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Après quatre décennies passées dans la Silicon Valley, cet ingénieur est devenu milliardaire grâce à l’essor de l’IA

Pure Storage
Logo Pure Storage. Getty Images
John Colgrove, le discret cofondateur de Pure Storage, entre dans le club des milliardaires après avoir conclu un contrat conséquent avec Meta, dans un contexte de forte demande pour le stockage de données.

Surnommé « Coz » depuis l’enfance, John Colgrove apparaît en visioconférence depuis une chambre d’hôtel à Vienne. Malgré son statut de cofondateur et « directeur visionnaire » de Pure Storage, ce sexagénaire reste fidèle à son style minimaliste : t-shirt noir, short de sport gris et baskets New Balance, un uniforme qu’il arbore depuis des décennies. Hostile aux logos et adepte de la simplicité, il assume son goût pour la constance.

Sa part de 4 % dans Pure Storage (valorisée environ 1,2 milliard de dollars après une capitalisation boursière de 30 milliards) fait désormais de lui un milliardaire. Interrogé sur son nouveau statut, il élude avec simplicité : « Je me concentre sur le plaisir et l’excitation de bâtir une grande entreprise », écrit-il par e-mail, ajoutant : « Je me réjouis du succès de Pure. »

Ses mots ne le laissent pas transparaître, mais c’est une période très excitante pour Colgrove et son entreprise. Fondée en 2009 pour exploiter l’essor des clés USB, Pure Storage connaît une année exceptionnelle, portée par le boom de l’intelligence artificielle et la demande croissante en solutions de stockage rapides et fiables.

Un accord majeur avec Meta, visant à construire ses superordinateurs IA (qui, selon l’analyste Simon Leopold de Raymond James, pourrait augmenter les bénéfices de l’entreprise d’un million de dollars l’an prochain) a propulsé l’action de Pure Storage à des niveaux historiques, avec une hausse de 70 % sur l’année passée. Le chiffre d’affaires a atteint 3,2 milliards de dollars, en progression de 12 %, tandis que le bénéfice net a bondi de 74 % pour atteindre 107 millions de dollars en 2024.


Cette croissance est d’autant plus remarquable que la demande globale en matière de stockage de données est restée relativement stable ces dernières années. Selon l’International Data Corporation, les entreprises ont dépensé 33,5 milliards de dollars dans le monde pour des systèmes de stockage l’an dernier, soit une hausse de seulement 2,5 % par rapport à 2023, après une baisse en 2022. Mais avec l’intelligence artificielle, la demande s’emballe : McKinsey estime que les entreprises pourraient investir jusqu’à 800 milliards de dollars dans le stockage de données lié à l’IA au cours des cinq prochaines années.

La mémoire flash, spécialité de Pure Storage, coûte deux à trois fois plus cher que les disques durs traditionnels. Mais les entreprises semblent prêtes à investir davantage dans cette technologie plus rapide et plus efficace, surtout alors qu’elles se pressent pour adopter et développer l’intelligence artificielle. « Si l’on observe la tendance à long terme de la technologie flash par rapport aux disques durs, nous approchons d’un point de basculement, ce qui représente une opportunité gigantesque pour nous, leader incontesté de la technologie flash », explique M. Colgrove.

Pour illustrer : dans une voiture, un téléphone ou une montre équipée d’IA peut estimer votre destination et le meilleur itinéraire en se basant sur votre historique de conduite. Ces systèmes nécessitent un accès rapide et précis aux données historiques pour fonctionner correctement, un rôle que la mémoire flash remplit parfaitement.

Pour Colgrove, ce moment est l’aboutissement de tendances dessinées depuis des années. Lorsqu’il a fondé Pure Storage il y a seize ans, il était déjà convaincu que les disques flash finiraient par remplacer les disques durs utilisés par la plupart des entreprises. Sa vision a séduit les investisseurs : au cours des cinq premières années, Pure Storage a levé plus de 525 millions de dollars en capital-risque, affichant une valorisation de 3,6 milliards de dollars avant son introduction en bourse en octobre 2015.

Originaire d’une petite ville du New Jersey et cadet d’une fratrie de trois enfants, Colgrove raconte avoir été toujours plongé dans les livres, développant son goût pour les sciences grâce à son père, chimiste chercheur. Il a découvert la programmation informatique dans le cadre d’un programme de mathématiques accéléré au lycée, même s’il reconnaît ne pas avoir été un bon élève. « Je n’ai pas abandonné mes études, mais j’en étais proche », se souvient-il. Au lieu d’assister aux cours, il passait son temps sur des projets de codage personnels. « Je n’ai jamais été un conformiste. »

Après avoir obtenu un diplôme en informatique à l’université Rutgers, Colgrove travaillait comme opérateur informatique chez Bell Labs lorsqu’il a décroché un entretien dans la région de la baie de San Francisco. « Je vivais encore chez ma mère et je me suis dit : “Si je ne bouge pas, je vivrai encore avec elle à 50 ans” », se souvient-il. En 1987, il s’installe à San Jose, découvre le climat ensoleillé et les palmiers californiens, ainsi que les panneaux publicitaires vantant les entreprises technologiques les plus en vogue. Séduit, il accepte un poste d’ingénieur logiciel chez Amdahl Corporation, emportant avec lui 78 cartons de livres (principalement de science-fiction et d’histoire) et cinq cartons « d’affaires diverses ».

