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À la rencontre du milliardaire italien à l’origine du rachat de Kellogg par Ferrero pour 3,1 milliards de dollars

Ferrero
Ferrero. Getty Images

Depuis qu’il a pris les rênes du fabricant de confiseries familial en 2015, le président exécutif Giovanni Ferrero a su étendre l’empire au-delà des célèbres marques comme Nutella, bâtissant ainsi un acteur mondial majeur, notamment grâce à d’importantes acquisitions aux États-Unis.

 

Jeudi, lorsque le géant italien de la confiserie et de l’alimentation Ferrero a annoncé l’acquisition de WK Kellogg (fabricant des célèbres Froot Loops et Corn Flakes) pour 3,1 milliards de dollars, il ne s’agissait pas seulement d’une des plus importantes transactions de l’industrie alimentaire de l’année écoulée. Cette opération marque aussi l’aboutissement du long combat mené par Giovanni Ferrero, président exécutif milliardaire et propriétaire majoritaire de l’entreprise familiale, qui depuis dix ans œuvre à transformer la marque italienne, autrefois cantonnée aux douceurs chocolatées européennes, en un acteur majeur de l’alimentation aux États-Unis.

Forbes estime que Ferrero a investi plus de 13 milliards de dollars au cours des dix dernières années (y compris la transaction annoncée jeudi) pour racheter au moins 21 entreprises dans neuf pays, allant d’un producteur de snacks au Brésil à un fabricant de biscuits au beurre au Danemark. « Ces dernières années, Ferrero a renforcé sa présence en Amérique du Nord en associant nos marques mondialement reconnues à des pépites locales bien ancrées aux États-Unis », a déclaré l’entreprise dans un communiqué jeudi. « L’annonce d’aujourd’hui représente une étape majeure de ce parcours, qui renforce notre confiance dans les opportunités à venir. »


Giovanni Ferrero a pris seul la direction de l’entreprise, célèbre pour sa pâte à tartiner Nutella et ses chocolats Ferrero Rocher, après le décès de son père Michele en 2015. À la tête de la troisième génération, il a initié une série d’acquisitions stratégiques pour développer et diversifier l’activité au-delà du chocolat. Cette approche a porté ses fruits : depuis 2015, le chiffre d’affaires de l’entreprise a presque doublé, atteignant 20,4 milliards de dollars en août 2024. Son BAIIDA a également quasiment doublé, passant de 1,6 milliard à 3 milliards de dollars sur la même période. Un porte-parole de Ferrero n’a pas immédiatement répondu à une demande de commentaire.

La fortune familiale a suivi cette progression. À 60 ans, Giovanni Ferrero détient 75 % de l’entreprise, dont la valeur est désormais estimée à 41,2 milliards de dollars, contre 23 milliards en 2018 lors de sa première apparition sur la liste des milliardaires de Forbes. Il figure aujourd’hui parmi les six personnes les plus riches d’Europe et les 40 premières au monde. Le reste de l’entreprise appartient à au moins cinq autres héritiers de Pietro Ferrero, le grand-père de Giovanni, qui fonda l’entreprise en 1946 à Alba, près de Turin, dans le nord-ouest de l’Italie.

La spectaculaire acquisition de WK Kellogg devrait dynamiser la croissance de Ferrero aux États-Unis, où le groupe a déjà réalisé au moins huit rachats depuis 2017. Parmi eux, l’achat des activités américaines de Nestlé dans le secteur des confiseries en 2018 pour 2,8 milliards de dollars, suivi en 2019 de l’acquisition des activités biscuits et snacks fruités de Kellogg pour 1,3 milliard de dollars. Ces opérations ont permis à Ferrero d’intégrer des marques telles que Famous Amos, Keebler, Nerds ou Butterfinger. Avec un chiffre d’affaires prévu à 2,7 milliards de dollars pour WK Kellogg en 2024, cette transaction pourrait accroître les ventes du groupe de plus de 10 %. « Ce rapprochement offrira à Ferrero une diversification au-delà de ses produits phares de confiserie et snacks, en intégrant la gamme de céréales de WK », analyse Erin Lash, analyste chez Morningstar. « La stratégie de Ferrero repose probablement sur la capacité de WK à générer des liquidités et sur la stabilité de ses revenus. Cette opération s’inscrit dans la continuité des efforts de Ferrero pour renforcer sa présence sur le marché américain. »

Bien qu’il soit l’homme le plus riche d’Italie, Giovanni Ferrero, discret vis-à-vis des médias, vit à Bruxelles, en Belgique, tandis que le siège de l’entreprise familiale est basé au Luxembourg. Après avoir grandi au cœur de l’entreprise, il a fréquenté un pensionnat en Belgique avec son frère aîné Pietro à la fin des années 1970, avant de partir en 1980 étudier le marketing au Lebanon Valley College, en Pennsylvanie.

En 1997, leur père Michele confie à Giovanni et Pietro la co-direction de Ferrero. À cette époque, le groupe était déjà bien implanté en Europe, avec un chiffre d’affaires annuel de 4,8 milliards de dollars. Pendant quatorze ans, les deux frères se concentrent sur le développement des marques maison, sans réaliser d’acquisitions majeures. Mais en 2011, Pietro meurt brutalement d’une crise cardiaque à 47 ans, alors qu’il faisait du vélo en Afrique du Sud, laissant Giovanni seul aux commandes. Quatre ans plus tard, à la mort de leur père Michele, Giovanni devient l’unique dirigeant. Il entame alors une réorganisation, répartissant la totalité des parts détenues par Michele entre les héritiers de la famille. Parallèlement, il amorce une politique d’acquisitions, débutant avec le rachat du chocolatier britannique Thorntons pour 170 millions de dollars en 2015.

