L’avenir du reporting sur la durabilité au sein de l’Union européenne reste incertain alors que le Parlement débat d’un projet de loi omnibus visant à alléger les contraintes pesant sur les entreprises.
La Commission européenne a présenté un « paquet de simplification » qui vise à assouplir les exigences imposées par la Directive relative à la publication d’informations en matière de durabilité par les entreprises (CSRD) et la Directive sur le devoir de vigilance (CSDDD). Dans ce cadre, plusieurs commissions parlementaires travaillent actuellement à la rédaction d’avis destinés à influencer le texte final.
Les réformes CSDDD et CSRD, proposées par la Commission européenne en février, sont désormais entre les mains du Conseil et du Parlement pour approbation. Au sein du Parlement, la commission des affaires juridiques (JURI) joue un rôle central en préparant la législation qui sera soumise au vote de l’ensemble des députés. D’autres commissions concernées, telles que celles des affaires économiques et monétaires (ECON), de l’environnement (ENVI), des affaires étrangères (AFET), du commerce international (INTA) et de l’emploi (EMPL), rédigent des avis destinés à orienter les travaux de JURI.
Chaque commission est pilotée par un rapporteur chargé de rédiger son avis, accompagné de rapporteurs fictifs qui représentent les différents groupes politiques lors des débats. Si les discussions sont animées principalement par ces rapporteurs, les membres des commissions peuvent également soumettre des amendements individuels. Ces propositions sont publiées progressivement à l’approche de la date limite de dépôt : ECON a ainsi déjà publié 514 amendements, ENVI 473, tandis qu’EMPL a diffusé un projet d’avis comprenant 49 amendements, sans avoir encore publié ceux des membres.
Les amendements modifient le texte du paquet de simplification omnibus tel que proposé par la Commission. Le nombre important d’amendements reflète moins une diversité d’opinions qu’une étape procédurale. Plutôt que de soumettre des amendements globaux reflétant la vision d’un député ou d’un groupe politique, chaque modification, même minime, est proposée sous la forme d’un amendement distinct. Le projet d’avis d’EMPL illustre bien cette pratique, avec 49 amendements proposés par un seul groupe politique, le Groupe de la Gauche au Parlement européen, dans un unique document.
Pendant la phase de rédaction, le sujet est examiné en commissions avant le vote du projet final. À l’inverse des débats souvent animés que l’on observe dans certains parlements nationaux, les réunions des commissions du Parlement européen restent très formelles et suivent un ordre du jour strict. La plupart des députés lisent des déclarations préparées, avec peu d’émotion, tandis que certains s’expriment avec plus de conviction. Ces échanges servent davantage de tribunes pour des prises de parole publiques que de véritables négociations. Néanmoins, ils offrent un éclairage précieux sur les positions des acteurs.
Le 4 juin, les commissions ECON (affaires économiques et monétaires) et EMPL (emploi et affaires sociales) ont tenu leurs réunions régulières au cours desquelles le projet omnibus a été abordé.
Commission des affaires économiques et monétaires
Avec la date limite de dépôt des amendements désormais passée, la commission est entrée dans la phase de rédaction. Face au grand nombre d’amendements et aux divergences marquées entre membres, des tensions se font jour quant à l’orientation que doit prendre l’avis de la commission. Le projet d’avis n’a pas été rendu public, mais il semble que les membres en aient eu connaissance.
Janusz Lewandowski, du groupe du Parti populaire européen, est le rapporteur chargé de rédiger cet avis. Député depuis 2004, il a également siégé à la Commission européenne entre 2009 et 2014, avant de retrouver son siège au Parlement, ce qui lui confère une solide expérience des institutions européennes.
Lors de sa présentation, il a insisté sur le fait que le paquet omnibus visant à réformer la CSRD et la CSDDD n’est que la première étape d’une série de mesures destinées à créer un environnement économique européen plus favorable aux entreprises. Il a souligné une Europe confrontée à une bureaucratie croissante et à une compétitivité en recul. Selon lui, le Fonds d’ajustement à la mondialisation pour les travailleurs déplacés est de plus en plus mobilisé pour compenser les pertes d’emplois.
