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La Cour internationale de justice ouvre la voie à des poursuites climatiques contre les États-Unis

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Inauguré en 1913, le Palais de la Paix abrite la Cour internationale de justice (CIJ), dont l’objectif est de prévenir les guerres entre États par l’application du droit international. Source : Getty Images

À la demande de l’Assemblée générale des Nations Unies, la Cour internationale de Justice (CIJ) s’est penchée sur la responsabilité financière des États dans la crise climatique, ainsi que sur les obligations juridiques qui leur incombent pour en limiter les effets. Après plus de deux ans d’auditions et de délibérations, la CIJ a rendu, le 23 juillet, un avis consultatif historique sur les devoirs des États face au changement climatique.

 

Dans cet avis, la Cour estime que les pays fortement émetteurs de gaz à effet de serre, comme les États-Unis, pourraient être tenus de verser des réparations aux nations les plus vulnérables, particulièrement touchées par les conséquences du dérèglement climatique. Bien qu’il soit consultatif et donc non contraignant, cet avis marque une étape importante : il pourrait profondément influencer les futures politiques climatiques internationales et ouvrir la voie à une multiplication des actions en justice.

Créée en 1945 par la Charte des Nations Unies, la Cour internationale de Justice (CIJ) est le principal organe judiciaire de l’ONU. Sa mission : trancher les différends juridiques entre États dans un cadre impartial. Composée de 15 juges élus pour neuf ans par l’Assemblée générale et le Conseil de sécurité, elle ne peut compter qu’un seul représentant par pays à la fois.


Le 29 mars 2023, à l’initiative de Vanuatu, l’Assemblée générale des Nations Unies a saisi la CIJ pour obtenir un avis consultatif sur les obligations juridiques des États en matière de lutte contre le changement climatique. Objectif : éclairer le droit international sur les devoirs des nations dans la prévention des dommages environnementaux.

Après deux années de procédure, entre mémoires écrits et auditions publiques, la CIJ a rendu son avis le 23 juillet, accompagné d’un résumé synthétique. Bien que non contraignant, cet avis pourrait façonner l’évolution du droit climatique et influencer le traitement futur des contentieux environnementaux.

L’Assemblée générale des Nations Unies a soumis deux grandes questions à la Cour internationale de Justice :

« Quelles sont les obligations des États en vertu du droit international pour assurer la protection du système climatique et des autres éléments de l’environnement contre les émissions anthropiques de gaz à effet de serre, à la fois pour les États et pour les générations présentes et futures ? »

« Quelles sont les conséquences juridiques, au regard de ces obligations, pour les États qui, par leurs actes ou leurs omissions, ont causé un préjudice important au système climatique et à d’autres éléments de l’environnement, en ce qui concerne : (i) les États, notamment les petits États insulaires en développement, qui, en raison de leur situation géographique et de leur niveau de développement, sont lésés, particulièrement affectés ou particulièrement vulnérables aux effets néfastes du changement climatique ? (ii) les peuples et les individus des générations présentes et futures touchés par les effets néfastes du changement climatique ? »

En réponse à la première question, plusieurs grandes puissances, dont les États-Unis, l’Australie et l’Allemagne, ont soutenu que le cadre des traités internationaux sur le climat, tel que l’Accord de Paris, constituait une législation spécifique (lex specialis) qui prime sur toute autre règle de droit international dans ce domaine. Selon cette interprétation, aucune obligation supplémentaire ne pourrait être imposée en dehors de ce qui a été explicitement négocié dans ces accords, écartant ainsi la possibilité de recours ou de demandes de réparation fondées sur d’autres normes juridiques internationales.

Les pays en développement ont soutenu que la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et l’Accord de Paris ne représentaient qu’un point de départ. Selon eux, les effets du changement climatique constituent une violation des droits humains, tels que reconnus par le droit international coutumier et la Déclaration universelle des droits de l’homme. En conséquence, ils estiment que les États responsables des émissions de gaz à effet de serre – notamment par la production et l’utilisation de combustibles fossiles – devraient être tenus de verser des réparations aux pays à faible altitude et aux nations en développement, particulièrement vulnérables aux impacts du dérèglement climatique.

La Cour a déclaré : « L’obligation coutumière de prévenir les dommages environnementaux transfrontaliers, qui impose aux États d’”utiliser tous les moyens à [leur] disposition afin d’éviter que des activités se déroulant sur [leur] territoire ou dans toute zone relevant de [leur] juridiction ne causent des dommages importants à l’environnement d’un autre État”, s’applique également au système climatique, qui constitue une composante intégrale et d’une importance vitale de l’environnement, et qui doit être protégé pour les générations présentes et futures. »

Le rejet de la lex specialis par la Cour rend en pratique caduc le retrait de Trump de l’Accord de Paris en matière de responsabilité.

La Cour a en outre précisé les deux piliers de la responsabilité des États : d’une part, l’existence de dommages environnementaux à prévenir ; d’autre part, l’obligation pour les États d’agir avec diligence raisonnable, en tant que norme de conduite exigée dans la lutte contre le changement climatique.

La Cour a examiné les deux volets de l’obligation et a fourni davantage de contexte. Au sujet des dommages environnementaux à prévenir, la Cour a déclaré :

« Pour que l’obligation de prévenir s’applique, il doit exister un risque de dommage important pour l’environnement. Le fait qu’une activité constitue un risque de dommage important dépend à la fois de la probabilité ou de la prévisibilité de la survenance du dommage et de sa gravité ou de son ampleur, et doit donc être déterminé, entre autres facteurs, par une évaluation combinée du risque et du niveau de dommage. La Cour estime qu’un risque de préjudice important peut également exister dans des situations où un préjudice important à l’environnement est causé par l’effet cumulatif de différents actes entrepris par divers États et par des acteurs privés soumis à leur juridiction ou à leur contrôle respectifs. »

« La détermination du “préjudice important causé au système climatique et à d’autres éléments de l’environnement” doit tenir compte des meilleures données scientifiques disponibles. La question de savoir si un préjudice spécifique, ou un risque de préjudice, causé à un État constitue un effet néfaste pertinent du changement climatique doit être évaluée in concreto dans chaque situation individuelle. »

En ce qui concerne l’obligation de diligence raisonnable, la Cour a identifié sept critères à prendre en compte pour évaluer si un État a effectivement agi pour prévenir les atteintes environnementales. Parmi eux figurent : l’existence de lois ou règlements visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre ; la disponibilité de données scientifiques ; le respect des accords adoptés dans le cadre des COP, qu’ils soient contraignants ou non ; le principe des responsabilités communes, mais différenciées ; les connaissances scientifiques sur la probabilité et la gravité des dommages potentiels ; les évaluations des risques liés aux émissions ; et enfin, l’obligation de notifier et de consulter de bonne foi les autres États lorsque des activités sous sa juridiction peuvent causer des dommages importants ou compromettre les efforts collectifs de protection du climat.

Cet avis constitue une avancée majeure pour les défenseurs de la justice climatique. S’il n’a pas de valeur contraignante en soi, il pourrait néanmoins avoir un impact juridique considérable. Tout différend futur entre États en matière climatique serait en effet tranché par la Cour internationale de Justice, celle-là même qui a rendu cet avis. Par ailleurs, certaines juridictions nationales pourraient s’en inspirer pour établir leur propre jurisprudence. On peut donc s’attendre à une multiplication des recours juridiques fondés sur cet avis dans les mois à venir.

 

Une contribution de Jon McGowan pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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