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Elections du président de la Banque africaine de développement : « Si les USA se retiraient complètement, les conséquences seraient graves »

Banque africaine de développement / Flickr : Clara Sanchiz
Banque africaine de développement / Flickr : Clara Sanchiz

L’avenir de l’Afrique se joue, en partie ce jeudi 29 mai, à Abidjan alors que la Banque africaine de développement (BAD) est sur le point d’élire son nouveau président. Si cette institution est méconnue en Europe, son action est essentielle pour le développement de l’Afrique, notamment dans une période marquée par la fin du multilatéralisme avec le retrait des États-Unis de l’aide au développement. Daniel D. Bradlow professeur de relations économiques africaines à l’Université de Pretoria (Afrique du Sud) revient sur l’histoire la Banque, les relations de pouvoir en son sein, ainsi que l’impact du contexte géopolitique. 

Forbes France : À l’origine, pourquoi a-t-on créé une banque réservée aux pays africains ?

Daniel D. Bradlow : L’idée fondatrice de la Banque africaine de développement (BAD) était de créer une institution africaine pour les Africains, où seuls les pays du continent seraient membres. L’objectif était d’avoir une banque plus réactive et adaptée aux besoins spécifiques de l’Afrique, notamment en matière d’infrastructures, ce qui était la priorité des banques de développement à l’époque.

Au départ, la BAD finançait uniquement des projets publics. Elle peut aujourd’hui financer à la fois les secteurs publics et privés. Elle a également créé le Fonds africain de développement (FAD) pour prêter à des conditions très avantageuses aux pays les plus pauvres. Dans les années 1980, elle a commencé à financer des projets de lutte contre la pauvreté, en plus des infrastructures.


Dates clés de la Banque africaine de développement (BAD)

1963 : Signature de l’accord de création à Khartoum par 23 pays africains.

1964 : Fondation officielle de la BAD ; siège établi à Abidjan.

1972 : Création du Fonds africain de développement (FAD).

1982 : Ouverture du capital à des pays non africains.

2003-2014 : Siège temporairement relocalisé à Tunis (crise en Côte d’Ivoire).

2015 : Retour à Abidjan ; Akinwumi Adesina devient président.

2019 : Hausse historique du capital : +120 %.

2024 : Nouvelle stratégie décennale pour une croissance verte et inclusive.

Mais alors, pourquoi la BAD a-t-elle accepté des pays non africains au début des années 1980 ?

D.D.B : Deux raisons principales expliquent cela. D’abord, la BAD connaissait une crise financière : les pays membres, majoritairement emprunteurs, n’avaient pas les moyens d’injecter plus de capital. Ensuite, cette période coïncidait avec la crise de la dette dans de nombreux pays africains. La banque risquait une dégradation de sa note de crédit, ce qui aurait réduit ses avantages pour ses membres. Pour éviter cela, elle a ouvert son capital à des membres non régionaux, essentiellement des pays d’Europe et d’Amérique du Nord au départ — la Chine, l’Inde ou les États-Unis en font aujourd’hui aussi partie.

Est-ce que cela a modifié l’équilibre du pouvoir au sein de la banque ?

D.D.B : Pas totalement. Bien que des membres non africains aient été admis, la majorité des droits de vote reste entre les mains des pays africains — environ 55 %. Les non-régionaux détiennent environ 45 %. Cela signifie que les pays africains gardent le contrôle, au moins théoriquement. 

Cependant, les non-régionaux sont très influents car ce sont eux qui apportent un part essentiel du financement. Ils disposent de sièges au conseil d’administration, ils participent à toutes les décisions importantes, y compris l’élection du président. 

En parlant de financement, quelles seraient les conséquences si les États-Unis se retiraient partiellement ou totalement de la BAD ?

D.D.B : Les États-Unis n’ont pas dit qu’ils quitteraient complètement la banque, mais ils ont annoncé qu’ils ne contribueraient plus au Fonds africain de développement. Sous Biden, les États-Unis avaient promis 500 millions de dollars pour le fonds concessionnel ; l’administration Trump actuelle a annulé cette contribution. C’est un coup dur, car le FAD cible les pays les plus pauvres. Si personne ne comble ce manque, le fonds sera réduit d’autant. Et si les États-Unis se retiraient complètement de la banque, ce serait encore plus grave : perte d’un actionnaire influent, impact sur la note de crédit, difficulté d’accès aux marchés financiers — surtout aux États-Unis.

Dans ce contexte, l’un des principaux défis du nouveau président sera de conserver le modèle économique de la Banque, notée AAA. Est-ce que cela ne risque pas de freiner des investissements nécessaires sur le continent ?  

D.D.B : Pour conserver cette note, la banque doit limiter les risques. Cela signifie qu’elle peut refuser de financer certains projets jugés trop risqués. C’est un équilibre délicat : perdre la note AAA rendrait l’accès au financement plus coûteux, mais trop la préserver peut limiter l’impact de la banque.

 


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