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Comment L’Algérie Veut Se Muer En État Entrepreneur

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Encore tributaire de la rente pétro-gazière, l’Algérie plus grand pays d’Afrique – et du monde arabe – tente de diversifier son économie et mise ainsi sur « l’énergie entrepreneuriale » qui gagne du terrain, notamment dans la capitale Alger. Reportage.

La page des hydrocarbures est-elle sur le point d’être tournée ? Si une telle assertion peut paraître encore – très – prématurée, force est de constater que l’Algérie, plus grand pays d’Afrique depuis la scission en deux Etats du Soudan, ne ménage pas sa peine pour diversifier une économie, dont le « regard » était davantage rivé sur les fluctuations du cours du baril de pétrole que sur de nouveaux champs des possibles à explorer. Mais ces « oeillères » semblent avoir vécu. Du moins en théorie. L’Algérie a ouvert ses grands yeux et s’est (enfin) mise à contempler un horizon qui regorge de perspectives toutes plus novatrices les unes que les autres. Diverses initiatives devant lui permettre, à terme, de ne plus trembler sur ses fondations à chaque « turbulence » pétrolière.

Cette mue vers une économie diversifiée a d’ailleurs véritablement pris corps il y a deux ans lorsque, pour la première fois de son histoire, la patrie d’Albert Camus a vu les recettes fiscales du secteur privé surpasser celles du secteur des hydrocarbures. Une « fierté » pour les participants du Forum des Chefs d’Entreprises (FCE), l’équivalent du Medef local, réunis pour débattre de l’avenir du pays en juin dernier à Alger. Un mouvement patronal qui revendique plus de 4 000 adhérents et qui a également créé une « section jeunes », sur laquelle nous reviendrons. Ces patrons qui militent pour le bien de « l’entreprise Algérie », mesurent les efforts accomplis ces dernières années. « L’Algérie a fait un saut qualitatif assez incroyable, notamment en matière d’infrastructures », appuie Ali Haddad, président du FCE. Le pays dispose d’ailleurs du « deuxième potentiel mondial » en termes d’énergie solaire, sans oublier une dette étatique « quasi » nulle. Mais la route s’annonce longue et tortueuse pour une nation dont les hydrocarbures représentent encore 95% des exportations et l’industrie seulement 5% du PIB.

La « jeunesse au pouvoir »

D’ailleurs, les exemples de pays ayant réussi à « tourner la page » des hydrocarbures se comptent sur le doigt d’une main -la Norvège oeuvrant également dans ce sens- et cette stratégie peut s’avérer périlleuse. Prudence étant mère de sûreté, les pouvoirs publics, s’ils veulent persister dans cette voie, vont devoir s’armer de patience et avancer pas à pas. Avec rigueur et méthode. Mais le pays en a vu d’autres. Confrontée au terrorisme et à la « décennie noire » qui a coûté la vie à plus de 150 000 personnes et plombé une économie déjà brinquebalante, l’Algérie a su renaître de ses cendres. « N’oubliez jamais que l’Algérie est un pays qui a su surpasser bien des tragédies. Depuis 1999 (et la politique de « Concorde civile » menée par le président Bouteflika ndlr), nous oeuvrons à la réconciliation des Algériens avec eux-mêmes », explique le ministre des Affaires étrangères, Abdelkader Messahel, « proche parmi les proches » du président Bouteflika. Le seul à qui le chef de l’Etat accorde encore des audiences privées. 

Interrogé à son tour sur l’après-pétrole, le chef de la diplomatie algérienne rétorque par une « pirouette » sibylline. « Lorsque l’on m’évoque les perspectives de l’après-pétrole, j’ai tendance à évoquer ce qu’était l’Algérie avant-pétrole avec des secteurs forts comme l’étaient, à cette époque, l’agriculture et le vin », sourit ce féru d’histoire, désireux de partager avec ces interlocuteurs sa parfaite connaissance de la nation algérienne, quitte à remonter à des temps immémoriaux. Mais si utiliser des lueurs du passé pour éclairer l’avenir a ses vertus, le « salut » de la diversité économique algérienne pourrait venir de sa jeunesse. La « force du nombre » aidant – un quart des 42 millions d’Algériens sont encore sur les bancs de l’école -, la patrie de Saint- Augustin pourrait profiter de la « créativité « et de l’insouciance de cette jeunesse pour accélérer cette transformation économique.

Intelligence artificielle, Blockhain, IoT …

Cette jeunesse décidée à porter sur les fonts baptismaux un véritable écosystème start-up en Algérie. Sous la houlette de Mohamed Skander, président du Jil’ FCE, l’organisation de jeunesse du patronat algérien, les initiatives sont légion. Ainsi, les 1 500 membres actifs de ce réseau ont oeuvré à l’édition d’un guide « méthodologique » pour les jeunes entrepreneurs. « La jeunesse a besoin de développer son esprit d’entreprise et ce guide a vocation à répondre aux problématiques des entrepreneurs », développe le jeune homme qui souhaite porter des thématiques comme l’Intelligence Artificielle, la Blockchain ou l’IOT dans le débat public. Tout en « débroussaillant » les contingences administratives et la bureaucratie qui constituent encore malheureusement un frein à la création d’entreprise et de valeur dans le pays.