Il a ajouté que la croissance économique européenne reste plus lente que celle de ses concurrents, en partie à cause d’une sur-réglementation qui freine innovation et investissements : « Les entreprises doivent pouvoir se concentrer sur leur activité, pas sur des obligations de reporting excessives… Simplifier ne signifie pas renoncer à nos ambitions climatiques et environnementales. Nous devons préserver les objectifs les plus exigeants en matière de climat et de justice sociale au monde. Nous avons confondu notre engagement envers le Pacte vert européen avec une sur-réglementation… Être champion du monde de la durabilité ne veut pas dire devenir champion du monde de la bureaucratie. »
Sur le champ d’application, il plaide pour un alignement entre la CSRD et la CSDDD. Il soutient également les modifications limitant l’obligation aux entreprises de plus de 3 000 salariés et d’un chiffre d’affaires net supérieur à 450 millions d’euros, estimant que seules ces structures disposent des moyens nécessaires pour répondre aux exigences de reporting. Il demande par ailleurs que la Taxonomie soit clairement positionnée comme un cadre volontaire. Enfin, il critique le nombre actuel de 1 000 points de données exigés dans les normes de reporting, qu’il juge trop lourd pour les entreprises.
Les autres membres de la commission, rapporteurs factifs désignés par leurs groupes politiques, ont également pris la parole, reprenant pour l’essentiel les arguments déjà exprimés dans leurs amendements.
Francisco Assis, du groupe de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates (S&D), a critiqué l’idée de remettre en cause la CSDDD à peine un an après son adoption. Favorable à des ajustements raisonnables, il refuse toutefois un démantèlement de la législation, rappelant que seules 1 000 entreprises seront concernées par ces règles. Son groupe accepte des modifications concernant les seuils et l’impact sur les PME, mais déplore que ses amendements n’aient pas été pris en compte. Il appelle à une autre approche, faute de quoi son groupe ne pourra pas soutenir l’avis.
Pierre Pimpie, député du groupe Patriotes pour l’Europe, a lui plaidé pour une abrogation totale de la CSRD et de la CSDDD. Il a dénoncé les effets « désastreux » des directives actuelles, s’étonnant que le Parlement discute encore de détails : « Nous ne pouvons pas sacrifier nos entreprises au nom de la religion verte. »
Giovanni Crosetto, du groupe des Conservateurs et réformistes européens (CRE), a exprimé son soutien au paquet omnibus, appelant à une simplification encore plus radicale. Il a également demandé l’abrogation de la CSDDD, estimant que les données ne devraient pas être rendues publiques si cela expose les entreprises à des risques juridiques supplémentaires.
Pascal Canfin, du groupe Renew Europe, également rapporteur fictif pour la commission JURI, a critiqué la direction prise par le PPE. Abordant les enjeux politiques, il a déclaré qu’il s’agissait de choisir entre « un processus de simplification pro-européen ou un alignement du PPE avec l’extrême droite dans le cadre de la coalition Venezuela ».
S’exprimant au nom de Renew, il a précisé que son groupe est favorable à une simplification en matière d’audits et de structures de holding. En revanche, il refuse de remettre en cause la CSRD ou la CSDDD. Renew souhaite que les entreprises utilisent un langage commun et des normes partagées pour décrire leurs activités.
Manon Aubry, du groupe de la Gauche au Parlement européen, a livré l’intervention la plus virulente de la séance. Elle a dénoncé un processus « triste », s’indignant de voir le travail de longue haleine mené sur la directive CSDDD être déconstruit point par point : « Paragraphe après paragraphe, chapitre après chapitre, vous démantelez ce que nous avons adopté il y a tout juste un an. Des heures, des jours, des nuits de négociations pour un compromis, et voilà que tout est remis en cause. »
Réagissant aux propos de Janusz Lewandowski sur le coût de la réglementation pour les entreprises, elle a retourné la question : « Et le coût pour les travailleurs ? Et la pollution ? Et ceux qui sont exploités jusqu’à la mort par des multinationales obsédées par le profit ? »
Elle a rappelé que la directive sur le devoir de vigilance visait justement à mettre fin à l’impunité des entreprises et à garantir leur responsabilité légale en matière environnementale et de droits humains. La Gauche, a-t-elle ajouté, rejette les modifications proposées et défend, à travers ses propres amendements, l’intégrité des textes CSRD et CSDDD.
