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Faire face aux défis de l’accélération industrielle dans la défense : une équation stratégique pour la souveraineté française

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Faire face aux défis de l’accélération industrielle dans la défense : une équation stratégique pour la souveraineté française

À l’approche du Salon du Bourget, vitrine des ambitions et innovations technologiques françaises, un défi stratégique s’impose : répondre à l’accélération des besoins industriels dans la défense. La guerre en Ukraine, les tensions au Moyen-Orient et la pression sur les budgets de souveraineté révèlent une urgence : transformer les intentions politiques en capacités productives concrètes. Si la volonté est affichée, l’équation industrielle — entre investissements, compétences et organisation — reste à résoudre pour que la montée en cadence devienne réalité.

Une contribution de Louis Catala, Partner, EFESO Management Consultants

 

Une volonté politique affirmée, mais une industrie encore bridée

 


Les augmentations de cadence sont visibles : les commandes de matériels emblématiques comme le Caesar ou le Rafale ont progressé. Pourtant, ces premiers mouvements ne représentent que la partie émergée de l’iceberg. L’outil industriel, notamment celui des PME et ETI qui composent le tissu des sous-traitants de défense, n’a pas encore été “stressé” à la hauteur des ambitions affichées. En clair : l’objectif de doubler voire tripler les capacités nominales pour répondre aux exigences d’une économie de guerre reste largement théorique à ce jour.

Le retard observé provient de plusieurs facteurs. D’une part, les effets d’annonce gouvernementaux sont rarement suivis d’une structuration opérationnelle immédiate, notamment en termes de commandes fermes et de financements adossés. D’autre part, le système industriel français fonctionne dans un écosystème fragmenté, où la visibilité sur la chaîne de sous-traitance est limitée et où les capacités critiques — notamment dans les savoir-faire rares ou la fabrication de pièces complexes — peuvent rapidement devenir un facteur bloquant.

 

La triple contrainte : capital, compétences et organisation

 

L’accélération des cadences impose une transformation structurelle que peu d’acteurs peuvent assumer seuls. Trois verrous majeurs doivent être levés : l’accès au capital pour financer les investissements, la disponibilité des compétences techniques et la capacité à organiser une montée en charge sans déséquilibrer l’outil de production.

Le financement est le premier écueil, notamment pour les PME et ETI. Investir dans de nouveaux actifs productifs — machines à commande numérique, centres d’usinage complexes, extension des moyens de stockages suppose un engagement durable dans le temps, adossé à des carnets de commandes suffisamment robustes. Or, dans un contexte d’incertitude, peu d’acteurs osent faire ce pari seuls. Des solutions de co-investissement, de joint-ventures industrielles ou encore de soutien étatique ciblé deviennent des leviers indispensables.

Deuxième enjeu : les ressources humaines. Le recrutement de profils qualifiés (opérateurs spécialisés, électroniciens, chaudronniers, etc.) est déjà un goulot d’étranglement majeur. La croissance du secteur ne peut se faire sans un plan massif de montée en compétences, adossé à une politique de formation technique plus agile, capable d’intégrer des parcours accélérés et adaptés à la réalité des métiers industriels.

Enfin, la réorganisation interne est cruciale. L’augmentation des cadences ne peut se limiter à un allongement des horaires ou à une extension des lignes existantes. Elle exige une redéfinition des flux de production, une réduction des temps de cycle, une intégration plus étroite avec les fournisseurs, et l’implémentation de méthodes issues du lean manufacturing, adaptées aux contraintes de l’industrie de défense.

 

Vers une stratégie industrielle souveraine et durable

 

L’urgence ne doit pas faire perdre de vue les fondamentaux : pour réussir ce ramp-up, il est nécessaire de structurer une stratégie industrielle de long terme. Cela suppose une cartographie fine des capacités actuelles, l’identification des points de rupture potentiels dans les chaînes de valeur, et une coordination renforcée entre les grands donneurs d’ordre et leur tissu de sous-traitance.

Les pouvoirs publics ont un rôle clé à jouer, mais celui-ci ne peut se limiter à la commande. Il doit inclure un accompagnement méthodologique, financier et RH sur toute la chaîne. C’est à cette condition que la montée en cadence ne sera pas une série de coups isolés, mais une véritable bascule vers un modèle productif plus robuste, plus lisible et plus souverain.

 

Penser l’accélération industrielle comme une politique de transformation

 

Le défi posé à l’industrie de défense française n’est pas uniquement une question de production : il engage une transformation en profondeur de nos capacités industrielles. En ce sens, il est un révélateur des faiblesses structurelles, mais aussi une formidable opportunité de repositionner l’industrie française sur un chemin de souveraineté durable.

Encore faut-il accepter de penser le temps industriel dans sa complexité, et d’engager les moyens à la hauteur des ambitions affichées.

 


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