Un colosse aux pieds d’argile. Patrick Drahi a bâti un empire qui lui a permis d’intégrer les 20 plus grandes fortunes françaises. Des télécoms aux médias, le sexagénaire a multiplié les paris gagnants pendant plus de deux décennies. Avant d’être rattrapé par la réalité et de voir son groupe crouler sous une dette de plusieurs dizaines de milliards d’euros. Retour sur une saga qui a marqué le capitalisme français.
2010-2016 : vague d’expansion et de méga-acquisitions
L’empire Altice s’est construit grâce à une méthode dite du « modèle Drahi » : profiter d’une période de taux d’intérêts bas en Europe pour racheter des entreprises à crédit. Le principe : contracter des emprunts pour acquérir des sociétés, puis utiliser les bénéfices générés par ces mêmes entreprises pour rembourser la dette. Dans ce type de montage, la créance n’est pas réellement amortie : elle est refinancée, remplacée par un nouvel emprunt à mesure que l’ancien arrive à échéance.
Patrick Drahi s’impose alors comme le maître de cette stratégie. Les banques lui font confiance car il applique une discipline stricte des coûts dans les sociétés rachetées – une exigence qui séduit les investisseurs et les actionnaires.
En 2014, il débourse 13,5 milliards d’euros pour racheter SFR à Vivendi. Suivent Portugal Telecom, l’opérateur américain Suddenlink, le câblo-opérateur new-yorkais Cablevision, ainsi que le cabinet de ventes aux enchères Sotheby’s. Altice s’invite aussi dans les médias avec i24 News et surtout BFM/RMC. Cette frénésie d’acquisitions propulse Altice parmi les plus grands groupes mondiaux des télécoms.
2017 : premier coup de semonce
Trois ans après SFR, Drahi ne parvient pas à enrayer l’hémorragie d’abonnés, loin des six millions de clients supplémentaires promis. Au Portugal, l’intégration de l’opérateur historique se révèle également compliquée.
Outre-Atlantique, la politique de réduction drastique des coûts permet certes d’afficher des performances séduisantes, mais mais le marché du câble décline face à Internet haut débit et au streaming. Entre juin et novembre 2017, l’action Altice perd 50 %. Drahi procède alors à un profond remaniement de la direction.
2021-2023 : montée des taux d’intérêts
Le resserrement monétaire de la Banque centrale européenne pour contenir l’inflation alourdit brutalement la charge financière du groupe. Avec une dette colossale dépassant les cinquante milliards d’euros, le groupe se retrouve particulièrement vulnérable : chaque refinancement devient plus coûteux et chaque échéance plus difficile à absorber.
Juillet 2023 : le scandale Pereira
Le 13 juillet 2023, l’arrestation au Portugal d’Armando Pereira, cofondateur et bras droit de Drahi, plonge le groupe dans une crise majeure. Accusé de corruption, de fraude fiscale et de blanchiment d’argent dans le cadre de l’« Opération Picoas », Pereira aurait orchestré un système de commissions occultes, privant le groupe de centaines de millions d’euros. Cette affaire a provoqué un véritable séisme interne : plusieurs dirigeants sont suspendus ou démissionnent. Patrick Drahi dénonce avoir été “trahi” par son ancien associé.
Si le groupe se présente comme une victime dans cette affaire, elle exacerbe les difficultés d’Altice, déjà confronté à une dette colossale estimée à 60 milliards de dollars dans le monde. Les enquêtes en cours en France et au Portugal entraînent une perte de confiance des investisseurs, affectant la valorisation du groupe et compliquant davantage sa gestion de la dette.
2023 – 2025 : la grande braderie
À partir de 2023, le groupe engage une vaste série de cessions d’actifs pour alléger sa dette. Le groupe vend sa branche médias française, Altice Media, comprenant BFM TV et RMC, au groupe CMA CGM dirigé par Rodolphe Saadé pour 1,55 milliard d’euros, marquant ainsi sa sortie du secteur des médias en France. Dans le même temps, ses centres de données sont cédés à un fonds géré par Morgan Stanley pour environ 535 millions d’euros, générant des liquidités immédiates.
Sa participation de 24,5 % dans l’opérateur britannique BT est également vendue au groupe indien Bharti Airtel pour près de 3,7 milliards d’euros, tandis que des parts dans La Poste Mobile et le réseau de fibre optique XpFibre sont cédées pour environ 800 millions d’euros.
Août 2025 : restructuration de la dette
En août 2025, le tribunal de commerce de Paris approuve un plan de restructuration de la dette d’Altice France, permettant au groupe de réduire son endettement en France de 24,1 milliards d’euros à 15,5 milliards, soit une diminution de 8,6 milliards. Cette opération majeure, l’une des plus importantes en Europe pour la gestion de passifs, allège les coûts financiers annuels d’environ 400 millions d’euros et étend les échéances de remboursement jusqu’entre 2028 et 2033.
En contrepartie, les créanciers sécurisés, parmi lesquels BlackRock, Pimco et Fidelity, obtiennent une participation de 31 % dans le capital d’Altice France, tandis que les créanciers subordonnés reçoivent environ 14 %, Patrick Drahi conservant une majorité de 55 %. Ce plan, qui inclut également des ajustements de gouvernance, ouvre la voie à un éventuel désengagement partiel du groupe, notamment via une future vente de SFR.
Patrick Drahi est désormais missionné pour piloter lui-même cette vente, onze ans après avoir racheté la société. Mais le délai est serré : il dispose seulement de deux ans pour atteindre cet objectif. Passé ce délai, il pourrait être éjecté par ses créanciers, d’après des documents confidentiels consultés par La Tribune.
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