Alors que les législations se multiplient à travers le monde pour encadrer l’intelligence artificielle, la gouvernance de l’IA s’impose désormais comme un enjeu central de compétitivité, de conformité et de confiance pour les entreprises.
Une contribution de Fabien Fouissard, Head of Marketing, GenAI & AI advisory Fujitsu France
Depuis l’irruption de l’IA générative dans le paysage technologique mondial fin 2022, l’intelligence artificielle a franchi un seuil critique. L’accessibilité fulgurante des modèles de type GPT a bouleversé les usages professionnels et personnels, ouvrant de nouveaux horizons d’automatisation, de productivité et de création. Mais cette avancée spectaculaire s’accompagne de risques croissants, que les organisations ne peuvent plus ignorer.
La multiplication des incidents liés à l’IA — répertoriés dans des bases comme le AI Incident Database ou le OECD AI Incidents Monitor — témoigne d’une réalité : sans garde-fous, l’IA peut générer des effets secondaires graves, de la diffusion de contenus haineux (comme dans Fortnite) aux deepfakes à caractère sexuel impliquant des personnalités publiques.
Face à cela, les régulateurs agissent. Aux États-Unis, la Californie a adopté la loi SB942 qui imposera, dès 2026, des obligations de transparence aux fournisseurs d’IA générative. Mais c’est l’Union européenne qui a pris les devants avec l’adoption en 2024 de l’IA Act, premier cadre législatif global au monde pour réguler les systèmes d’intelligence artificielle.
Gouvernance de l’IA : de la conformité au levier stratégique
Ce nouveau paysage réglementaire oblige les entreprises à repenser leur approche de l’IA. Il ne s’agit plus seulement d’un sujet technique ou d’innovation, mais bien d’un enjeu de gouvernance. La mise en place d’une politique interne de l’IA devient un impératif stratégique. C’est une démarche proactive qui permet non seulement d’anticiper les obligations légales, mais aussi de bâtir une relation de confiance avec les utilisateurs, les clients, les investisseurs et les pouvoirs publics.
L’IA Act classe les systèmes en quatre niveaux de risque : minimal, limité, élevé et inacceptable. Si les systèmes à faible risque restent peu encadrés, ceux à risque élevé (comme les IA utilisées dans les services publics, la santé ou le recrutement) devront respecter des exigences strictes :
- Évaluation des risques et impact sur les droits fondamentaux,
- Traçabilité et documentation complète,
- Transparence des algorithmes et des contenus générés (ex. deepfakes),
- Supervision humaine obligatoire,
- Gestion rigoureuse des données et de la cybersécurité.
Ce texte s’inscrit dans une stratégie plus large de régulation du numérique en Europe (RGPD, DSA, Data Act, Cyber Resilience Act). Il ouvre la voie à une forme de souveraineté technologique qui pourrait inspirer d’autres puissances régulatrices, comme le Brésil, le Canada ou l’Australie.
Gouvernance responsable : les priorités des entreprises
Les entreprises ont tout intérêt à prendre les devants. Gouverner l’IA, c’est construire un cadre clair de gestion, de contrôle et d’éthique tout au long du cycle de vie des projets : de la collecte des données à l’exploitation du système. Ce cadre est d’autant plus indispensable que 56 % des Français expriment un manque de confiance envers l’IA selon le Baromètre du numérique 2025. Cette défiance rappelle l’importance cruciale de la transparence et de la responsabilité.
Aussi, cinq domaines doivent concentrer l’attention des dirigeants :
- Robustesse technique : garantir la fiabilité des modèles face aux manipulations et limiter les biais ou dérives par des processus de validation rigoureux.
- Surveillance humaine : les systèmes doivent rester compréhensibles et sous contrôle, en particulier dans les décisions sensibles ou critiques.
- Transparence : assurer la traçabilité des décisions algorithmiques et rendre les modèles auditables.
- Sécurité des agents IA : les IA autonomes intégrées à des systèmes critiques nécessitent une vigilance renforcée à chaque étape, de l’entraînement au déploiement.
- Empreinte environnementale : l’IA peut contribuer aux objectifs climatiques mais elle doit être alignée sur les limites planétaires. Son développement doit intégrer des critères de durabilité.
Cette gouvernance passe aussi par la constitution d’équipes dédiées, capables de piloter l’IA de manière transverse (juridique, IT, RSE, direction générale), et par une documentation complète des risques et des processus d’atténuation. Il est essentiel de bâtir des mécanismes internes de redevabilité, de contrôle et d’éthique.
Les entreprises qui sauront encadrer leur usage de l’IA tout en conservant leur agilité auront un avantage compétitif majeur. Celles qui tarderont à structurer leur gouvernance prendront le risque de subir une perte de confiance, de réputation, voire des sanctions réglementaires.
Face à un écosystème technologique en mutation rapide, la gouvernance de l’IA n’est plus un luxe, c’est une nécessité. Elle sera demain ce que la gouvernance des données a été hier : un marqueur de maturité, un facteur de résilience, et un fondement de compétitivité durable.
À lire également : L’IA au travail : quand 41 % des start-up créent des solutions que les employés rejettent

Abonnez-vous au magazine papier
et découvrez chaque trimestre :
- Des dossiers et analyses exclusifs sur des stratégies d'entreprises
- Des témoignages et interviews de stars de l'entrepreneuriat
- Nos classements de femmes et hommes d'affaires
- Notre sélection lifestyle
- Et de nombreux autres contenus inédits