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En soutenant Trump, Elon Musk a vu sa richesse bondir de 170 milliards de dollars

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Le président américain Donald Trump et Elon Musk présentent des modèles de Tesla à la Maison Blanche, le 11 mars 2025. Getty Images

Alors que son mandat à plein temps au sein du DOGE (département de l’Efficacité gouvernementale) touche à sa fin, Elon Musk réintègre un empire commercial foisonnant d’opportunités, moins exposé aux enquêtes fédérales, mais terni par des enjeux d’image.

 

Mardi, lors d’un entretien virtuel avec le Forum économique du Qatar, Elon Musk a annoncé son intention de se retirer progressivement de la scène politique. « Je vais en faire beaucoup moins à l’avenir. Je pense que j’en ai fait assez », a déclaré celui qui fut le principal donateur individuel du cycle électoral de 2024, versant 290 millions de dollars en soutien à Donald Trump. « Si une bonne raison de financer la politique se présente, je le ferai. Pour l’heure, je n’en vois aucune. »

Une déclaration peu surprenante : en à peine quatre mois, l’administration Trump a largement récompensé l’investissement de Musk. Sur le plan réglementaire, ses entreprises sont désormais soumises à une surveillance bien plus légère. Plusieurs enquêtes fédérales ont été classées, suspendues ou volontairement embrouillées — un relâchement dû en partie aux efforts de Musk lui-même, qui, au sein du DOGE, a activement contribué au démantèlement de plusieurs agences de régulation.

Ses sociétés, notamment SpaceX, sont aujourd’hui en bonne position pour décrocher des milliards de dollars de contrats publics. À l’international, Musk multiplie les accords et obtient des autorisations d’opérer dans de nouvelles juridictions, souvent avec le soutien implicite, voire explicite, de l’administration Trump.

Les bénéfices ne sont pas qu’idéologiques : ils sont aussi personnels. Elon Musk est aujourd’hui considérablement plus riche qu’avant son ralliement à Donald Trump. Sa fortune atteint désormais 419 milliards de dollars, soit environ 170 milliards de plus qu’au 15 juillet — deux jours après que Trump a survécu à une tentative d’assassinat en Pennsylvanie, un événement qui a précipité le soutien public de Musk.

Si l’action Tesla a reculé de 20 % depuis le retour de Trump à la Maison-Blanche fin janvier, elle reste tout de même 35 % au-dessus de son niveau de la mi-juillet 2024. SpaceX, quant à elle, est désormais valorisée à 350 milliards de dollars — près du double de sa valeur au moment du soutien de Musk. La troisième entreprise la plus valorisée de son portefeuille, xAI Holdings, qui regroupe le réseau social X et sa start-up d’intelligence artificielle xAI, a récemment fusionné et atteint une valorisation de 113 milliards de dollars, soit plus du triple de celle des deux entités réunies il y a un an.

Du côté de l’opposition, les critiques pointent du doigt un enrichissement personnel facilité par les liens étroits entre Musk et le pouvoir exécutif. Dans un rapport publié en avril, les membres démocrates de la Chambre des représentants estiment que la nature même des activités de Musk, fortement dépendantes des marchés publics, le place en position de conflit d’intérêts permanent. « Le président Trump n’aurait pas pu choisir un partenaire plus exposé aux conflits d’intérêts », conclut le document, qui souligne l’influence croissante de Musk sur l’appareil réglementaire qu’il contribue désormais à remodeler.

Donald Trump rejette toute accusation de favoritisme. « S’il y a un conflit d’intérêts, nous ne le laisserons pas s’en approcher », a-t-il assuré depuis le Bureau ovale en février. Elon Musk, de son côté, nie également toute implication personnelle dans l’attribution de contrats publics à ses entreprises, affirmant ne jouer aucun rôle dans les démarches de SpaceX auprès du gouvernement.

