Pour faire face à une concurrence accrue, la Commission européenne a présenté un plan d’action pour soutenir l’industrie de la chimie en Europe. Mais l’horizon demeure incertain pour ce pilier stratégique de l’économie.
L’industrie pétrochimique européenne traverse une crise majeure. Sous la pression de la concurrence internationale — en particulier chinoise —, de la vétusté des installations et du manque de compétitivité, les fermetures de sites industriels s’enchaînent. En deux ans, plus de 20 sites ont mis la clé sous la porte dans l’Union européenne. Le secteur, pourtant essentiel, alimente des filières aussi diverses que la pharmacie, l’automobile, le textile ou encore l’agroalimentaire. La perte de capacité locale menace ainsi non seulement des dizaines de milliers d’emplois, mais aussi la souveraineté industrielle européenne.
La branche chimique du groupe italien Eni a, par exemple, cumulé plus de trois milliards d’euros de pertes sur les cinq dernières années. L’énergéticien a annoncé la fermeture de ses deux derniers vapocraqueurs — ces usines qui transforment les hydrocarbures en éthylène, propylène ou autres composants chimiques de base — fin 2024, dans le cadre de son plan de transformation. Ce cas est loin d’être isolé. D’autres géants comme Dow, ExxonMobil, TotalEnergies ou Shell ferment ou réévaluent également leurs actifs chimiques en Europe. Selon un document de l’Union européenne publié en mars, jusqu’à 50 000 emplois pourraient être menacés par des fermetures supplémentaires de crackers d’ici à 2035.
Bruxelles veut inverser la donne
Les usines européennes tournent actuellement en moyenne à moins de 80 % de leur capacité, un niveau jugé insuffisant pour rester économiquement viable. Jusqu’à 40 % de la capacité de production d’éthylène de l’UE – qui s’élève à 24,5 millions de tonnes – est à risque élevé ou moyen de fermeture, selon le cabinet Wood Mackenzie, incluant les fermetures annoncées depuis fin 2024. Résultat : l’Europe devient de plus en plus dépendante d’importations de ces produits chimiques de base.
Pour enrayer ce déclin, la Commission européenne a dévoilé, le 8 juillet 2025, un plan de soutien ambitieux baptisé Chemical Industry Package. Il repose sur plusieurs axes :
- La création d’une Alliance européenne des produits chimiques critiques, afin de sécuriser l’approvisionnement en molécules stratégiques comme le méthanol, dont 80 % sont aujourd’hui importés.
- Un durcissement des instruments commerciaux face aux pratiques déloyales, grâce à l’activation du mécanisme de réciprocité et à la multiplication des enquêtes anti-subventions – déjà 18 procédures lancées depuis janvier 2024.
- Un soutien renforcé à la décarbonation et à la modernisation du secteur, via une mobilisation accrue des aides d’État et une simplification des procédures d’autorisation.
- Un allègement ciblé de la charge réglementaire, avec des ajustements prévus sur l’étiquetage, des dérogations pour certains produits comme les cosmétiques et les engrais, ainsi qu’une réduction des délais administratifs.
Des capacités de production bien moins importantes
Malgré ces annonces, l’horizon reste sombre pour l’industrie chimique du Vieux Continent. Les usines du Vieux Continent continuent de s’appuyer majoritairement sur la naphta comme matière première, alors que les États-Unis et les pays du Moyen-Orient utilisent majoritairement l’éthane — un sous-produit du gaz de schiste, nettement moins coûteux, mais au coût environnemental plus controversé. Résultat : produire une tonne d’éthylène coûte environ 800 dollars en Europe, contre moins de 400 dollars aux États-Unis et autour de 200 dollars au Moyen-Orient, selon une présentation d’Eni en mars 2025. Un différentiel de compétitivité qui handicape structurellement les producteurs européens.
Sur le plan des volumes, la compétition mondiale est également défavorable à l’Europe. Selon ADI Analytics, l’Amérique du Nord devrait atteindre 58 millions de tonnes d’éthylène par an d’ici 2030, tandis que la Chine, avec une croissance annuelle prévue de 6,5 %, vise près de 87 millions de tonnes à la même échéance, d’après le China National Chemical Information Center. L’Union européenne, elle, plafonne aujourd’hui à moins de 30 millions de tonnes, et semble incapable de suivre le rythme.
Le défi n’est pas seulement économique. La plupart des installations européennes ont plus de 40 ans, contre une moyenne de 11 ans en Chine — un retard technologique considérable qui nécessiterait des investissements colossaux pour espérer rester dans la course. La modernisation seule ne suffira pas si le cadre économique et énergétique n’est pas également repensé.
À lire aussi : Chimie européenne : Bruxelles sort l’artillerie lourde pour sauver un secteur stratégique

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits