Forbes France s’est rendu en Grèce pour rencontrer investisseurs, entrepreneurs et représentants publics afin de comprendre comment le pays transforme son écosystème technologique en levier stratégique de croissance. Décryptage.
Hier encore l’un des pays les plus endettés d’Europe, la Grèce pourrait bientôt devenir l’un des principaux berceaux de start‑ups européennes. L’écosystème tech représente aujourd’hui 1,1 % du PIB, avec une capitalisation locale autour de 10 milliards d’euros. Un chiffre modeste comparé aux 220 milliards de capitalisation des entreprises tech grecques aux États-Unis, mais qui marque un changement décisif dans la structure de l’économie nationale.
Ce dynamisme est porté par un fort consensus politique. Le Premier ministre Kyriákos Mitsotákis l’a rappelé : « il y a un consensus entre presque tous les partis politiques en Grèce de faire grandir l’écosystème tech ». Cette volonté transversale vise à faire de la tech un moteur de croissance, avec une attention particulière à la création d’emplois et au retour des talents.
La diaspora grecque joue un rôle clé dans cette stratégie. Très présente dans les grands hubs technologiques mondiaux, elle agit comme un vecteur de transferts de compétences et de capitaux. C’est notamment le cas dans des domaines de pointe comme l’intelligence artificielle et la biotechnologie, où des profils grecs influents reviennent ou investissent dans leur pays d’origine.
Talents, culture entrepreneuriale et formation
Un moteur central de cette dynamique réside dans le capital humain local, dense, qualifié et plus accessible qu’ailleurs du fait de la jeunesse et de la croissance du marché grec. « Le talent est ici », répète Guy Krief. Depuis la structuration du secteur, une partie des talents grecs expatriés revient, attirés par les opportunités locales et la qualité de vie. Ce mouvement s’est intensifié depuis la crise du COVID, renversant la tendance au “brain drain”.
D’autant que les talents grecs font preuve de fidélité dans leurs engagements professionnels. « Les gens restent plus d’un an dans les entreprises, la moyenne est de 4 à 5 ans (contrairement à Boston où c’est moins d’un an) », ajoute Guy Krief. Le pays dispose également d’une densité impressionnante de chercheurs de haut niveau, notamment en IA et cryptographie, formés localement et souvent motivés à revenir.
Le changement culturel est profond : « La tech et l’entrepreneuriat sont devenus beaucoup plus populaires en Grèce. L’esprit se développe ici », explique Dimitris Kalavros-Gousiou, co-fondateur d’Apeiron Venture. Portés par les success stories locales et des réseaux comme Endeavor, les jeunes veulent créer, tester et apprendre par l’action.
Des initiatives comme Panathénéa, portée par Lars Rasmussen (co-fondateur de Google Maps), catalysent cette énergie. Inspirée d’un modèle nordique, cette plateforme mobilise des étudiants dans des projets entrepreneuriaux ambitieux. En cinq mois, elle a attiré plus de 3 100 participants venus de 44 pays.
Si Athènes attire de plus en plus les regards, c’est en partie parce qu’elle émerge d’une longue crise économique qui a profondément marqué le pays. Cette résilience a engendré un enthousiasme fort dans les mentalités du pays. « C’est comme le printemps après l’hiver », résume Lars Rasmussen de Panathénéa.
Des indicateurs de croissance concrets
La Grèce compte aujourd’hui plus de 800 start-ups actives. En 2024, 12 d’entre elles ont connu une sortie (exit), signal d’un marché en phase de structuration. Trois ont atteint le statut de licorne : Blueground, BetaPi, et Viva Wallet – cette dernière ayant été rachetée par JP Morgan, symbole de l’intérêt croissant des géants mondiaux pour l’innovation grecque.
L’attractivité du pays est confirmée par la présence de grands noms comme Google, Meta, Amazon, Nvidia ou Tesla, qui ont tous investi ou ouvert des structures en Grèce. Athènes, grâce à deux universités d’excellence, devient un véritable hub régional.
La Grèce a aussi été choisie par l’Union européenne comme l’un des sept pays à accueillir une « AI Factory ». Le projet grec, baptisé Pharos, sera opérationnel en 2025 et reposera sur le supercalculateur Daedalus avec un budget de 30 millions d’euros. Il développera notamment des solutions dans les domaines de la santé, du climat et de la culture.
Un cadre propice et des secteurs stratégiques
La Grèce a simplifié son environnement administratif pour favoriser l’entrepreneuriat. « Ils ont rendu la création d’entreprise très facile ici, cela prend une semaine. Mais avec la banque, cela reste encore un peu compliqué », nuance Guy Krief. Si certains freins subsistent, notamment bancaires, la tendance générale est à l’allègement.
Le pays dispose de nombreux atouts structurels : talents à coûts compétitifs, abondance d’énergies renouvelables, jeux de données riches (notamment en santé), et position géographique avantageuse. « Le gouvernement est compréhensif et favorable à l’industrie tech », assure le Premier ministre.
Trois priorités sectorielles guident cette stratégie : l’IA appliquée à la gouvernance publique, l’IA pour le climat, et la technologie appliquée à la défense – un secteur qui représente 3,5 % du PIB et mobilise des investissements hybrides. La stratégie repose aussi sur l’intégration à d’autres marchés européens pour pallier la taille réduite du marché local.
Une coopération franco-grecque stratégique
La coopération entre la Grèce et la French Tech illustre une complémentarité stratégique. La France dispose d’un marché structuré ; la Grèce, d’un vivier de talents fidèles et motivés. « En Grèce, les gens restent plus longtemps dans les entreprises, et ils sont fiers de travailler dans la tech », note Guy Krief.
Alors que la Grèce développe ses premiers fonds de scale-up, la France accompagne cette évolution par son expertise et ses outils de financement. « Cette collaboration aide aussi à préparer les prochains exits », souligne Antigoni Lymperopoulou, CEO de HDBI.
La défense et la santé constituent deux domaines clés de cette alliance. La Grèce, en tant qu’État client stratégique, attire des partenariats bilatéraux à haute valeur ajoutée. Cette dynamique est renforcée par des campagnes d’image comme « Innovation Nation » menée par Endeavor, qui visent à réconcilier identité historique et modernité technologique.
Une trajectoire à consolider
L’écosystème grec progresse vite : +45 % de croissance annuelle en moyenne sur dix ans. Le gouvernement vise désormais 10 % de contribution de la tech au PIB. Mais des freins subsistent notamment l’inefficience des marchés de capitaux.
Trop longtemps, les banques ont préféré soutenir des entreprises à croissance stable. « C’est comme construire une autoroute magnifique dans un pays sans voitures », illustre Guy Krief. Pour y remédier, un fonds de croissance de 200 milliards d’euros est en cours de création.
Les grands groupes internationaux montrent leur intérêt : un data center de 400 mégawatts a récemment vu le jour, attirant capitaux et talents. « Pour l’instant, rien ne place vraiment la Grèce sur le devant de la scène européenne de l’innovation, mais il est plus important de regarder la trajectoire générale du pays », conclut Lars Rasmussen.
Dans un contexte post-crise marqué par la résilience, la tech apparaît comme un levier crédible pour la transformation durable de l’économie grecque.
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