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Accenture licencie 12 000 salariés : quel avenir pour les cabinets de conseil à l’ère de l’IA ?

Accenture a annoncé la suppression de 12 000 postes, principalement aux États-Unis, pour accélérer sa réorientation vers l’intelligence artificielle. Un signal fort qui illustre comment l’IA recompose en profondeur un secteur historiquement fondé sur le capital humain.

Un tel plan social, d’une ampleur inédite dans le monde du conseil, traduit une certitude : l’adaptation à l’IA n’est plus une option, mais une condition de survie. L’IA automatise déjà une grande partie des tâches répétitives – collecte et traitement de données, reporting, modélisations simples – que des consultants juniors réalisaient autrefois en plusieurs heures. Là où certains redoutent une menace pour l’emploi, d’autres analyses rappellent que l’IA n’élimine pas les postes mais transforme les missions, en concentrant l’effort humain sur les tâches complexes et stratégiques.

Certains grands groupes incarnent déjà l’ampleur de ce basculement. Le Boston Consulting Group (BCG) a indiqué que 20 % de ses revenus mondiaux en 2024 provenaient déjà de l’IA et de la GenAI. D’autres suivent la même voie : PwC a annoncé un investissement d’un milliard de dollars sur trois ans dans l’IA générative pour transformer ses services de conseil, tandis qu’EY a lancé son propre modèle de langage, EYQ, adossé à un programme d’investissement de 1,4 milliard de dollars dans l’IA et la technologie. Ce mouvement dépasse d’ailleurs le seul conseil : Microsoft et IBM, par exemple, ont également engagé des plans de restructuration en parallèle d’investissements massifs dans l’IA.

Mais cette transition n’est pas uniforme puisque les cabinets de taille intermédiaire ou les structures indépendantes n’ont pas toujours les moyens financiers ou humains de développer leurs propres outils ou d’encaisser les coûts élevés de la R&D. « Investir dans des solutions d’IA propriétaire et sécurisée est trop coûteux pour les petits cabinets. », soulignait récemment Flavien Vottero, directeur d’études chez Xerfi, auprès de Digitalonomics.

Pour Chloé Duteil, CEO et fondatrice du cabinet de conseil STLAR, spécialisé en Data & IA, l’IA doit être un « consultant augmenté », et non une figure de remplacement.


« Les clients vont chercher des personnes qui savent utiliser les outils IA, qui savent les interpréter, adapter et agir. L’expertise devient précieuse, mais elle doit être soutenue par la nouvelle technologie, explique-t-elle. On va avoir des missions avec moins de consultants, soutenus par des bases de connaissances et de l’IA. Les pyramides telles qu’on les connaît vont être modifiées. ».

Selon elle, les pyramides traditionnelles du conseil – avec beaucoup de juniors – sont appelées à disparaître.

Accenture, vitrine d’une transformation accélérée

Le plan de suppression de 12 000 postes chez Accenture, essentiellement aux États-Unis, est un signe fort de ce changement de paradigme. Le géant du conseil a justifié cette décision par une recomposition autour de l’IA, en redirigeant ses ressources vers des compétences plus technologiques. La direction a ainsi déclaré : « Nous nous séparerons rapidement des personnes dont nous pensons qu’elles ne pourront pas apprendre les compétences nécessaires ».

Le cabinet voit l’IA comme un pilier de son futur modèle, investissant 3 milliards de dollars d’ici 2026 pour former ses équipes à l’IA générative. Cette initiative drastique vient prouver que l’adaptation à l’IA n’est plus optionnelle, mais bien une condition de survie professionnelle. 

De son côté, McKinsey a aussi investi massivement dans l’IA. Près de la moitié de ses 30 000 collaborateurs utilisaient déjà l’IA générative pour assister leur travail. Le cabinet américain dispose de son propre outil, appelé Lilli, conçu pour aider les consultants à synthétiser et formuler des recommandations en s’appuyant sur l’ensemble des données internes.