En 2016, Giovanni Ferrero crée une holding belge, CTH Invest, dédiée à l’acquisition de nouvelles marques dans les secteurs de l’alimentation et du chocolat. La première opération ne tarde pas : en décembre, CTH rachète le fabricant belge de biscuits Delacre, dont le montant de la transaction n’a pas été révélé. Un an plus tard, Giovanni cède son poste de PDG à Lapo Civiletti, premier membre de la famille à occuper cette fonction, tandis qu’il prend la présidence exécutive, avec pour mission de superviser la stratégie à long terme et les acquisitions. Depuis, les deux hommes pilotent ensemble l’entreprise.

En 2018, Giovanni Ferrero accorde une rare interview à Forbes depuis l’usine historique de Ferrero à Alba, où sont toujours produits certains des best-sellers de la marque, comme les barres Kinder et le Nutella, qui ont contribué à faire de l’entreprise un géant mondial. « Je crois que nous avons le devoir de croître », déclarait-il alors, exposant son ambition d’augmenter les ventes de 7,33 % par an pour doubler la taille de l’entreprise en dix ans. « Nous sommes convaincus par cet objectif de croissance annuelle de 7,33 %, car, qu’elle soit organique ou non, elle permettrait de doubler la taille de Ferrero sur une décennie. »

Sept ans après avoir fixé cet objectif, Giovanni Ferrero est en passe de le dépasser. Entre 2017 et 2024, Ferrero a fait croître son chiffre d’affaires de 84 %, ce qui laisse à l’entreprise une marge de manœuvre confortable pour sous-performer légèrement le taux annuel de 7,33 % au cours des trois prochaines années tout en atteignant son but. Avec l’acquisition de WK Kellogg, Ferrero devrait par ailleurs renforcer sa présence dans les rayons des supermarchés américains. « L’entreprise a été fondée pour améliorer la qualité de ses produits et services tout en consolidant sa position sur le marché », souligne un expert du secteur.

Cette décennie d’acquisitions a aussi rapproché Ferrero de ses plus grands concurrents. Grâce au rachat de WK Kellogg, son chiffre d’affaires devrait désormais dépasser celui de Mars, le géant de la confiserie et des aliments pour animaux, qui table sur 21,3 milliards de dollars en 2024, avec des marques comme M&M’s, Snickers, KIND et Orbit. Toutefois, Mars attend toujours l’accord des régulateurs européens pour son acquisition de Kellanova, une ancienne branche de Kellogg, qui commercialise Rice Krispies Treats et Pringles, pour 36 milliards de dollars. En cas de validation, ce rachat pourrait propulser Mars encore plus loin, Kellanova ayant généré 13 milliards de dollars de ventes l’an dernier.

Enfin, Mondelez, basé à Chicago et propriétaire des marques Cadbury et Ritz, garde une avance confortable avec un chiffre d’affaires estimé à 36 milliards de dollars en 2024. Mais cela ne semble pas inquiéter Giovanni Ferrero. En privilégiant des acquisitions plus modestes, mais stratégiques, il parvient à conclure rapidement ses opérations tout en assurant une croissance régulière de son groupe.

Pourtant, plusieurs défis pourraient se profiler à l’horizon. Les droits de douane fluctuants imposés par le président américain Donald Trump, ainsi que la campagne menée par le secrétaire à la Santé des États-Unis, Robert F. Kennedy Jr., contre les colorants alimentaires artificiels (présents dans de nombreux produits allant des Froot Loops à Laffy Taffy) pourraient compliquer la donne.

Par ailleurs, WK Kellogg produit certains articles au Canada et au Mexique, pays menacés par de potentielles taxes douanières, comme l’a souligné l’entreprise dans son dernier rapport annuel en février. À cela s’ajoute la possible mise en place d’un droit de douane de 50 % sur le Brésil, principal fournisseur de canne à sucre de Ferrero, ce qui représenterait un nouveau coup dur.

Enfin, la récente envolée des prix du cacao, qui ont atteint des sommets historiques en 2024, vient également peser sur les coûts de production. Ferrero cherche à sécuriser et diversifier son approvisionnement en ingrédients clés, comme en témoigne son investissement de 340 000 dollars en novembre dernier dans des subventions de recherche visant à optimiser la culture des noisettes dans l’Oregon, qui fournit 99 % des noisettes américaines. Le groupe s’approvisionne également en Argentine, au Chili, en Turquie et en Italie.

Si une étude publiée en juin par le George Institute for Global Health a révélé que 60 % des produits Ferrero vendus aux États-Unis contiennent des colorants synthétiques (un taux supérieur à celui de toute autre entreprise étudiée), l’administration Trump n’a pas encore instauré de réglementation stricte obligeant les fabricants à éliminer ces additifs. De son côté, WK Kellogg assure que 85 % de ses céréales sont désormais sans colorants artificiels et prévoit de les supprimer complètement des produits distribués dans les écoles à partir de l’année scolaire 2026-2027.

En 2018, Giovanni Ferrero confiait à Forbes être convaincu que le secteur entrait dans une phase de consolidation où seuls quelques acteurs majeurs domineraient le marché. Sur un marché mondial encore très fragmenté, estimé à 620 milliards de dollars selon Statista, Ferrero a su creuser sa part. « Quelqu’un émergera en tant que leader », déclarait-il alors. Aujourd’hui, il est plus proche que jamais de réaliser cette ambition.

 

Un article de Giacomo Tognini pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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