements, renforcer les recettes fiscales locales et fluidifier le marché. Mais cela risquerait aussi d’accentuer la concurrence sur le segment d’entrée de gamme, en mettant en compétition les ménages souhaitant réduire la taille de leur logement et les primo-accédants.
L’histoire montre que les réformes fiscales produisent souvent des effets inattendus. Ainsi, la suppression de la déduction des intérêts de carte de crédit par la réforme de 1986 avait déclenché un boom des prêts hypothécaires. À long terme, donner encore plus d’avantages fiscaux à la propriété immobilière pourrait alimenter une nouvelle flambée des prix. C’est tout le paradoxe : une exonération plus généreuse pourrait libérer des ménages prisonniers de logements trop vastes et desserrer, au moins en partie, l’étau de la pénurie. Mais cela pourrait tout aussi bien se retourner contre eux, en dopant la demande et en rendant l’accès au logement encore plus coûteux.
(Avec l’aide de Kelly Phillips Erb)
Un article de Brandon Kochkodin pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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