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L’immigration de travail est-elle une solution pour financer les retraites ?

La question de la réforme du système des retraites est un sujet complexe suscitant de fortes tensions sociales. La dégradation progressive du rapport de dépendance démographique (le ratio entre le nombre de cotisants et de retraités), engendrée par le vieillissement de la population française (~720 000 départs à la retraite par an selon la CNAV), va peser de manière croissante sur les dépenses publiques (0,6% du PIB en 2035 selon le Conseil d’orientation des retraites (COR)). Un fait sur lequel le gouvernement s’est appuyé les semaines passées pour expliquer la nécessité du report de l’âge de départ à la retraite de 2 ans, passant de 62 à 64 ans. Cette réforme doit permettre de limiter le déficit de financement du régime attendu à partir de 2027 et accroître le taux d’emploi des 55-64 ans demeurant en France un des plus faibles d’Europe. En effet, il s’élève à 56% dans notre pays contre 71,8% en Allemagne et à 60,5% en moyenne pour l’Union européenne en 2021 selon le ministère du travail. Le Conseil Constitutionnel a validé le 14 mars dernier le projet de loi. Toutefois, des interrogations persistent à long terme sur le système de financement du régime et appellent à réfléchir à d’autres moyens de financement.  

 

Dès lors, l’immigration de travail comme source de financement de notre modèle social est à l’ordre du jour. Elle a en effet déjà fait ses preuves dans certains pays voisins tels que l’Allemagne ou le Royaume-Uni. En effet, le recours à l’immigration de travail permet d’accroître rapidement le nombre d’actifs et donc le nombre de cotisants au régime de protection sociale particulièrement dans une économie en plein emploi et ayant des pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs. Cette stratégie a été déployée en Allemagne au moment de la crise syrienne. Le pays accueillit plus d’un million de syriens. Nombreux travaillaient dans le secteur médical, secteur en pénurie de main-d’œuvre en Allemagne dans un contexte de fort vieillissement de la population.

Cette situation est également connue outre-Atlantique. Par exemple, le Canada, depuis 1969, opère une politique migratoire favorisant les immigrants qualifiés et détient le taux d’immigrant par natif le plus élevé des pays du G7. En 2022, les migrants représentent déjà la quasi-totalité de la croissance du nombre d’actifs, avec six immigrés sur dix sélectionnés pour travailler dans un secteur économique en forte croissance. Le Canada doit aussi faire face au vieillissement de sa population engendrant des vagues de départ à la retraite (cinq millions d’actifs d’ici à 2030) venant diminuer le ratio actifs/ retraités de 4 à 2 pour 1. Pour faire face à cette situation, le pays prévoit d’accueillir 1,5 million d’arrivées supplémentaires d’ici à 2025. De la même manière, en Europe, l’Allemagne vient de voter une loi conditionnant les entrées à ses besoins en main d’œuvre qualifiée.

 

L’immigration en France : des flux moins importants que chez ses voisins européens et une main d’œuvre moins qualifiée.

Par comparaison avec ses compétiteurs européens, la France est un pays de faible migration, tant en ce qui concerne les flux annuels (0,4% de sa population, Allemagne 0,6% et Royaume-Uni 0,8%) que le nombre d’actifs. L’immigration française est principalement étudiante (1er motif de pré-demande en 2021) et familiale, résultante de la politique sociale. Peu qualifiée, elle n’a pas vocation dans sa globalité à pallier aux carences du marché du travail dans un contexte où la France ne se trouve pas en plein emploi (taux de chômage à 7,5% en 2023). La main d’œuvre étrangère en France provient essentiellement de pays d’Afrique sub-saharienne, alors qu’en Allemagne ou en Autriche, elle est majoritairement intra-européenne (Pologne, Turquie ou Moldavie) et plus qualifiée. Ainsi, l’immigration au titre de la libre circulation représente plus de la moitié des arrivées en Allemagne, contre moins d’un tiers en France (OCDE).

 

Par ailleurs, le taux d’insertion des immigrés au marché du travail français est plus faible que celui de ces voisins (taux d’emploi des immigrés : 61% en France en 2021, 68% en Allemagne,73% au Canada) avec un écart de six points entre le taux de chômage des natifs et des immigrés (vs. 3,5 pts en Allemagne en 2021, selon l’OCDE). Ces écarts résultent du temps d’adaptation et d’intégration des immigrés en France, particulièrement pour les premières générations (ségrégation résidentielle et scolaire et difficulté à faire reconnaitre son diplôme, limite de maitrise de la langue) qui nécessite des dépenses d’aide à l’insertion. Cette faible intégration sociale favorise une immigration temporaire plutôt que permanente. A ce titre, le Conseil d’analyse économique (CAE) souligne que notre pays « n’attire pas suffisamment les immigrés ou a du mal à les retenir ».

 

L’exemple des autres pays fait apparaître qu’une politique migratoire axée sur les besoins de main d’œuvre qualifiée conditionne l’obtention du titre de séjour à un certain nombre d’obligations facilitant l’insertion sur le marché du travail : niveau de diplôme, maitrise de la langue, expérience professionnelle, âge, contrat d’emploi déjà établi. Non seulement les immigrés ayant un niveau plus élevé de compétences ont plus de chances de trouver un emploi, mais leur taux de participation socio-économique (via les cotisations et la consommation) augmente rapidement créant de la valeur ajoutée. Malgré la plus faible proportion de l’immigration de travail, les travailleurs étrangers établis en France font vivre de nombreux pans de l’activité économique et contribue à la création de richesse nationale.

 

Ainsi, l’immigration de travail demeure une des solutions à considérer pour financer les régimes des retraites et le vieillissement de la population. Elle participe au dynamisme démographique et économique des pays, en augmentant les dépenses de consommation et en élargissant l’assiette fiscale. Toutefois, au regard de l’ampleur des mutations démographiques, elle ne peut constituer la solution unique aux financements du régime par répartition des retraites et des systèmes de protection sociale.

par Anne-Sophie Alsif, Cheffe économiste BDO France et Lara Vinson, Consultante senior, BDO Advisory

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