La dernière conférence téléphonique sur les résultats de Chevron a inspiré au Wall Street Journal un article au titre percutant : « The Leaner, Meaner Chevron » – littéralement, « Chevron, plus affûtée et plus agressive ». Le quotidien économique a accompagné son analyse d’une illustration représentant le PDG Mike Wirth devant une gigantesque machine industrielle crachant de la fumée, ganté comme un boxeur et affichant une expression résolue, prêt à mener le combat.
À la lecture de la transcription de la conférence, aucun ton agressif ne transparaît. Il est certes question de réorganisation, mais nullement d’un changement de cap stratégique. Au contraire, le PDG Mike Wirth insiste sur la continuité, affirmant vouloir « réaffirmer la cohérence de notre stratégie », centrée sur la croissance et la création de valeur pour les actionnaires. L’innovation y est présentée non comme un levier de transformation, mais comme un outil d’efficacité. Ni les clients ni l’environnement ne sont évoqués. Le message est limpide : l’objectif premier reste la rentabilité pour les actionnaires — et les dirigeants. La rémunération de Mike Wirth, d’ailleurs, en dit long : elle est passée de 28 à 33 millions de dollars entre 2023 et 2024.
Changer la culture ?
En février dernier, selon le Wall Street Journal, le PDG de Chevron, Mike Wirth, a lancé un message sans détour aux 40 000 employés du groupe lors d’une réunion interne : « Cessez d’être si gentils les uns avec les autres. » Six mois plus tard, le même journal affirme que Chevron est en train de « remanier la culture » du géant pétrolier.
Mais derrière ce terme, il ne s’agit visiblement pas d’une révolution culturelle mais plutôt d’un réajustement de façade. Wirth lui-même campe sur ses positions : « Je suis extrêmement fier de la culture de Chevron et je ne l’échangerais pour rien au monde », a-t-il déclaré, tout en affirmant : « Nous travaillons à la renforcer encore davantage, en mettant un accent plus marqué sur la performance, en agissant plus rapidement et plus efficacement, en simplifiant notre organisation et en misant sur une innovation ciblée. »
Autrement dit, plutôt qu’une remise à plat en profondeur, Chevron s’offre un simple lifting de ses pratiques. Aucun réexamen de fond de ce que signifie être une major pétrolière à l’ère du numérique, de l’intelligence artificielle et de la crise climatique. À la clôture de la conférence téléphonique, Wirth s’est d’ailleurs contenté de réaffirmer « la cohérence de la stratégie » du groupe, son attachement à la discipline financière, et sa promesse renouvelée de « rendements supérieurs pour les actionnaires ».
En somme, Chevron ne cherche pas à se réinventer, mais à se rapprocher encore un peu plus du modèle d’ExxonMobil. Une comparaison qui tombe à point : Chevron vient de remporter un arbitrage coûteux et prolongé contre ExxonMobil sur les droits de forage en Guyane, une victoire symbolique dans cette rivalité silencieuse.
Côté résultats, malgré des revenus en deçà des attentes au dernier trimestre, le bénéfice par action est en hausse — un effet bien connu des rachats massifs d’actions, dont l’impact réel sur la performance économique reste sujet à débat.
Réorganisation : un simple jeu de boîtes ?
Lors de la conférence téléphonique, Devin McDermott, analyste chez Morgan Stanley, a posé une question courtoise mais pertinente : en quoi la nouvelle structure de Chevron diffère-t-elle de l’ancienne ? La réponse est restée vague. « Nous venons d’un modèle opérationnel décentralisé, avec une forte exécution et des relations locales solides. Nous voulons capitaliser sur cette base pour créer davantage de valeur. »
Derrière cette formule, l’objectif est clair : centraliser, standardiser et réduire les effectifs pour faire baisser les coûts. Chevron espère aussi accélérer l’adoption de technologies comme l’intelligence artificielle, dans le but d’optimiser la fracturation hydraulique en temps réel ou d’améliorer l’analyse des données d’exploration.
Chevron reste fidèle à sa mission première : le forage
Sous ces promesses de modernisation, la mission reste inchangée : forer, toujours forer. Et surtout, maximiser les profits pour les actionnaires et les dirigeants.
Mike Wirth, qui a passé 40 ans au sein du groupe, incarne cette stratégie de continuité. Fort de sa récente victoire juridique dans un arbitrage face à ExxonMobil, il continue de rapprocher Chevron de son rival, souvent décrit comme « un cabinet d’avocats qui extrait du pétrole ».
Le déménagement du siège de Chevron de la Californie vers le Texas en est une illustration : en quittant un État plus soucieux des questions environnementales et sociales, l’entreprise rejoint ExxonMobil dans un environnement réglementaire plus accommodant. À Houston, Chevron peut forer en paix, et engranger les bénéfices.
Un avenir pour Chevron au-delà du forage : l’exemple Equinor ?
Le pétrole reste une industrie puissante, mais son déclin est amorcé. Le forage ne disparaîtra pas du jour au lendemain, mais de nombreuses projections anticipent un lent déclin sur 30 à 50 ans, avant que le secteur ne devienne marginal d’ici 2070. Chevron pourrait donc continuer à prospérer pendant encore quelques décennies avec son credo inchangé : « Drill, baby, drill. »
Cependant, avec une vision différente à sa tête, le groupe pourrait aussi s’ouvrir à un autre avenir ; un avenir plus en phase avec les grandes préoccupations sociétales et environnementales. L’exemple d’Equinor, l’ex-Statoil norvégienne, montre qu’une telle transition est possible. Autrefois purement pétrolière comme Chevron, Equinor a entamé dès 2007 une diversification vers les énergies renouvelables et les métaux critiques comme le lithium.
La comparaison sur la dernière décennie est éloquente. Bien qu’Equinor reste bien plus modeste en taille, sa performance relative entre 2015 et 2025 dépasse celle de Chevron :
- Capitalisation boursière: +35 % (de 50 à 67,7 milliards de dollars), contre +20 % pour Chevron (de 210 à 260 milliards de dollars).
- Cours de l’action: +66 % pour Equinor, contre environ +20 % pour Chevron.
- Chiffre d’affaires: +72 % (de 60 à 103 milliards de dollars), contre +54 % pour Chevron.
Ces chiffres suggèrent qu’il n’est pas nécessaire de renoncer à la rentabilité pour embrasser l’innovation. Peut-être est-il temps pour Chevron d’envisager un futur au-delà du pétrole. Car aujourd’hui, les entreprises qui cherchent à créer de nouvelles formes de valeur — et pas seulement du profit immédiat — sont aussi celles qui construisent leur succès sur le long terme.
Une contribution de Steve Denning pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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