Héritier d’un atelier fondé en 1963, Munetaka Yokoyama transmet l’ADN de ses ancêtres et de sa culture japonaise dans des créations résolument modernes à destination du monde. À la suite de son défilé, aux côtés d’OniriQ Magazine, nous l’avons rencontré et avons échangé autour de sa griffe et son parcours entrepreneurial. Interview.
Forbes : Vous représentez la deuxième génération d’un atelier de tailleur fondé en 1963. Lorsque vous en avez repris les rênes, quelle a été votre première décision pour faire évoluer l’héritage familial tout en respectant son artisanat et son histoire ?
Munetaka Yokoyama : Notre entreprise familiale travaillait à l’origine comme atelier sous-traitant, réalisant des costumes entièrement faits main pour de grands magasins. Quand j’ai repris la direction, j’ai décidé de créer notre propre griffe et de lancer à la fois une activité de vente au détail et de distribution en gros.
Hériter d’un savoir-faire est une chose, le rendre désirable dans un univers saturé comme la mode en est une autre. Comment avez-vous repositionné la maison pour séduire une clientèle contemporaine avec des pièces modernes et adaptées au quotidien ?
Munetaka Yokoyama : Au Japon, la culture autour du vêtement formel comme le smoking ou la robe de soirée, que je trouve personnellement fascinante, était peu développée. J’y ai vu une opportunité d’introduire la beauté et l’élégance du vêtement formel, tout en cultivant de nouveaux marchés et en bâtissant une clientèle fidèle. Cela est devenu le socle de ma marque.
Vous avez transformé un atelier local nippon en une marque présente à la Fashion Week de Milan ainsi qu’au Festival de Cannes. Selon vous, quel a été le véritable tournant entrepreneurial ?
M.Y : Un tournant décisif a été ma conviction croissante que la beauté des tissus traditionnels japonais, notre savoir-faire raffiné et mon esthétique personnelle pouvaient résonner à l’échelle internationale. Ce désir de contribuer de manière significative à la société par mon travail m’a donné l’élan nécessaire pour m’ouvrir à l’international.
Dans une industrie mondialisée, pourquoi avoir choisi de maintenir la production au Japon, avec un rythme plus lent et des volumes limités ?
M.Y : Notre atelier, qui en est à sa 62e année, est spécialisé dans les pièces entièrement réalisées à la main et possède un savoir-faire approfondi avec une production en petites séries. Les usines japonaises sont réputées pour leur précision, leur qualité et leur capacité à gérer un travail exigeant en faible volume. Ce qui, selon moi, s’accorde parfaitement avec la philosophie de notre maison.
À travers la Japan Formalwear Culture Association, vous portez une vision collective de la transmission. Diriez-vous que vous construisez aussi pour les autres, et pas seulement pour votre marque ?
M.Y : Ma mission n’est pas seulement d’élargir l’influence du vêtement de cérémonie de luxe à l’international, mais aussi de contribuer à la préservation et à l’évolution de la culture traditionnelle japonaise et de ses métiers d’art. Cette vision dépasse ma propre maison : il s’agit de créer une valeur collective et une croissance partagée.
Vous parlez souvent de la relation aux clients comme d’un lien intime, presque spirituel. Diriez-vous que c’est aussi un modèle économique, une forme de luxe relationnel, à contre-courant de la logique de masse des autres grands groupes ?
M.Y : La relation client est au cœur de mon modèle économique. À travers la haute couture, je recherche une forme de “luxe relationnel”, apportant une valeur profondément personnelle, presque spirituelle, à l’opposé de la logique de production de masse.
Vous avez été parmi les premiers à introduire le tissu Nishijin, issu d’un savoir-faire ancestral, dans le tailoring formel. Était-ce un manifeste audacieux ou une volonté de prouver que tradition et innovation peuvent coexister ?
M.Y : J’ai commencé à intégrer des tissus de kimono comme le Nishijin-ori dans le vêtement formel après avoir été profondément touché par leur beauté. C’était à la fois un hommage au patrimoine culturel que j’admire et une décision stratégique pour distinguer ma marque en montrant que tradition et innovation peuvent réellement coexister, comme vous le dites si bien.
Quels ont été les plus grands défis que vous avez rencontrés en tant qu’entrepreneur et directeur artistique ?
M.Y : Le plus grand défi a été d’organiser mon tout premier défilé international à Milan. Cela a été une expérience intense et formatrice, où j’ai dû transmettre l’essence de Munetaka Yokoyama au-delà des barrières linguistiques, des différences culturelles et des codes commerciaux.
Beaucoup de créateurs rêvent d’indépendance, mais peu parviennent à concilier excellence artistique et viabilité économique. Comment avez-vous trouvé cet équilibre ?
M.Y : Pour pouvoir continuer à créer les pièces que je souhaite sincèrement exprimer, j’ai étudié le marketing de haut niveau et le management au Japon. Cela m’a permis de trouver un équilibre mesuré entre intégrité artistique et pérennité financière.
Si vous ne pouviez transmettre qu’une seule leçon à la prochaine génération d’entrepreneurs mode, ce serait : préserver, accélérer ou réinventer ?
M.Y : Si je devais transmettre une seule leçon à la future génération d’entrepreneurs dans le milieu de la mode, ce serait celle-ci : réinventer. Tout en honorant la tradition, ne cessez jamais d’embrasser l’innovation. C’est, à mes yeux, la clé pour bâtir une marque qui dure. Comme j’ai notamment essayé de le faire pour la mienne.
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