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Les BSPCE, ou comment faire entrer les salariés dans la culture actionnariale

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Les BSPCE, ou comment faire entrer les salariés dans la culture actionnariale

Alors que l’écosystème Tech cherche à fidéliser ses talents, les BSPCE restent sous-exploités – souvent mal compris, rarement pleinement valorisés. Pensés comme un outil d’association des salariés à la création de valeur dans les sociétés innovantes, ils restent pourtant l’apanage d’une minorité d’entreprises éligibles. Même lorsqu’ils sont mis en place, leur potentiel est souvent limité par un manque de transparence ou une valorisation biaisée de l’entreprise.

Une contribution d’Henri-Pierre Jeancard et Edouard Thibaut, dirigeants de myBSPCE Value, respectivement cofondateur d’Aether Financial Services et COO de ScaleX Invest

Pourtant, bien conçus, les BSPCE sont plus qu’un mécanisme incitatif : ils instaurent un véritable esprit d’actionnaire chez les salariés, favorisent la loyauté envers le projet d’entreprise, et renforcent la cohésion autour d’un objectif commun de création de valeur.

 


Un levier de fidélisation trop souvent mal compris

 

Les BSPCE ne devraient pas être abordés sous le seul prisme fiscal. Ils doivent être pensés comme un mécanisme de partage — un pont entre la gouvernance et l’opérationnel, entre le long terme stratégique et le quotidien du salarié.

Pour que ce mécanisme fonctionne, la clarté est essentielle. Et tout commence par une valorisation juste et intelligible de l’entreprise au moment de l’attribution. L’exercice est subtil : une valorisation trop élevée réduit l’attractivité du mécanisme, tandis qu’une valorisation trop basse — souvent motivée par des considérations fiscales — peut saper la confiance et nuire à l’alignement des intérêts.

 

Des repères de valorisation à géométrie variable

 

La difficulté, c’est que la notion de “juste valeur” a perdu en lisibilité depuis 2022. Les écarts entre types de financements se sont accentués.

Selon les données de ScaleX Invest, mises au profit de myBSPCE Value, les entreprises technologiques européennes financées par du capital-risque se valorisent aujourd’hui en moyenne à 7,36 fois leur chiffre d’affaires, contre 4,91 fois pour celles financées par du capital-investissement traditionnel — un écart de 50 %, contre moins de 20 % en 2021.

 

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Evolution des multiples de chiffre d’affaires médians – source ScaleX Invest [1]

 

Autre facteur structurant : le statut boursier de la société. Depuis 2022, l’écart entre les valorisations des entreprises privées et celles des sociétés cotées s’est considérablement accentué, atteignant aujourd’hui des niveaux particulièrement marqués. Ce différentiel n’a rien d’anecdotique lorsqu’on sait que, pour de nombreux bénéficiaires de BSPCE, l’introduction en bourse constitue l’un des scénarios de liquidité.

 

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Evolution des multiples de chiffre d’affaires médians – source ScaleX Invest [1]

 

Ces différentiels illustrent à quel point la notion de “juste valeur” peut varier selon la nature des investisseurs, les perspectives de croissance ou la conjoncture macroéconomique. Mais pour une entreprise qui attribue des BSPCE, ils rappellent surtout que la valorisation n’est pas une science exacte, que chaque société est un cas particulier, et que la transparence sur la méthode retenue importe autant que le chiffre final.

[1] Données collectées au sein de 7 segments technologiques : IA, Deeptech, E-commerce, E-santé, Fintech, SaaS et Smart City.
Focus sur les entreprises dont le siège est basé en Europe.
Échantillon coté composé de 1 032 entreprises technologiques européennes, quelle que soit leur place de cotation.
Échantillon non coté issu de données propriétaires de ScaleX Invest : 4 310 opérations analysées entre 2020 et 2024.

 

Au-delà des multiples : un enjeu de transparence

 

Car les salariés, eux, ne disposent ni des outils d’analyse financière d’un fonds, ni de la liquidité immédiate qui permettrait de couvrir le risque. Lorsqu’on leur propose de participer à la création de valeur, encore faut-il leur donner les clés pour en comprendre les modalités : méthode de valorisation, comparables utilisés, conditions de liquidité possibles.

Dans la pratique, faire une valorisation et fixer un prix d’exercice pertinent repose sur deux piliers : l’accès à des données fiables et la capacité à modéliser une décote d’illiquidité cohérente avec le profil de l’entreprise et les perspectives de sortie, ce qui plaide pour s’entourer d’un spécialiste disposant des données et de la maîtrise méthodologique.

 

Une culture actionnariale à construire

 

Instaurer un véritable “esprit d’actionnaire” chez les salariés suppose de les associer non seulement à l’éventuel succès, mais aussi aux règles du jeu. Par exemple, trop peu de bénéficiaires de BSPCE savent ce qu’il advient de leurs bons en cas de départ. Dans bien des cas, le salarié dispose d’un délai très court (souvent 90 jours) pour exercer ses bons — ce qui suppose de débourser le prix d’exercice pour une action non liquide, sans aucune certitude sur sa valorisation future.

Cela transforme l’instrument incitatif en mirage, et peut générer frustration et désengagement. Là encore, la pédagogie et l’anticipation sont clés : il est possible d’aménager contractuellement des conditions de sortie plus favorables, d’informer en amont, d’associer le salarié au calendrier de levée de fonds ou de vente de la société.

 

Sortir d’une logique défensive

 

Trop souvent, l’attribution des BSPCE est pensée dans une logique défensive : retenir les talents, minimiser le coût, sécuriser la fiscalité. Il faut inverser la perspective.

Dans un monde du travail où la quête de sens et d’autonomie devient centrale, offrir une part de capital, même différée, c’est reconnaître à chaque collaborateur un rôle d’acteur, pas seulement d’exécutant. Cela suppose aussi de sortir d’une culture de la confidentialité excessive. Certes, toutes les entreprises n’ont pas intérêt à dévoiler leur comptabilité ou leur stratégie de croissance dans le détail. Mais un minimum d’explication sur la valeur du titre, le fonctionnement des bons et la trajectoire visée relève d’un devoir de loyauté.

 

Faire des BSPCE un vrai projet d’entreprise

 

L’attribution de BSPCE devrait faire partie d’une politique RH stratégique, discutée avec les équipes, mise en perspective avec la feuille de route de l’entreprise. Un peu comme un pacte moral : “Voici où nous allons, voici ce que nous créons ensemble, et voilà comment nous partagerons cette valeur.”

Pour cela, il est temps que les entreprises éligibles s’emparent plus massivement de cet outil. Non pas comme un gadget financier, mais comme un levier de transformation sociale.

 


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