Face à la multiplication des réunions, des outils numériques et à la vague silencieuse de démissions, tout le monde cherche à tirer le meilleur parti de l’intelligence artificielle. Mais si votre travail vous semble plus pénible qu’il ne devrait l’être, le vrai problème vient peut-être du travail lui-même.
La structure de nombreux emplois a été pensée à une époque où ni les technologies actuelles, ni les attentes modernes n’existaient. Aujourd’hui, avec l’arrivée massive de l’IA, certaines entreprises commencent à se poser les bonnes questions. L’enjeu n’est plus seulement d’intégrer le dernier outil à la mode, mais de réévaluer le sens même du travail.
Des organisations comme TI People ont ainsi compris qu’en identifiant les points de friction, elles pouvaient repenser les postes pour réduire le stress, renforcer la motivation et redonner un sentiment d’élan aux collaborateurs.
Repenser les tâches grâce à l’IA : une clé pour retrouver la motivation au travail
Lors d’un entretien, Ken Fisher, fondateur de Fisher Investments, m’a confié que ce que les gens disent pouvoir faire compte peu. Ce qui compte, c’est ce qu’ils feront vraiment.
Un propos lucide qui en soulève un autre, encore plus fondamental : certaines tâches doivent-elles seulement être faites ? C’est aussi la bonne question à se poser face à l’intelligence artificielle. Plutôt que de s’interroger sur ce que l’IA peut faire, il serait peut-être plus utile de réfléchir à ce qu’elle devrait faire.
Les dirigeants les plus lucides prennent aujourd’hui du recul pour examiner finement le flux réel des tâches dans leur organisation. Ils cherchent à repérer les pertes de temps, les sources de confusion, les processus qui freinent plus qu’ils ne font avancer. Leur but ? Distinguer ce qui crée de la valeur de ce qui encombre inutilement les emplois du temps.
Il ne s’agit plus de tout automatiser à tout prix. L’enjeu est d’abord d’identifier les points de friction : doublons, passages incessants d’un système à l’autre, rapports générés mécaniquement sans réel impact… Ce type de travail répétitif, chronophage et sans valeur ajoutée est omniprésent.
Dans mon expérience personnelle de l’enseignement en ligne, je perds un temps considérable à transférer des notes d’une plateforme à une autre : un processus à la fois fastidieux et inutile pour l’apprentissage des étudiants. Ce genre de tâches superficielles existe dans tous les secteurs. Elles donnent l’illusion d’une activité soutenue, mais ne mènent à rien.
Hier, les organisations n’avaient guère d’alternatives. Aujourd’hui, les entreprises les plus agiles commencent à intégrer l’IA non pas pour remplacer les humains, mais pour accélérer, affiner ou personnaliser le travail là où cela a du sens. Résultat : les équipes récupèrent du temps, de l’attention et de l’énergie, qu’elles peuvent réinvestir dans ce qui compte vraiment.
À quoi ressemble concrètement la redéfinition des tâches grâce à l’IA ?
Lors d’un événement récent organisé par HRNxt, une présentation a particulièrement retenu mon attention : celle de Volker Jacobs, fondateur et PDG de TI People. Avec son équipe, il a mis en lumière une approche novatrice développée en partenariat avec The HR Congress, visant à repenser en profondeur la façon dont le travail est organisé.
Plutôt que de se concentrer sur les intitulés de poste ou les grandes fonctions, leur démarche part d’une question simple : quelles tâches les gens accomplissent-ils réellement au quotidien ? Et ces tâches ont-elles encore du sens dans le monde du travail tel qu’il évolue aujourd’hui ?
Pour y répondre, ils ont imaginé une entreprise fictive baptisée Alpha, conçue comme un terrain d’expérimentation pour observer l’impact potentiel de l’intelligence artificielle sur les activités quotidiennes des équipes RH. Ce projet s’est distingué par la richesse de ses données : 15 grandes entreprises européennes ont partagé des informations concrètes (descriptions de poste détaillées, données démographiques, outils logiciels, contextes sectoriels, et même coûts de main-d’œuvre).
