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Shez Partovi (Philips) : « L’IA agentique est un levier pour combler le fossé entre la demande et l’offre de soins »

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Shez Partovi, Chief Innovation & Strategy Officer et numéro deux du groupe Philips

À l’occasion de Vivatech 2025, Forbes France a rencontré Shez Partovi, Chief Innovation & Strategy Officer chez Philips. Médecin de formation, il orchestre la transformation numérique du groupe autour de l’intelligence artificielle, avec une vision claire, celle de renforcer l’efficacité des professionnels de santé, améliorer l’accès aux soins et replacer l’humain au cœur de la pratique médicale.

Forbes France : Pourriez-vous revenir sur le cœur de mission du groupe Philips et sur le vôtre en tant que Chief Innovation & Strategy Officer ?

Shez Partovi : Philips s’est profondément transformé au cours des dernières années. L’entreprise, autrefois connue pour ses téléviseurs ou ses ampoules, s’est recentrée exclusivement sur la technologie et l’innovation médicale. Même si notre nom peut encore apparaître sur certains produits via des licences, notre activité est aujourd’hui totalement tournée vers la medtech et la healthtech.

Dans ce contexte, ma mission consiste à travailler en étroite collaboration avec les hôpitaux et les systèmes de santé à travers le monde. L’idée est de partir des besoins concrets du terrain pour concevoir des solutions technologiques utiles. Chez Philips, nous plaçons l’écoute au centre de notre démarche : c’est en comprenant les difficultés vécues par les soignants et les patients que nous orientons nos innovations.


Quels sont aujourd’hui les défis les plus urgents auxquels font face les systèmes de santé dans le monde, et comment Philips y répond-il ?

S. P. : Le défi principal est global : c’est l’écart croissant entre une demande en soins qui explose, notamment à cause du vieillissement de la population, et une offre de soins contrainte par la pénurie de professionnels. Les maladies chroniques sont en hausse, les cas complexes se multiplient, et les systèmes de santé sont sous tension. L’OMS prévoit un déficit de 11 millions de soignants d’ici 2030.

Nous avons mené une enquête mondiale qui a révélé que trois patients sur quatre attendent entre deux et trois mois pour obtenir un rendez-vous, y compris dans les pays développés. Face à cela, notre rôle est d’aider les professionnels à se recentrer sur leur cœur de métier. En automatisant certaines tâches et en les assistant grâce à l’intelligence artificielle, nous leur permettons de gagner du temps et de voir plus de patients, sans compromettre la qualité des soins.

Comment l’intelligence artificielle appliquée à la santé permet-elle concrètement de gagner du temps et d’optimiser le travail des médecins ?

S. P. : Prenons un exemple simple, celui d’une échographie cardiaque. Le médecin passe 20 minutes à la réaliser, puis encore 20 à analyser les images. Avec nos technologies, l’IA identifie automatiquement les images clés, trace les contours, effectue les mesures. Le professionnel ne se concentre que sur l’interprétation finale. Résultat, la moitié du temps est économisée.

Autre cas d’étude, en radiologie, l’IA peut faire remonter automatiquement des images suspectes en haut de la pile pour attirer l’attention du médecin. Elle ne remplace pas l’expertise, mais guide et soulage la charge cognitive. En allégeant ces tâches, elle permet aux soignants de rester concentrés sur le cœur de leur métier et de dégager plus de temps pour leurs patients.

À qui s’adressent concrètement vos technologies ?

S. P. : Nos principales solutions sont destinées aux hôpitaux et aux cliniques. Nous leur proposons des outils pour la prise en charge hospitalière comme pour le suivi des patients. Mais nous avons aussi conservé une division « bien-être », qui développe des produits à usage domestique, comme des brosses à dents connectées ou des dispositifs de surveillance simples.

Ce choix s’explique par une tendance de fond : les soins se déplacent de plus en plus vers le domicile. Il est donc essentiel de proposer des technologies accessibles, conçues pour les patients eux-mêmes. Cette complémentarité entre équipements professionnels et outils de santé personnelle structure notre stratégie d’innovation.

Quelle est la mission que vous poursuivez chez Philips, et en quoi l’intelligence artificielle joue-t-elle un rôle central dans cette ambition ?