Christophe Gomart, du groupe Parti populaire européen (PPE), a dressé un tableau sombre de la situation économique du continent. Selon lui, l’Europe est engagée dans une spirale descendante : en 2008, son PIB était encore comparable à celui des États-Unis ; aujourd’hui, il accuse un retard de 40 %. Il impute ce décrochage à une sur-réglementation étouffant les entreprises. À ses yeux, il ne faut pas seulement simplifier la CSRD et d’autres cadres réglementaires, mais aller jusqu’à l’abrogation pure et simple de la CSDDD.
La conclusion est revenue à Janusz Lewandowski, qui a relevé un consensus naissant autour de l’objectif de simplification. « L’Europe restera la région la plus sociale et la plus respectueuse du climat au monde », a-t-il affirmé, « mais elle doit aussi redevenir compétitive ». Il a reconnu que parvenir à un compromis serait complexe, tout en se disant confiant dans la possibilité de trouver un terrain d’entente raisonnable.
Le président de la commission a annoncé que le vote final sur l’avis de la commission ECON devrait avoir lieu le 15 juillet.
Commission de l’emploi et des affaires sociales
Le 4 juin, la commission EMPL du Parlement européen s’est à son tour penchée sur l’avenir du paquet de simplification dit « omnibus ». Dans une ambiance bien différente de celle observée à ECON, la présidente de séance, Li Andersson (La Gauche), également rapporteure de l’avis, a pris les devants. Son projet d’avis avait été mis à disposition dans les documents de séance, avant même la date limite de dépôt des amendements, fixée au 3 juin — une manière d’imposer clairement sa vision.
D’entrée de jeu, Mme Andersson a exprimé l’espoir que l’avis d’EMPL ait un poids réel dans la version finale de la commission des affaires juridiques (JURI). Tout en reconnaissant la nécessité d’une simplification, elle a vivement critiqué la proposition actuelle de la Commission, alertant sur « le risque d’affaiblir la protection des victimes… ici, celles du travail forcé ou du travail des enfants ». Elle a également insisté pour que la question de l’exclusion de certaines parties de la chaîne de valeur de la CSDDD soit réexaminée.
Du côté du PPE, Maravillas Abadía Jover a plaidé pour une harmonisation des règles de durabilité tout en insistant sur la protection des PME. Même tonalité chez Mariateresa Vivaldini (ECR), qui a dénoncé le poids de la bureaucratie sur les petites structures et appelé à plus de clarté réglementaire.
Nikola Bartůšek a insisté sur la nécessité pour l’UE de recentrer ses priorités sur « la production, la croissance, la prospérité et l’emploi ». Selon elle, la multiplication des règles au nom de la durabilité pèse de plus en plus lourd sur les entreprises et l’ensemble des citoyens européens.
Jana Toom (Renew) a reconnu les inquiétudes liées à la lourdeur administrative du reporting en matière de durabilité. Toutefois, elle a défendu une simplification compatible avec les objectifs des directives CSRD et CSDDD. Elle s’est opposée à trois modifications clés proposées par la Commission :
– La suppression de l’obligation de rompre une relation commerciale en cas de faute grave, rappelant que cela inclut parfois le travail des enfants.
– La suppression de la disposition instaurant un régime de responsabilité civile harmonisé au niveau européen, qui risquerait, selon elle, de générer un patchwork juridique de 27 régimes différents, favorisant le forum shopping.
– La réduction du périmètre de responsabilité dans la chaîne de valeur, qui se limiterait désormais aux partenaires directs, alors que la version initiale couvrait aussi les partenaires indirects.
Aucun calendrier n’a été annoncé pour le vote de la commission EMPL, mais celui-ci pourrait intervenir lors des réunions prévues le 25 juin ou le 14 juillet. Les avis des différentes commissions seront ensuite transmis à JURI, chargée d’adopter la position finale du Parlement. Le vote sur les modifications des directives CSRD et CSDDD est attendu le 13 septembre.
Une contribution de Jon McGowan pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie
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