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Gestion de fortune : « Le contexte international exige un accompagnement stratégique renforcé »

Olivier Liot, à gauche, co-fondateur de la Family office Norman K entouré de son équipe
Olivier Liot, à gauche, co-fondateur de la Family office Norman K entouré de son équipe

Paris ou Genève ne sont plus les seuls à avoir les faveurs des gros portefeuilles, qui trouvent davantage de sécurité économique ailleurs en Europe ou aux portes de l’Asie, notamment à Dubaï. Les grandes banques privées, family offices et gestionnaires de fortune opèrent dans un écosystème en pleine mutation, entre pression géopolitique, instabilité électorale et fragmentation des marchés. Décryptage avec Olivier Liot, co-fondateur de Norman K, un acteur français en forte expansion.

 

Forbes France : Selon une étude du cabinet McKinsey, le nombre de gestionnaires de fortune pourrait s’avérer insuffisant avec l’augmentation du nombre de milliardaires. Comment comptez-vous capitaliser sur cette pénurie annoncée ?

Olivier Liot : L’étude de McKinsey est sans appel : l’industrie de la gestion de fortune (incluant les US) sera confrontée à une pénurie de gestionnaires dans les années à venir. Ce déséquilibre est dû à une augmentation rapide de la richesse (croissance des ménages fortunés, hausse de la demande de services personnalisés) combinée à un taux de départ en retraite élevé. Ce déséquilibre entre l’offre et la demande est un tournant pour notre métier. Nous avons de fait décidé de transformer cette tension en avantage stratégique.

Concrètement, nous recrutons un double vivier de talents : d’un côté, des banquiers expérimentés ayant exercé dans les plus grandes banques internationales de gestion de fortune, qui apportent rigueur, réseau et savoir-faire. De l’autre, des jeunes diplômés issus des meilleures écoles de commerce et d’ingénieurs, que nous formons en interne à notre culture entrepreneuriale.

La digitalisation d’une partie de la chaîne de valeur est également une réponse à cette pénurie, elle permet aux équipes de se concentrer sur ce qui compte : l’écoute et l’accompagnement à long terme.

 

Qui sont les profils et marchés à l’origine de cette croissance exponentielle ?

O.L :

Les clients — souvent des entrepreneurs — ont changé. Ils sont plus jeunes, plus mobiles, mieux informés, et veulent une relation directe, efficace et sur-mesure. Ils refusent de multiplier les interlocuteurs, cherchent de la clarté, de la réactivité, et une capacité à répondre à toutes leurs problématiques dans un même lieu.

Nous avons construit une plateforme internationale intégrée, avec plus de 60 collaborateurs, qui gère environ 1,5 milliard d’euros sous mandat et supervise plus de 10 milliards d’euros de fortune, capable d’adresser l’ensemble des besoins d’un client « High Net Worth Individual » (HNWI), de la gestion financière aux investissements alternatifs, en passant par le financement, le conseil corporate, l’ingénierie patrimoniale et le family office.

Le paysage mondial de la gestion de fortune évolue rapidement, tant en termes de croissance des actifs que de répartition géographique. Aux côtés des places fortes historiques comme Genève, Luxembourg ou Londres, émergent de nouveaux hubs comme Milan, Madrid, Dubaï, Abu Dhabi et Singapour. Jusqu’ici, notre croissance a été essentiellement organique : ouverture de bureaux, agréments locaux, constitution d’équipes. Pour aller plus vite sur ces marchés à fort potentiel, nous privilégions désormais une stratégie hybride combinant croissance organique et croissance externe.

 

L’agenda politique international conditionne la conjoncture économique – et avec les difficultés politiques dans de nombreux pays en Europe et le retour de Trump aux affaires – le monde connaît des mutations très importantes. Comment naviguer à vue dans ce contexte ?

O.L : Effectivement, l’agenda politique international est devenu un facteur déterminant de l’environnement économique. Les tensions géopolitiques, les incertitudes électorales en Europe et le retour de Donald Trump aux États-Unis nous propulsent dans une ère marquée par davantage de volatilité, de fragmentation et potentiellement de reconfiguration des équilibres économiques mondiaux.

Un nouvel environnement exigeant un accompagnement stratégique renforcé pour les clients HNWI et UHNWI, afin de protéger leur patrimoine dans un monde plus instable, tout en identifiant les opportunités que ces mutations peuvent aussi faire émerger.

 

Face à ces nouvelles réalités géopolitiques, comment réagissent les entrepreneurs et grandes familles, et quel modèle d’accompagnement privilégient-ils ?

O.L : Dans les temps à venir, l’agilité sera plus que jamais primordiale : la capacité à réagir vite, à prendre des décisions éclairées, et à trouver conseil et accompagnement au même endroit fera toute la différence. Faire le choix d’un modèle intégré où toutes les solutions sont conçues en interne, sans intermédiaire, permettra d’être à la fois cohérents, réactifs et pleinement alignés avec ses clients.

Et pour bâtir une relation de grande proximité, il convient de se limiter volontairement à un nombre restreint de clients, en vue de leur consacrer un temps réel et une attention sur-mesure.

Nous observons aussi une tendance de fond : la mobilité internationale s’accélère. De nombreuses familles choisissent de s’établir dans de nouveaux pays. Certains Londoniens partent s’installer en Italie – notamment à Milan –, des familles sud-américaines s’installent à Madrid, et de plus en plus de Français font le choix de Dubaï, attirés par des environnements fiscaux plus favorables.

Un gestionnaire de fortune doit avoir la capacité de gérer, par exemple, les actifs financiers d’un client vivant à Londres, de financer sa villa à Ibiza, de refinancer son chalet à Courchevel ou encore de structurer une opération de croissance externe en Asie pour son entreprise. Cette agilité multi-métiers et multi-juridictions devient un véritable atout différenciant dans le contexte actuel. C’est le concept de « one stop shop » et d’ultra personnalisation des solutions auquel nous croyons fermement.

 

Comment l’IA est-elle en train d’impacter la gestion de fortune ?

O.L : L’intelligence artificielle a déjà commencé à transformer notre secteur, son rôle doit cependant être complémentaire, jamais substitutif. L’IA nous aide aujourd’hui à analyser plus vite et avec plus de précision. Elle renforce notre capacité à identifier des signaux faibles, à anticiper des risques, à détecter des opportunités ou à modéliser différents scénarios macroéconomiques. Elle nous aide également à améliorer l’efficacité de certains process opérationnels.

Mais dans la gestion de fortune, ce qui fait la différence reste l’humain, la confiance, et la compréhension fine de chaque situation familiale et patrimoniale. L’IA ne remplacera jamais l’écoute d’un wealth manager et la sensibilité qu’exige notre métier quand il s’agit d’accompagner une famille, un dirigeant ou un entrepreneur dans ses choix de long terme.

 


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