S. P. : Nous visons à améliorer la vie de 2,5 milliards de personnes chaque année d’ici 2030, dont 400 millions issues de communautés mal desservies. C’est une ambition forte qui repose sur la conviction que l’innovation doit être inclusive. L’intelligence artificielle est au cœur de cette mission, car grâce à ses capacités d’automatisation et d’augmentation, elle permet à la fois aux soignants de dispenser des soins de meilleure qualité, mais aussi de les rendre accessibles à un plus grand nombre de patients. C’est une double promesse, améliorer et démocratiser les soins, que nous cherchons à tenir grâce à l’IA.

Les applications de l’IA à la médecine sont multiples. L’IA peut affiner les images en IRM pour mieux détecter une tumeur, ou tripler la vitesse d’un scanner, augmentant ainsi le nombre de patients traités chaque jour. Ce ne sont pas des promesses abstraites, ce sont des avancées concrètes qui améliorent le quotidien des médecins et la qualité de vie des patients.

Comment l’innovation portée par Philips renforce-t-elle l’accès aux soins, notamment dans les communautés les plus isolées ou défavorisées ?

S. P. : Nous travaillons en partenariat avec des ONG et agences publiques pour développer des solutions adaptées aux réalités locales. Un exemple marquant est un échographe portable connecté à un smartphone. Il est capable, grâce à l’IA, d’analyser l’état de santé d’un fœtus sans nécessité de compétence médicale poussée. Il suffit de faire un balayage, et c’est ensuite le système qui réalise les mesures et fournit une lecture claire.

Autre innovation :notre IRM qui fonctionne presque sans hélium.. Son faible besoin ce gaz rare et coûteux, le rend écologique et accessible. On peut le placer dans un camion et l’amener au plus près des patients. Ce type de technologie permet de répondre à une réalité : les besoins sont partout, mais les équipements ne le sont pas.

Pourquoi avoir choisi Paris pour implanter votre centre d’innovation, et quel rôle la France peut-elle jouer dans l’avenir de la healthtech en Europe ?

S. P. : Nous avons ouvert le centre HIP à Paris en octobre 2023. Ce choix s’explique par la densité de talents en intelligence artificielle, la dynamique technologique française et le soutien public à la santé. Des startups comme MistralAI montrent à quel point la France peut se positionner comme un leader en innovation.

Nous y avons réuni 250 chercheurs travaillant sur des sujets comme la détection d’arythmies cardiaques, la cybersécurité et la modélisation prédictive. Nous collaborons aussi avec des centres hospitaliers français, comme ceux de Bordeaux sur un projet lié aux AVC. La France a toutes les cartes en main pour devenir un acteur clé de la healthtech européenne.

Quels enseignements tirez-vous de ce projet, un an et demi après son lancement ?

S. P. : Nous avons constaté que les talents attirent les talents. Beaucoup de nos collaborateurs ont rejoint le centre pour participer à un projet porteur de sens. Ce qui les motive, ce n’est pas seulement l’innovation, mais son impact réel sur la société.

L’une de nos équipes a développé un algorithme capable de prédire une attaque cardiaque deux semaines à l’avance, en analysant en continu les données du rythme cardiaque. Ces projets donnent du sens au travail des experts en IA, qui voient concrètement comment leur savoir peut sauver des vies.

Vous évoquez le potentiel de l’IA agentique. En quoi constitue-t-elle une réponse concrète aux tensions actuelles dans les systèmes de santé ?

S. P. : L’IA agentique se distingue par sa capacité à exécuter des tâches de bout en bout, notamment non médicales. Elle représente une réponse directe à la pénurie de personnel. Une étude que nous avons menée montre que près de la moitié des cliniciens perdent quatre heures par semaine sur des tâches administratives, qui ne relève pas du soin direct des patients qui nécessite une expertise médicale. L’IA peut reprendre cette charge, libérant du temps pour les soins.

L’Europe, avec ses systèmes publics de santé, a une occasion unique de tirer parti de ces gains de productivité. L’IA, et en particulier l’IA agentique, constitue un levier concret pour combler le fossé croissant entre la demande de soins et la capacité des systèmes à y répondre. Mais pour cela, il faut une régulation claire, simple et incitative. La régulation ne doit pas freiner l’innovation, mais créer la confiance. Si cet équilibre est atteint, l’Europe pourra devenir un leader mondial de l’IA en santé.

 


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