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Comment l’Américain Hakeem Jeffries est devenu millionnaire

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Le chef de la minorité à la Chambre des représentants, Hakeem Jeffries, démocrate de New York, tient une conférence de presse le septième jour du shutdown aux États-Unis, le mardi 7 octobre 2025. Getty Images
Hakeem Jeffries, chef de la minorité à la Chambre des représentants et figure incontournable de la politique américaine, jouit aujourd’hui d’une solide aisance financière, malgré le financement complet des études universitaires de ses deux enfants.

Il y a vingt ans, pourtant, Hakeem Jeffries menait une tout autre carrière. Avocat chez CBS, il venait tout juste de participer à la défense de la chaîne dans l’affaire du célèbre « incident vestimentaire » (scandale du Nipplegate) de Janet Jackson lors du Super Bowl 2004.

À l’époque, le magazine Crain’s New York Business lui consacrait un portrait, pressentant déjà ses ambitions politiques. On y apprenait qu’il envisageait de se présenter à l’Assemblée de l’État de New York pour représenter Brooklyn. Le magazine soulignait alors qu’une victoire lui coûterait cher : « une réduction de salaire considérable et de longs allers-retours vers la morne Albany ». Mais Jeffries ne se laissait pas décourager. « Le service public implique des sacrifices », confiait-il alors à Crain’s.

Sa victoire en 2006, qui lui a enfin permis de décrocher le siège convoité après deux tentatives infructueuses, a marqué le véritable point de départ de la carrière politique de Hakeem Jeffries. À l’époque, le poste rapportait un salaire annuel de 79 500 dollars — bien loin de ce qu’il aurait pu toucher comme avocat d’entreprise. Mais cette décision allait tracer la voie qui le mènerait, près de vingt ans plus tard, à la tête des démocrates à la Chambre des représentants, en pleine fermeture du gouvernement fédéral.

S’il a sans doute renoncé à une fortune plus grande en quittant le secteur privé, Jeffries n’en demeure pas moins très à l’aise. Entre ses appartements à Brooklyn et à Washington, D.C., ses deux pensions et des finances confortables après avoir payé les études universitaires de ses enfants, sa situation reste enviable. Selon Forbes, sa fortune personnelle avoisinerait les 2 millions de dollars. C’est davantage que celle de son homologue républicain, le président de la Chambre Mike Johnson, évaluée à 350 000 dollars en 2024, mais moins que celles des leaders du Sénat, John Thune (3 millions de dollars) et Chuck Schumer — autre figure de Brooklyn — estimée à 7 millions.


Issu d’un milieu modeste, Jeffries a grandi dans une famille de la classe moyenne new-yorkaise. Son père, ancien aviateur de l’armée de l’air, a travaillé comme spécialiste dans de la lutte contre les addictions pour l’État de New York, tandis que sa mère a mené une carrière d’assistante sociale. Né en 1970 à Brooklyn, il a passé son enfance à Crown Heights avant de partir, en 1988, étudier les sciences politiques à l’université de Binghamton. Diplômé en 1992, il a poursuivi avec une maîtrise en politique publique à Georgetown (1994), puis un diplôme de droit à l’université de New York (1997). Cette même année, il a épousé Kennisandra Arciniegas — rencontrée, dit-on, sur les bancs de Binghamton — aujourd’hui employée d’une organisation de services juridiques. Le couple a ensuite eu deux fils.

Après un passage comme greffier auprès d’un juge fédéral du district sud de New York, Hakeem Jeffries a rejoint le prestigieux cabinet Paul, Weiss, Rifkind, Wharton & Garrison — récemment sous le feu des projecteurs pour avoir provoqué la colère de Donald Trump, avant d’accepter de fournir 40 millions de dollars de services juridiques pro bono à son administration.

Mais Jeffries nourrissait déjà des ambitions politiques. En 2000, il se lance dans la course à un siège de l’Assemblée de l’État de New York, pour représenter Brooklyn. Il perd les primaires démocrates, battu de 18 points par Roger Green, un élu en place depuis vingt ans. Deux ans plus tard, alors qu’il prépare un possible retour en politique, il apprend que son appartement ne fait plus partie du district de Green — un redécoupage qui, d’après un portrait paru en 2023, l’a pris complètement de court. « Le redécoupage électoral, c’était une version plus polie d’une pierre lancée à travers votre fenêtre », confiait à PoliticoErrol Louis, un autre aspirant politicien de l’époque.

Peu importe, Jeffries persévère. Il reste chez Paul Weiss, puis rejoint les services juridiques de Viacom et CBS. En décembre 2005, il revend son appartement — celui-là même retiré du district — pour 506 000 dollars, et semble déménager à quelques pâtés de maisons : assez près pour pouvoir se présenter à nouveau. En 2006, il retente sa chance et, cette fois, remporte la primaire ouverte qui lui ouvre enfin les portes de l’Assemblée.