Après la « théorie », la pratique avec un atelier thématique où plusieurs équipes s’affairent à mettre en branle leur projet respectif. Un « bouillonnement d’idées » embaume rapidement l’atmosphère. Mention spéciale pour ces étudiantes de 4e année de l’école supérieure d’informatique d’Alger qui travaillent à l’élaboration d’une application web et mobile qui propose des activités récréatives (sport, dessin, musique) ou une aide aux devoirs aux enfants qui ne peuvent être pris en charge par leurs parents à la fin de l’école. « Cette idée a germé dans nos esprits après les absences répétées de l’un de nos professeurs », sourit Myriam, l’une des étudiantes à la tête de ce projet. Les petits ruisseaux font les grandes rivières. L’Algérie des entrepreneurs est dans les starting-blocks.

 

Entretien. Mohamed Skander : « Diffuser l’esprit d’entreprendre en Algérie »

A la tête de l’organisation de jeunesse du Forum des Chefs d’entreprises baptisée « Jil’FCE » (Jil pour génération en arabe), Mohamed Skander oeuvre à l’émergence d’un écosystème entrepreneurial en Algérie, en distillant notamment conseils et prescriptions aux jeunes Algériens(nes) désireux de se lancer. 

Pouvez-vous revenir, dans les grandes lignes, sur votre parcours professionnel jusqu’à la création du Jil FCE ?

Après une classe préparatoire à Bordeaux (lycée Montaigne) j’ai rejoint l’Edhec Business School et je me suis spécialisé en Corporate Finance à la Stockholm School of Economics. J’ai débuté ma carrière en tant qu’auditeur chez EY à Paris, où j’ai également pu faire du conseil. Je suis ensuite parti à Genève dans les équipes Commodity Finance de BNP Paribas. Je suis rentré en Algérie en 2013 pour fondé mon cabinet Bravehill, devenu depuis BH Advisory. J’ai développé plusieurs activités en Algérie où j’ai trouvé un terrain très propice au développement de services. En parallèle de mon parcours entrepreneurial, j’ai adhéré au Forum des Chefs d’Entreprise, la principale organisation patronale du pays. Le président du FCE a alors eu l’idée de créer une section dédiée aux jeunes car il est convaincu que l’esprit d’entreprise doit se cultiver tôt. Le thème de l’entrepreneuriat des jeunes est un sujet très important à ses yeux et c’est vrai qu’il s’agit d’un défi national. Nous avons ainsi fondé avec d’autres jeunes membres le Jil FCE que je préside aujourd’hui.

Pouvez-vous également  nous présenter la manière dont fonctionne cette organisation ainsi que sa « feuille de route » (nombre de membres, maillage du territoire etc) ?

Le jil’FCE est une section du FCE dédiée aux membres de moins de 40 ans et à l’innovation. Nous diffusons l’esprit d’entreprendre et représentons les revendications des jeunes entrepreneurs. Nous signons des conventions avec divers partenaires pour favoriser le financement et le développement des jeunes entreprises. Nous profitons également de l’expérience des capitaines d’industrie afin de transmettre les expériences et savoir faire entre générations. Nous avons aujourd’hui environ 1500 membres répartis sur tout le territoire algérien. Un délegué dans chacune des wilayas (département) est d’ailleurs en charge d’organiser la vie du jil FCE localement avec ses équipes. 

Le Jil FCE a-t-il vocation à poser les jalons d’un écosystème entrepreneurial en Algérie, qui certes existe déjà mais comment réussir à l’étendre et l’étoffer davantage ? De quels leviers disposez-vous pour y parvenir ?

En effet, écosystème est le mot juste. Nous avons beaucoup de membres dont les entreprises se développent grâce à leur grand sens d’adaptation mais si l’on veut augmenter le nombre de créations d’entreprises nous devons collaborer avec les institutions, qui travaillent déjà sur ces thèmes, pour faciliter l’acte d’entreprendre. Vous savez quand on lance son projet on doit avoir un côté schizophrène, on doit être à la fois le commercial, le financier, le responsable de production, le DRH … durant ces années compliquées un écosystème bien construit s’avère d’un grand secours.

Lors de notre rencontre, vous avez évoqué le rôle de conseil du jil’FCE, celui-ci prodiguant les principaux conseils et autres écueils à éviter pour tout jeune algérien(ne) désireux (se) d’entreprendre ?

Oui nous tentons par différentes actions d’aider les jeunes entrepreneurs à acquérir des compétences et surtout à échanger avec les autres entrepreneurs ou experts pour gagner en connaissances. Nous organisons des afterworks et conférences thématiques, des guides, des coaching avec les grands entrepreneurs … Les conseils varient selon les chefs d’entreprise mais s’il y a un conseil que je mettrais en avant c’est celui d’étudier son marché et l’environnement dans lequel on évolue, c’est à dire comprendre le fonctionnement de toutes les parties prenantes auxquelles on aura à faire face, et collecter le maximum d’information. C’est le premier pas vers la réussite. 

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