Mais la révolution amenée par l’IA va au-delà des géants du conseil, puisqu’un nouveau paysage émerge avec des cabinets plus agiles qui font de l’IA un levier de compétitivité à part entière. Selon Business Insider, des « boutiques IA », hybrides entre start-up tech et cabinet de conseil, se positionnent comme concurrents directs des grands cabinets comme McKinsey, Deloitte ou BCG. Ces nouveaux acteurs se distinguent par une structure légère, moins de frais et une capacité à livrer des solutions rapides basées sur des modèles d’IA. 

Des opportunités, mais des risques

L’un des principaux atouts de l’IA, tout secteur confondu, est le gain de productivité. En 2018, McKinsey estimait déjà que l’IA pourrait augmenter l’efficacité de 20 à 40 % selon les secteurs industriels. Et dans le conseil, l’IA peut réduire les temps de diagnostic, de recherche de données et de benchmarking. Toutefois, ces gains créent aussi une pression.

Les clients pourraient notamment exiger que les cabinets cèdent une part des bénéfices de l’automatisation sous la forme de réduction de coûts. Flavien Vottero évoquait un effet « déflationniste » sur les marges des cabinets qui ne sauront pas se différencier. Travailler avec de l’IA impose également des enjeux de taille en termes de données. Les cabinets manipulent souvent des informations sensibles entre projections financières, données internes ou encore stratégies. Transmettre ces données à des modèles externes comporte des risques de fuite ou de mauvaise exploitation.

 

L’IA, un soutien des inégalités entre les cabinets ?

Les grandes structures disposent des moyens suffisants pour investir massivement dans l’IA, recruter des data scientists et monter des labs internes. Mais pour les plus petits cabinets, le risque de voir l’étau se resserrer est bien présent puisqu’ils ne disposent ni des ressources, ni de la reconnaissance de marque pour rivaliser. Les cabinets de taille intermédiaire pourraient alors tirer parti d’une différenciation agile. L’IA offre la possibilité d’automatiser leur back-office, de réduire les coûts fixes, et de se positionner sur des niches où l’agilité importe plus que la réputation.

Dans un monde de l’entreprise aujourd’hui très automatisé, le facteur humain reste toujours une pièce maîtresse. L’IA doit être vue comme un partenaire de l’intelligence humaine et non comme un substitut.

« Il faut accompagner, pas remplacer. Les entreprises ont un vrai rôle citoyen de formation, pour acculturer puis former aux usages de l’IA. On ne peut pas juste licencier les gens qui sont réfractaires », insiste Chloé Duteil, avant d’ajouter que « les outils ne suffisent pas. Il faut un positionnement au-dessus de l’outil et apporter une expertise, savoir adapter et guider sur comment tirer toute la valeur. ».

Des solutions hybrides

Les plateformes hybrides pourraient constituer un angle pertinent de transformation. Dans cette optique, certains cabinets développent leurs propres outils internes, qu’ils peuvent ensuite capitaliser ou vendre. Ainsi, le conseil ne se limite plus à une prestation ponctuelle, mais devient un vrai actif technologique. Artefact, société internationale de conseil en data & IA, se positionne comme un acteur « tech » du conseil. Pour se démarquer des géants du secteur, l’entreprise a investi dans un centre de R&D dédié à l’IA et développe également ses propres outils avec une approche éthique de l’IA. Artefact incarne une nouvelle génération de cabinets hybrides, à mi-chemin entre le conseil traditionnel et la start-up tech. Par ailleurs, des cabinets comme SIA Partners ont lancé des entités dédiées à l’IA pour industrialiser la transformation.

Le bouleversement des cabinets de conseil par l’IA n’est pas un fait subtil, mais une réalité sous couvert de suppression de postes et de remaniements des business models. S’il présente un risque pour certains, ce changement est aussi une opportunité pour ceux qui sauront jouer entre l’expertise humaine et la tech.

« Lorsque j’accompagne mes clients, je leur apporte des compétences organisationnelles, politiques ou encore de management. On peut encore apporter plus qu’une IA n’est pas prête de remplacer », conclut Chloé Duteil.

 


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