L’année suivante, Jeffries s’ancre plus durablement dans le quartier. En 2007, il achète avec son épouse un appartement de trois chambres à Prospect Heights pour 559 000 dollars, financé par un emprunt d’environ 425 000 dollars. Depuis, le couple a régulièrement puisé dans la valeur de leur bien pour dégager des liquidités. D’après Forbes, ils auraient aujourd’hui emprunté au moins autant que le montant initial du prêt — mais la valeur de leur logement a explosé, atteignant environ 1,6 million de dollars avant dette.

Pour compléter ses revenus, le jeune élu travaille quelque temps pour le cabinet Godosky and Gentile, spécialisé dans les affaires de dommages corporels. Il y gagne environ 116 000 dollars en 2011, puis 60 000 dollars en 2012. Sa carrière politique s’avère rapidement plus lucrative : la même année, il décroche un siège à la Chambre des représentants, doublant ainsi son salaire pour atteindre 174 000 dollars par an.

Au moment de son entrée au Congrès, la majeure partie de l’épargne du couple Jeffries se trouvait dans des comptes de retraite et des polices d’assurance-vie. Il déclarait également un compte détenu par sa femme dans une coopérative de crédit, d’une valeur estimée entre 15 000 et 50 000 dollars.

L’année 2015 marque un tournant financier. Bien qu’il ait quitté Godosky and Gentile pour siéger à Washington, Jeffries conserve des parts dans certaines affaires qu’il avait traitées. Cette année-là, il déclare avoir perçu au total 1,6 million de dollars issus de ces dossiers. Une partie de cette somme est investie dans deux plans 529 d’épargne universitaire (entre 100 000 et 200 000 dollars au total), tandis qu’il achète aussi plusieurs fonds négociés en bourse et garde une part importante de ses liquidités sur des comptes du marché monétaire.

En 2017, il investit dans l’immobilier à Washington, achetant un appartement dans le quartier en plein essor de Navy Yard pour 325 000 dollars. Le bien vaut aujourd’hui environ 500 000 dollars, avant déduction d’une dette estimée à quelque 350 000 dollars.

La trajectoire politique de Jeffries continue de s’accélérer. En 2019, il devient président du caucus démocrate, puis joue un rôle de premier plan lors de la première procédure de destitution de Donald Trump en 2020, défendant la position de la majorité démocrate devant le Sénat — qui finira par acquitter le président. Trois ans plus tard, en 2023, il succède à Nancy Pelosi à la tête du Parti démocrate à la Chambre des représentants, devenant ainsi chef de la minorité dans une Chambre désormais dominée par les républicains. Ce nouveau poste s’accompagne d’une revalorisation salariale, portant ses revenus à 193 400 dollars par an.

Ces dernières années, les finances de Jeffries ont surtout été absorbées par les frais d’études de ses enfants. En 2019, son fils aîné suit ses traces en entrant à l’université de Binghamton, avant de rejoindre l’université de Boston l’année suivante — où la scolarité atteint aujourd’hui près de 90 000 dollars par an. Il poursuit actuellement des études de droit. (On ignore où son cadet a fait ses études.)

À partir de 2019, Hakeem Jeffries commence à déclarer une hausse des ventes de titres détenus dans les comptes d’épargne universitaire 529. Selon sa dernière déclaration financière, datée de fin 2024, ces comptes ont depuis été presque entièrement vidés. Le portefeuille d’investissement du couple semble lui aussi s’être allégé : ils disposent désormais d’actifs liquides évalués entre 280 000 et 880 000 dollars, contre 440 000 à 1,2 million en 2018.

Le couple a également contracté en 2022 une ligne de crédit hypothécaire sur leur appartement new-yorkais. Le montant du prêt déclaré est passé de « 15 000 à 50 000 dollars » en 2022 et 2023 à une fourchette comprise entre « 100 000 et 250 000 dollars » en 2024. Autre évolution : Jeffries a contracté en août 2024 un prêt étudiant d’un montant estimé entre 15 000 et 50 000 dollars — sa plus importante dette personnelle hors immobilier. Le bureau du député n’a pas immédiatement répondu aux questions de Forbes concernant son évaluation financière ou ses récentes opérations patrimoniales.

S’il n’aura sans doute plus à débourser d’aussi grosses sommes pour l’éducation de ses enfants, l’avenir financier du chef démocrate, âgé de 55 ans, semble bien engagé. Si les démocrates reprennent le contrôle de la Chambre des représentants en 2026, Jeffries serait presque assurément leur candidat au poste de président — une promotion qui porterait son salaire à 223 500 dollars par an. Ce poste, ajouté à ses années de service supplémentaires dans un siège démocrate solidement acquis, augmenterait sensiblement la valeur de sa pension, qu’il pourrait commencer à percevoir dès 62 ans.

Et, comme l’histoire récente l’a montré, les anciens présidents de la Chambre s’en sortent plutôt bien après leur départ. Paul Ryan, par exemple, a rejoint le conseil d’administration de Fox Corporation en 2019 et perçoit aujourd’hui plus de 350 000 dollars par an.

 

Un article de Kyle Khan-Mullins pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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