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3 preuves scientifiques que le doute est une force essentielle au leadership

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3 preuves scientifiques que le doute est une force essentielle au leadership. Getty Images

Dans Conclave, le cardinal Lawrence, incarné par Ralph Fiennes, ouvre le rituel d’élection du pape par une homélie saisissante. Après un bref passage en latin, il confie : « Il y a un péché que j’en suis venu à craindre par-dessus tout. La certitude. La certitude est le grand ennemi de l’unité. La certitude est l’ennemi mortel de la tolérance. » Avant de conclure sur une prière audacieuse : « Prions pour que Dieu nous accorde un pape qui doute. » Une phrase percutante, qui résonne étrangement bien avec notre époque.

 

Dans un monde secoué par des bouleversements politiques, technologiques et moraux, il n’est pas surprenant que nous nous accrochions à la certitude comme à une bouée de sauvetage. Nous voulons des réponses claires, des fondations stables, des dirigeants qui ne vacillent pas — même quand tout autour vacille. Pourtant, le sol ne cesse de se dérober sous nos pieds. Dans les entreprises, l’incertitude a explosé de 80 %, selon les employés, qui estiment perdre presque une journée de productivité par semaine à cause du stress et de l’anxiété. Un mal invisible, mais coûteux : 183 milliards de dollars par an pour les employeurs, rien qu’aux États-Unis.

À première vue, la certitude apparaît comme la solution évidente au flou ambiant. Et pourtant, c’est là que réside le paradoxe : la certitude n’est pas le contraire de l’incertitude. Ce n’est pas de la clarté — c’est souvent de la fermeture. Elle barricade l’esprit, empêche d’accueillir l’inattendu, d’intégrer la nuance, d’évoluer.


Ce dont nous manquons, ce n’est pas de réponses toutes faites, mais d’un doute lucide. Un doute qui ne paralyse pas, mais qui pousse à réfléchir, à s’ouvrir, à remettre en question ses certitudes avec humilité.

La fausse certitude, elle, est rigide, défensive, souvent mise en scène. Elle ne nous rassure pas : elle nous enferme. Elle donne l’illusion du contrôle tout en nous rendant aveugles à la complexité — or, dans un monde instable, la complexité est la seule chose sur laquelle on peut compter.

Pour faire face à cette complexité, il ne nous faut pas des voix plus fortes, mais des voix plus sages. Des dirigeants capables de douter, d’écouter, de s’ajuster.

Voici trois raisons scientifiques qui montrent pourquoi le doute, loin d’être une faiblesse, est une force indispensable pour exercer un leadership éclairé.

 

La certitude freine l’innovation

Le physicien Max Planck résumait ironiquement les résistances au progrès en affirmant que « la science progresse un enterrement à la fois ». Même les esprits les plus brillants peuvent se retrouver prisonniers de leurs propres idées. Son élève, Albert Einstein, n’a pas échappé à cette règle : malgré sa révolution théorique, il a lui-même rejeté certaines des découvertes issues de sa propre relativité.

Innover, c’est accepter de remettre en cause des convictions profondément ancrées, ne serait-ce que pour explorer d’autres pistes. Cela demande de la souplesse, de la curiosité, et une réelle tolérance à la contradiction. Mais c’est plus facile à dire qu’à faire — surtout pour les experts. Plus on accumule de savoir, plus on risque de s’enfermer dans ses schémas de pensée. L’expertise, aussi précieuse soit-elle, a souvent pour effet secondaire de rigidifier notre esprit et d’amoindrir notre agilité intellectuelle. Avec la certitude, la vision se rétrécit.

Ce manque de flexibilité devient particulièrement périlleux en temps de rupture. Les grandes révolutions technologiques exigent plus qu’une simple maîtrise technique : elles demandent une ouverture d’esprit, surtout lorsque ce qui doit être réinventé ne semble pas poser problème. L’exemple de Blackberry est devenu emblématique : alors qu’elle dominait le marché des téléphones mobiles, l’entreprise n’a pas su voir venir la déferlante iPhone. Confortée par son succès, elle a persisté dans ses choix passés, convaincue qu’ils suffiraient à maintenir sa suprématie. Lorsqu’elle a compris que le monde avait changé, il était déjà trop tard.

On ne peut pas adopter de nouvelles idées en s’accrochant au confort du statu quo.

 

La certitude limite la croissance

À l’ère de la désinformation, des récits simplistes et des opinions tranchées, le doute pourrait bien être l’un des atouts les plus négligés du leadership. Loin de paralyser, il invite à réexaminer nos certitudes, à remettre en question nos réflexes mentaux et à éclairer nos angles morts. C’est cette posture qui nourrit un véritable esprit de croissance — celui qui permet d’évoluer face au changement en développant de nouvelles compétences et en adoptant des perspectives inédites.

