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5 idées reçues sur l’informatique quantique

5 idées reçues sur l'informatique quantique / Crédits : adventtr
5 idées reçues sur l'informatique quantique / Crédits : adventtr

Depuis plusieurs années, l’informatique quantique est présentée comme la prochaine révolution. En France et dans le monde, les financements publics et privés se multiplient, les start-ups se développent, et les États rivalisent d’annonces. Mais que recouvre exactement l’expression « informatique quantique » ? Sera-t-elle plus rapide, plus propre, capable de casser tous les systèmes cryptés, ou d’optimiser n’importe quel problème ? Le spécialiste Olivier Ezratty déconstruit cinq idées reçues pour nous aider à y voir plus clair.

Idée reçue n°1 — Les États-Unis et la Chine ont déjà gagné la guerre du quantique

C’est l’un des fantasmes les plus répandus : la France et l’Europe seraient déjà hors-jeu dans la course mondiale au quantique. En réalité, l’Union européenne, France comprise, investit davantage d’argent public que les États-Unis ou la Chine dans ce domaine. 

« Au total, 9 milliards d’euros ont été injectés sur cinq ans pour toute l’Europe confondue (UE + États membres), soit 70 % de plus que les États-Unis sur la même période. », justifie Olivier Ezratty.

La France se distingue aussi par la vitalité de son écosystème. Elle est aujourd’hui numéro un en Europe pour les levées de fonds dans les start-ups quantiques, avec environ 750 millions d’euros collectés, loin devant l’Allemagne. Une dynamique portée par un subtil équilibre entre soutiens publics (Bpifrance en tête) et investissements privés.


Certes, les États-Unis dominent le financement privé grâce à la puissance de leurs géants technologiques – IBM, Google, Amazon – et à leur écosystème de capital-risque. La Chine, elle, progresse, mais sans être hégémonique : certaines start-up françaises ont levé autant que leurs homologues chinoises.

« Là où on est meilleur (en Europe), c’est dans le financement publique où on est largement devant les US et la Chine […] Et vis-à-vis de la Chine, on est dans une situation qui est très curieuse même, puisqu’en réalité les start-up françaises ont levé presque autant de capitaux que les chinoises. », explique Olivier Ezratty.

 

Idée reçue n°2 — Les ordinateurs quantiques seront plus rapides pour tout

Non, l’informatique quantique ne rendra pas tous les calculs plus rapides. Elle ne remplacera pas l’informatique classique, mais viendra la compléter, « comme un GPU complète un CPU », selon Olivier Ezratty. Les ordinateurs quantiques sont avant tout conçus pour résoudre des problèmes spécifiques, à forte complexité, notamment dans des domaines comme la chimie, la recherche fondamentale ou certaines optimisations industrielles.

« Le lieu commun, c’est de considérer que tout ce qu’on fait en classique, on va l’accélérer grâce au quantique. Alors c’est faux. », justifie Olivier Ezratty.

Les véritables gains de performance sont attendus dans des secteurs pointus comme la simulation moléculaire, l’optimisation mathématique ou la finance avancée. Ces machines pourraient, par exemple, permettre de simuler des molécules avec une précision inédite ou d’optimiser des portefeuilles financiers comportant des millions de variables. En revanche, elles n’accéléreront ni nos e-mails ni nos vidéos Netflix.

Par ailleurs, il faut comprendre que l’informatique quantique permet des accélérations, mais pas une instantanéité.

« On ne remplace pas un temps très long par un temps instantané. On remplace un temps très long par un temps moins long. Mais moins long, ça ne veut toujours pas dire instantané. », souligne Olivier Ezratty.

En d’autres termes, un calcul qui prendrait dix ans pourrait être ramené à une heure. Mais cela reste hors du temps réel, d’autant que la compilation quantique est lente et doit être recommencée à chaque modification des données. Des applications comme la conduite autonome restent donc inaccessibles à court terme.

