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Hélène Darroze : « On ne peut donner du bonheur en cuisine que si l’on est heureux soi-même »

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Hélène Darroze : « On ne peut donner du bonheur en cuisine que si l’on est heureux soi-même »

Cheffe triplement étoilée, figure incontournable de la gastronomie contemporaine, ambassadrice de la gamme cuisine LG pour la deuxième année consécutive, Hélène Darroze s’est imposée par une cuisine sensible, enracinée et audacieuse. Entre Paris, Londres et Marrakech, elle cultive une vision humaine et instinctive du métier. Pour Forbes France, elle revient sur les étapes de sa carrière, son rôle de femme cheffe, et son engagement pour une transmission bienveillante et sincère.

 

Forbes France : Quelles sont les étapes de votre parcours dont vous êtes la plus fière ?

Hélène Darroze : Toutes les ouvertures de mes restaurants ont été des moments importants : à Paris, c’était la première fois, avec des investissements conséquents. L’arrivée au Connaught à Londres ou encore au Royal Mansour à Marrakech ont aussi marqué mon parcours. La rénovation de Marsan à Paris a demandé énormément de ressources. Mais recevoir trois étoiles au Connaught a été une émotion indescriptible.


 

Y a-t-il eu un moment charnière où vous avez pris conscience que vous pouviez atteindre les sommets de la gastronomie ?

H. D. : C’est venu avec le temps, au fil des étapes. Je n’ai jamais vu cela comme une évidence. J’ai longtemps douté, j’ai longtemps cherché ma légitimité – le syndrome de l’imposteur a été très présent. Les trois étoiles m’ont rassurée, mais je continue à douter. Et je pense que c’est sain.

 

Vous avez grandi dans une famille de restaurateurs. Était-ce une évidence ou un choix réfléchi ?

H. D. : Pas du tout une évidence, presque un accident de parcours. Après le bac, je suis partie en prépa puis en école de commerce. J’adorais la pâtisserie, je cuisinais beaucoup en famille, mais à l’époque, une femme ne faisait pas carrière en cuisine. C’était un préjugé très fort. J’ai pris conscience que c’était ma voie un peu plus tard. Alain Ducasse a joué un rôle essentiel : il m’a convaincue que ma place était en cuisine.

Je n’ai pas fait d’école de cuisine, ni d’apprentissage. Cela fait de moi une cuisinière plus instinctive que technique. La technique, ce sont mes collaborateurs qui l’apportent. Avec Alain Ducasse, j’ai appris l’essentiel et j’ai compris que la sincérité et l’émotion pouvaient être des moteurs puissants.

 

Vous avez déclaré : « Si j’avais été un homme, on aurait moins prêté attention à moi. » Pouvez-vous nous en dire plus ?

H. D. : Quand j’ai ouvert mon restaurant à Paris, à la fin des années 90, il y avait très peu de femmes en cuisine. À Paris, j’étais la seule. Anne-Sophie Pic commençait à peine. Les médias se sont immédiatement tournés vers moi. On disait même au Guide Michelin, quand j’ai eu deux étoiles, « on n’a jamais vu autant de médiatisation ». C’était lié au fait que j’étais une femme. Mais attention : si ma cuisine n’avait pas été au rendez-vous, on ne m’aurait pas ratée.

 

Vous sentez-vous investie d’un rôle pour faire évoluer la place des femmes ?

H. D. : Oui, bien sûr. Les femmes amènent autre chose. Pour moi, la cuisine est un don de soi, un moyen d’exprimer quelque chose de personnel, d’émotionnel. Il y a des femmes qui cuisinent comme des hommes, et inversement. Mais je crois que l’émotion est souvent plus présente chez les femmes.

 

Quel conseil donneriez-vous à une jeune femme qui rêve de devenir cheffe ?

H. D. : Reste toi-même. N’essaie jamais de devenir un homme. Garde ton identité, ta sensibilité, ton instinct.

 

Votre cuisine est enracinée dans le Sud-Ouest, tout en étant ouverte sur le monde. Comment trouvez-vous cet équilibre ?

H. D. : Je déteste qu’on dise que je fais de la « cuisine du Sud-Ouest ». À Marsan, oui, je rends hommage à mes racines, mais je travaille les produits : les asperges des Landes, la volaille, le poisson de Saint-Jean-de-Luz. Mais à Londres ou au Maroc, je fais la même chose : je m’adapte aux produits locaux, je respecte le lieu. Ma cuisine est aussi influencée par mes voyages, mes rencontres. Elle me représente.

 

Vous êtes jurée de Top Chef depuis 2015. Que souhaitez-vous transmettre à la jeune génération ?

H. D. : Je veux leur faire comprendre que tout commence par soi. Il faut être sincère, authentique, mettre son cœur dans l’assiette. Sans cela, ça ne fonctionne pas. Et surtout : rester humble. Se remettre en question en permanence. C’est aussi dans cet esprit que j’ai accepté de m’associer à LG pour un nouveau projet axé sur la transmission et l’accessibilité. À travers ce partenariat, nous explorons une autre manière de raconter la cuisine, plus quotidienne, plus incarnée. Une websérie en est née, où je rencontre une nouvelle génération de chefs, comme Adrien Zedda. Ce format me permet de partager une cuisine sincère, ancrée dans la réalité, mais toujours guidée par l’émotion. C’est une façon d’ouvrir un dialogue plus direct, au-delà des concours et des formats traditionnels.

 

Ces dernières années, des témoignages ont dénoncé des abus dans certaines cuisines. Quelle est votre position ?

H. D. : Je suis claire sur ce sujet : on ne peut pas donner du bonheur aux gens si l’on n’est pas heureux soi-même. Oui, notre métier demande de la rigueur. Mais elle doit toujours s’accompagner de respect et de communication. Je n’ai jamais vécu d’abus personnellement, mais j’ai conscience que cela a existé. Et je pense que ça évolue positivement.

 

Quelles mesures avez-vous mises en place pour améliorer le bien-être de vos équipes ?

H. D. : Depuis le Covid, nous avons instauré la semaine de 4 jours pour les managers et les fonctions supports. Nous avons mis en place des salles de repos pour les coupures. Ces changements ont vraiment amélioré l’ambiance. Il reste des frustrations, des excès, mais on progresse. Et il faut continuer à se battre là où cela perdure.

 

Est-il plus facile aujourd’hui de se faire connaître grâce aux réseaux sociaux ?

H. D. : Oui, évidemment. Moi, j’ai commencé en 2015, pour donner des nouvelles à mes parents ! Mon compte Instagram est personnel, je l’anime moi-même. Récemment, j’ai lancé une chaîne YouTube pour transmettre une cuisine plus intime. On y voit la vraie Hélène, sans filtre.

 

Craignez-vous que l’image prenne le pas sur le goût ?

H. D. : L’image peut attirer une première fois. Mais si le goût ne suit pas, le client ne revient pas. Je ne sacrifierai jamais la qualité du produit ou du goût. Il ne faut pas tomber dans ce piège.

 

Avez-vous une devise qui vous guide au quotidien ?

H. D. : Oui : Personne ne me volera ce que j’ai dansé. C’est le titre de mon premier livre. Une phrase qui me rappelle que rien ni personne ne peut m’enlever ce que j’ai vécu, ressenti ou accompli.

 


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