Il y a à peine deux ans, l’intelligence artificielle était encore un outil réservé aux initiés, aux chercheurs, aux grandes plateformes. Aujourd’hui, elle s’infiltre partout : dans nos écoles, nos tribunaux, nos hôpitaux, nos entreprises, nos foyers. Elle résume des textes, génère des images, prend des décisions, anticipe nos comportements et fait parfois office de psychologue. Et surtout : elle apprend vite. Trop vite pour que nos cadres éthiques, juridiques, politiques puissent suivre.
Une contribution de Jean-François Deldon, coauteur du “Guide de l’IA en entreprise. Manuel de survie pour les PME” et fondateur de l’entreprise de conseil en IA, Yakadata
L’IA n’est plus une technologie. C’est un fait social. Et, comme tout fait social majeur, elle divise, fascine, inquiète — parfois à raison, souvent par ignorance.
Une révolution silencieuse… et brutale
En 2023, une IA générative pouvait déjà écrire un discours politique crédible, coder une application mobile, générer une fausse voix ou imiter un visage. En 2025, elle peut modéliser un procès-verbal, analyser une scène de crime, converser en temps réel avec un patient ou créer de faux justificatifs de déplacements.
Cette progression est vertigineuse. Elle rebat les cartes de la production, de l’apprentissage, de la création. Elle accélère la productivité, augmente nos capacités cognitives, libère du temps pour la stratégie, l’empathie, la relation humaine. Elle nous déleste des tâches répétitives. C’est une formidable opportunité pour les entreprises, les agents publics, les soignants, les enseignants, les chercheurs.
Mais c’est aussi une rupture brutale. Car à cette vitesse, tout se fragilise : les repères, les métiers, les règles, les normes. Ce que l’on gagne en efficacité, on risque de le perdre en compréhension, en contrôle, en sens.
Les bienfaits ne doivent pas masquer les dérives
Oui, l’IA peut améliorer notre quotidien. Mais mal utilisée, elle peut aussi le fragmenter. Elle peut reproduire les biais racistes, genrés ou sociaux. Elle peut désinformer à grande échelle, manipuler les comportements, nourrir des systèmes de surveillance illégitimes. Quand une IA est capable d’imiter votre voix au point de tromper votre propre famille, ou de générer des vidéos crédibles d’un ministre tenant des propos qu’il n’a jamais prononcés, nous ne sommes plus dans l’anticipation. Nous sommes dans la réalité.
Pire : dans un monde où les modèles d’IA sont souvent opaques, leur fonctionnement devient inintelligible, même pour leurs concepteurs. Si nous ne comprenons plus comment les décisions sont prises, alors nous ne sommes plus dans un état de droit. Nous sommes dans un état probabiliste.
L’urgence : comprendre pour gouverner
Face à cette transformation, nous avons deux options : subir ou construire. La passivité serait une faute. L’interdiction serait une erreur. Il faut choisir une troisième voie : celle de la gouvernance éclairée. Cela commence par la transparence des modèles. Par une régulation adaptée à la rapidité de l’innovation. Par l’investissement dans une IA explicable, auditée, utile et souveraine. Cela continue par la formation massive de nos décideurs, de nos enseignants, de nos enfants. Et cela s’incarne dans une IA de confiance, où chaque déploiement technologique est aussi une décision politique et éthique.
Construire une société augmentée… pas une société automatisée
Le vrai débat n’est pas technologique. Il est humain. Ce n’est pas : “Peut-on tout faire ?” C’est : “Que veut-on faire ensemble ?” L’IA ne remplacera pas le jugement. Elle ne remplacera pas l’attention. Elle ne remplacera pas la démocratie.
Elle peut, en revanche, en être l’alliée. Si nous savons la penser, la cadrer, la partager. Bref, si nous en prenons totalement le contrôle. Ce moment est historique : c’est maintenant que se joue la forme que prendra notre société augmentée. Sera-t-elle plus juste, plus ouverte, plus performante ? Ou sera-t-elle verrouillée, biaisée, dépendante ?
C’est à nous tous d’en décider.
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