 

Idée reçue n°3 — Le quantique va casser toute la cryptographie actuelle

En 1994, Peter Shor a démontré qu’un ordinateur quantique suffisamment puissant pourrait casser les algorithmes RSA et ECC, fondements actuels de la cryptographie. Depuis, une course technologique s’est engagée pour construire une machine capable d’exécuter cet algorithme. Mais cette menace reste lointaine.

« Il faut à peu près un million de qubits physiques pour casser les systèmes cryptographiques actuels, et aujourd’hui, on a des machines avec 100 ou 150 qubits au mieux. », explique Olivier Ezratty.

Google, qui dispose des machines les plus avancées, travaille avec 105 qubits sur ses machines les plus avancées. On reste donc très loin du seuil critique, notamment à cause des contraintes techniques : câblage, cryogénie, interconnexions…

L’estimation d’un délai de 10 à 15 ans est souvent répétée… depuis 20 ans.

« Ça fait des années qu’on dit que dans 10 à 15 ans, on aura un ordinateur quantique suffisamment puissant pour casser la cryptographie, et ça fait 20 ans qu’on dit ça. », argue Olivier Ezratty.

En attendant, les chercheurs développent déjà des solutions de cryptographie dites « post-quantiques », résistantes à ces futures menaces.

 

Idée reçue n°4 — Quantique et intelligence artificielle, c’est la même chose

Quantique et IA sont souvent confondus, sans doute parce qu’ils incarnent tous deux des ruptures technologiques majeures, complexes à appréhender.

« Il y a un autre amalgame qu’on fait souvent, c’est l’IA et le quantique. Parce que ce sont deux technologies compliquées, qui font appel à des mathématiquess complexes, qui ne sont pas forcément bien comprises car encore assez nouvelles. », raconte Olivier Ezratty.

Pourtant, il s’agit de deux domaines très différents. L’intelligence artificielle regroupe des logiciels (LLM, reconnaissance d’image, génération audio, etc.), tandis que l’informatique quantique repose sur un modèle de calcul physique.

Il existe des interactions entre les deux : des algorithmes quantiques pourraient accélérer certains calculs d’IA, tandis que l’IA est déjà utilisée pour optimiser les composants ou corriger les erreurs des systèmes quantiques.

Mais là encore, ces promesses restent à l’état de recherche.

« Pour l’instant, il n’y a pas de preuve que le quantique apporte une véritable accélération de l’IA. Ce sont des choses qui sont explorées en laboratoire, mais on n’a pas encore la démonstration scientifique que le quantique va permettre d’accélérer les réseaux de neurones. », alerte Olivier Ezratty.

 

Idée reçue n°5 — Le quantique polluera moins que l’intelligence artificielle

Sur le plan énergétique, l’informatique quantique actuelle consomme relativement peu :

« Aujourd’hui, un ordinateur quantique consomme entre 15 kilowatts et 250 kilowatts, ce qui n’est pas beaucoup »

Soit bien moins qu’un datacenter dédié à l’IA. Cela s’explique par le nombre encore faible d’utilisateurs et par le fait que les calculs sont longs, mais ponctuels. Les futurs ordinateurs quantiques, dotés de millions de qubits, nécessiteront une infrastructure lourde : cryogénie, lasers, micro-ondes, câblage… Des technologies peu frugales.

Selon la Quantum Energy Initiative, cofondée par Ezratty, l’empreinte énergétique du quantique à venir pourrait varier d’un facteur 1 à 100 selon les choix technologiques. Il pourrait donc s’avérer plus ou moins sobre que l’IA selon les cas.

 

L’informatique quantique ne bouleversera pas nos usages quotidiens demain. Mais elle ouvre des perspectives puissantes dans la recherche, la chimie, la finance ou l’aérospatial. Loin des mythes, elle constitue une technologie d’ingénierie lente et exigeante, encore en phase de maturation scientifique. Son potentiel est réel — mais il mérite d’être traité sans exagération ni simplification.

 


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