Deux ans plus tard, il rejoint Veritas Technologies en tant qu’ingénieur fondateur, où il reste jusqu’à l’introduction en bourse en 1993 et le rachat par Symantec pour 13,5 milliards de dollars en 2005. En 2008, grâce à son poste de directeur technique au sein des sociétés fusionnées, Colgrove atteint la sécurité financière. À 46 ans, il avait accompli ce dont rêvent de nombreux technophiles de la Silicon Valley et décide de prendre sa retraite. Il passe l’année suivante à construire la maison de ses rêves à Los Altos, pour un coût de « plusieurs millions de dollars ». Mais l’expérience lui fait réaliser que sa passion pour la résolution de problèmes ne se limite pas au code : « Une fois la maison terminée, j’ai compris que je n’étais pas prêt à prendre ma retraite », explique-t-il. « J’ai donc commencé à chercher une start-up, mais je ne trouvais rien d’aussi passionnant. »

En 2009, il rejoint Sutter Hill Ventures, à Palo Alto, comme entrepreneur en résidence. C’est là qu’il rencontre son futur cofondateur, John Hayes, et imagine un concept autour de sa spécialité : le stockage de données. Soucieux de rester dans un rôle technique, Colgrove insiste pour que le poste de PDG soit confié à une personne extérieure. Un investisseur lui présente Scott Dietzen, ancien directeur technique de start-up comme BEA Systems (rachetée par Oracle) et Zimbra(rachetée par Yahoo), qui dirige Pure Storage comme PDG de 2010 à 2017. Aujourd’hui, Charles Giancarlo occupe le poste de PDG, avec Colgrove agissant comme conseiller proche.

Dès ses débuts, Pure Storage a opté pour ce que Scott Dietzen qualifie d’« offensive frontale » contre les acteurs établis du stockage de données, plutôt que de se cantonner à un marché de niche. Cette stratégie a porté ses fruits : selon Louis Miscioscia, directeur exécutif chez Daiwa Capital Markets, Pure Storage est la seule survivante parmi plus d’une douzaine de start-up flash de l’époque, en grande partie parce qu’elle s’est attaquée directement à la part de marché d’EMC, allant jusqu’à recruter de nombreux anciens employés de l’entreprise.

EMC a été la première grande société de stockage à proposer un produit basé sur la technologie flash en 2009. Mais en 2013, elle a poursuivi 44 anciens employés embauchés par Pure Storage, les accusant de vol de propriété intellectuelle et de divulgation d’informations confidentielles. Le litige a été réglé trois ans plus tard : Pure Storage, alors avec un chiffre d’affaires de 728 millions de dollars, a versé 30 millions de dollars à Dell, qui avait racheté EMC en 2016 pour 67 milliards de dollars.

« Les fondations technologiques et commerciales de Pure Storage sont solides, mais son succès repose surtout sur une exécution efficace dans les centres de données traditionnels, qui lui a permis de gagner des parts de marché face à Dell EMC, HPE et NetApp », explique Jordan Nanos, analyste chez Semianalysis, cabinet indépendant spécialisé dans l’IA.

Aujourd’hui, Pure Storage est devenu un acteur établi, et une nouvelle génération de start-up le prend pour cible. « Nous voyons les entreprises historiques adapter leur marketing aux charges de travail IA, mais aucune n’a encore complètement revu ses produits », note Renen Hallak, cofondateur de VAST Data, société d’infrastructure de données IA basée sur la technologie flash.

Il est difficile de dire si l’accord entre Pure Storage et Meta est réellement aussi spectaculaire qu’il en a l’air. Concrètement, il s’agit d’un simple accord de licence : Meta verse des droits d’utilisation pour accéder au logiciel et à la propriété intellectuelle de Pure Storage, afin de développer ses propres solutions de stockage destinées à son infrastructure d’IA, toujours plus ambitieuse.

Comme Pure Storage n’a pas à produire de matériel pour Meta, l’opération représente un quasi-bénéfice net. Mais il semble que Meta ne soit plus un client traditionnel : selon une source proche des projets d’IA de l’entreprise, Meta utilisait autrefois Pure Storage pour stocker ses données d’IA, autour de 2017, avant de se tourner vers un concurrent ces dernières années. Ni Meta ni Pure Storage n’ont souhaité commenter les détails de leurs anciens accords.

Malgré tout, John Colgrove reste confiant dans les produits, la stratégie et la base de plus de 13 500 clients de Pure Storage. « Une chose est sûre : l’IA évolue si vite que les besoins d’aujourd’hui seront complètement dépassés d’ici un an ou deux. Les entreprises ont besoin d’une agilité exceptionnelle, et c’est précisément ce que nous leur offrons », explique Colgrove, que Scott Dietzen décrit comme « l’homme qui connaît sans doute le mieux le stockage au monde ».

Reste que le paysage technologique n’a plus grand-chose à voir avec celui de 2009, quand Pure Storage a vu le jour. Le stockage flash ne suffira plus à lui seul à maintenir l’avance de l’entreprise. Avec une nouvelle génération de concurrents dopés à l’IA, Pure Storage devra redoubler d’innovation sous peine de perdre des parts de marché, et peut-être même de faire vaciller le nouveau statut de milliardaire de Colgrove. Un risque qui, à première vue, ne semble guère l’inquiéter.

 

Une contribution de Alicia Park pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie

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