La recherche en témoigne. Les études sur l’agilité d’apprentissage — notre capacité à tirer parti du passé pour affronter l’inconnu et intégrer des points de vue contradictoires — montrent qu’il s’agit d’un indicateur-clé de réussite, aujourd’hui comme demain.

À l’inverse, la certitude trahit souvent un état d’esprit figé. Elle ferme la porte à la nouveauté, privilégie le confort de l’évidence à l’inconfort de la complexité, et flatte l’ego au détriment de la curiosité. Car nos croyances ne sont pas de simples idées : elles sont liées à notre identité, à l’image que nous avons de nous-mêmes et à la place que nous pensons occuper dans le monde.

Les neurosciences et la psychologie comportementale confirment ce biais : nous avons tendance à rejeter toute information qui menace nos convictions, surtout lorsqu’elles sont partagées par notre groupe d’appartenance. Ce phénomène, connu sous le nom de « raisonnement motivé », ne se contente pas d’entretenir nos biais : il freine activement l’apprentissage.

Pour y faire face, les dirigeants doivent cultiver deux qualités clés : l’humilité intellectuelle et la souplesse cognitive. Cela passe par la recherche active de points de vue opposés, par un art du questionnement sincère, et par la capacité à remettre en cause ses propres intuitions — surtout lorsqu’elles semblent les plus solides.

L’ouverture d’esprit est facile lorsque les enjeux sont faibles. Mais dans un monde instable, où les décisions se prennent sous tension, le doute devient une ressource stratégique. Non pas une faiblesse, mais une discipline.

 

La certitude brouille le jugement

Plus on grimpe dans la hiérarchie, plus le leadership se complexifie. Les retours sincères se raréfient, les données sont incomplètes, et les décisions se prennent souvent dans un flou inconfortable. Dans ces conditions, même les dirigeants les plus expérimentés deviennent vulnérables au biais de confirmation — cette tendance à ne chercher que ce qui valide nos croyances initiales.

Une étude l’a démontré : les psychologues sont 77 % plus enclins à confirmer leur premier diagnostic plutôt qu’à explorer des hypothèses contraires. Pourquoi ? Parce que cela rassure. Le biais de confirmation donne l’illusion de la stabilité, permet de trancher plus vite… mais au prix de la lucidité. Il rétrécit notre champ de vision et nous rend moins aptes à jongler avec des données contradictoires. Résultat : des décisions rapides, mais souvent mal ciblées.

Même animés des meilleures intentions, nous restons piégés par nos certitudes. Les travaux récompensés par un prix Nobel sur la théorie des perspectives montrent que, face à des situations complexes ou risquées, nous utilisons des raccourcis mentaux pour décider. Plutôt que d’évaluer rationnellement les probabilités, nous privilégions les scénarios qui nous rassurent. Nous cherchons à éviter les pertes plus qu’à maximiser les gains. Autrement dit : on choisit souvent l’option la plus rassurante, pas la plus judicieuse.

L’histoire de Kodak illustre ce travers. Dans les années 1970, l’un de ses ingénieurs conçoit le tout premier appareil photo numérique. Plutôt que d’embrasser cette avancée, Kodak l’interprète comme une simple extension de son activité traditionnelle. Par peur de cannibaliser ses ventes de pellicules, l’entreprise écarte une révolution qu’elle aurait pu dominer. Pendant que la concurrence avance, Kodak reste figée — prisonnière d’une certitude : celle que le passé allait continuer à dicter l’avenir.

Dans un monde en mutation rapide, cette forme de certitude a un coût élevé : celui des occasions manquées.

Le philosophe Søren Kierkegaard écrivait : « La vie doit être vécue en regardant vers l’avenir, mais elle ne peut être comprise qu’en se retournant vers le passé. » Pourtant, en quête de certitudes, nous restons trop souvent attachés à ce qui a fonctionné hier — des réflexes, des idées et des habitudes qui ne correspondent plus aux défis de demain.

Il n’est pas nécessaire d’être philosophe pour saisir le confort que procure la certitude. Pourtant, aujourd’hui, aucun leader ne peut se permettre d’y chercher refuge. Le monde actuel exige une force différente : celle d’accepter l’ambiguïté, de naviguer dans les contradictions, et de résister à la tentation des réponses toutes faites.

Puissions-nous tous cultiver le courage d’un leadership humble, capable de douter et d’évoluer.

 

Une contribution de Ann Kowal Smith pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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