Ces données ont été croisées avec une base de connaissances collective, coconstruite par plus de 150 contributeurs : chercheurs, professionnels RH, dirigeants d’entreprise, experts en IA. Objectif : identifier les points de friction dans les tâches quotidiennes, tester des ajustements simples, et mesurer leur impact.
Les résultats de la simulation ont été frappants. Elle a mis en lumière des sources d’inefficacité bien connues, mais rarement traitées : des processus d’approbation trop lents, un flou autour de la responsabilité des rapports, ou encore des transferts d’informations répétitifs. Et, fait marquant, en modifiant seulement quelques tâches, les entreprises ont observé une nette amélioration de la clarté, de l’énergie et de la motivation des collaborateurs, sans même avoir encore déployé l’IA.
La leçon est claire : corriger les tâches avant d’y injecter de la technologie produit souvent plus de résultats que d’ajouter une couche d’IA à un processus défaillant.
Certaines entreprises ont lancé des hackathons ou des sprints d’innovation pour identifier les tâches obsolètes ; d’autres ont mis en place des équipes pilotes chargées d’expérimenter, puis d’étendre ce qui fonctionne. Mais toutes sont arrivées à la même conclusion : la motivation augmente lorsque les employés sentent que leur temps est réellement bien utilisé.
Le travail vide de sens, fléau des emplois actuels : pourquoi il faut repenser nos méthodes
L’épuisement des employés ne vient souvent pas du nombre d’heures travaillées, mais d’un autre mal plus insidieux : le manque d’impact.
Selon Gallup, le désengagement s’accroît significativement lorsque les salariés ont l’impression que leur travail n’a pas de sens réel. Cette frustration est particulièrement forte lorsque les processus internes sont lourds et inefficaces (six validations pour faire avancer un dossier, des retours noyés dans d’interminables chaînes d’e-mails).
Mes propres recherches sur la curiosité ont montré que, quand les collaborateurs ne comprennent plus l’objectif de leurs missions, ils cessent naturellement de poser des questions. Ce repli mène à une stagnation qui nourrit à son tour un abandon discret mais bien réel.
Le véritable frein au progrès n’est donc souvent pas la résistance à l’intelligence artificielle, mais bien l’accumulation de tâches vides de sens, qui étouffent l’énergie et empêchent l’évolution.
Comment impliquer tous les collaborateurs pour un bénéfice partagé
Vous connaissez sûrement ces frustrations : attendre des accès à des outils déjà demandés depuis des semaines, jongler entre plateformes en copiant-collant des données, ou assister à des réunions qui auraient pu être résolues en quelques messages sur Slack. Ces tâches répétitives et fastidieuses grignotent un temps précieux chaque semaine et contribuent largement au sentiment d’épuisement dans le travail moderne.
C’est pourquoi la refonte des emplois ne peut se limiter aux seuls services RH. Ces derniers ont certes un rôle central pour piloter le changement, mais les idées doivent émerger de tous les niveaux de l’organisation.
Des entreprises ayant expérimenté des modèles comme celui d’Alpha ont rapidement constaté que de simples ajustements (revoir la création d’un rapport, clarifier qui valide une décision) peuvent avoir un impact immédiat. L’objectif n’est pas de réinventer tout le système, mais bien d’identifier et d’éliminer les tâches qui pèsent plus qu’elles ne profitent.
Ce que vous pouvez faire dès maintenant pour repenser la refonte des tâches
Pas besoin d’attendre une nouvelle plateforme pour amorcer le changement. Ce qu’il faut d’abord, c’est de la curiosité et une réelle écoute. Interrogez votre équipe : quels sont les freins dans leur quotidien ? Où se répète-t-on inutilement ? Quels moments du processus sont flous, chronophages ou démotivants ?
Collectez ces retours comme autant de données précieuses. Puis, observez comment le travail se déroule vraiment, plutôt que de vous fier uniquement aux procédures écrites. Cartographiez les flux : où se situent les blocages ? Qui est noyé sous les réunions ? Qui jongle constamment entre plusieurs outils ? Ces signes pointent vers des frictions à résoudre. Identifiez-les, puis lancez de petits projets pilotes avec une équipe dédiée. Testez des ajustements rapides avant d’envisager une refonte à grande échelle.
Une contribution de Diane Hamilton pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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