Dans un communiqué adressé à Forbes, Harrison Fields, porte-parole adjoint de la Maison-Blanche, a dénoncé les soupçons : « Suggérer que les entreprises d’Elon Musk auraient tiré un quelconque avantage de son passage à la Maison-Blanche est infondé et relève d’un manque de rigueur journalistique. » Il ajoute que les sociétés de Musk ont, au contraire, été la cible de « violences, de cyberattaques, de boycotts et d’attaques personnelles sans précédent » pour une entreprise américaine. Et de conclure : « Le président ne tolérera aucun conflit d’intérêts. Elon Musk continue de respecter les lignes éthiques qui encadrent son engagement à lutter contre le gaspillage, la fraude et les abus. »

Tout n’a pas été à l’avantage de Musk sous la présidence Trump. La politique tarifaire de l’administration, notamment les droits de douane de 30 % sur les importations en provenance de Chine, risque d’alourdir les coûts de production pour Tesla, SpaceX et xAI. Par ailleurs, les ventes de véhicules Tesla ont chuté sur la plupart des grands marchés, en partie à cause du rejet croissant des consommateurs vis-à-vis de l’implication de Musk dans le Département de l’efficacité gouvernementale (DOGE).

Selon un sondage Reuters/Ipsos publié ce mois-ci, 58 % des Américains interrogés déclarent avoir une opinion défavorable d’Elon Musk, contre 39 % d’opinions favorables. Dans plusieurs villes, des manifestants pacifiques, mais aussi des vandales et incendiaires, ont pris pour cible les concessions et showrooms de Tesla.

Musk, qui affirme que les ventes sont en train de repartir, a confié lors de son intervention au Forum économique du Qatar qu’il avait pris ce contrecoup « personnellement ». « L’engagement de M. Musk dans le DOGE a gravement nui à l’image de Tesla, aux États-Unis comme à l’international, et cela lui a coûté cher », estime Gil Luria, analyste technologique chez D.A. Davidson. « Une telle dégradation d’image est quasiment sans précédent dans l’histoire de l’industrie automobile. »

Malgré quelques revers, Donald Trump a offert à Elon Musk de nombreuses raisons de se réjouir. En janvier, le président a signé un décret limitant les pouvoirs de l’Office of Federal Contract Compliance Programs, une branche du département du Travail des États-Unis qui enquêtait sur des accusations de discrimination dans les usines Tesla. Résultat : l’enquête a été suspendue, selon le San Francisco Standard. En mars, Trump est allé jusqu’à vanter publiquement les voitures Tesla lors d’un discours prononcé depuis la pelouse de la Maison-Blanche, incitant les Américains à en acheter.

Cependant, l’enjeu le plus crucial pour l’avenir de Tesla reste sans doute la position de l’administration sur les véhicules à conduite autonome, qu’ils soient partiels ou complets. L’an dernier, la NHTSA (National Highway Traffic Safety Administration) a ouvert deux enquêtes sur ces technologies développées par Tesla – l’une portant sur les fonctions dites de « Full Self-Driving », l’autre sur les capacités de conduite à distance – qui restent en cours, selon les registres de l’agence et un porte-parole.

Le mois dernier, le département des Transports des États-Unis a discrètement supprimé une obligation pour les constructeurs de signaler certains accidents non mortels impliquant ces technologies. Cette évolution réglementaire profite directement à Tesla et pourrait désavantager Waymo, la filiale d’Alphabet spécialisée dans les véhicules entièrement autonomes, déjà opérationnelle dans plusieurs villes, estime Dan Ives, analyste chez Wedbush Securities.

Un porte-parole du département des Transports réfute toute partialité et affirme que ce changement permet à l’agence de concentrer ses efforts sur « les types d’accidents qui ont le plus d’impact en matière de sécurité ».

Elon Musk veut rivaliser avec Waymo en lançant à grande échelle ses propres véhicules entièrement autonomes. Cette semaine, dans une interview accordée à CNBC, il a affirmé s’attendre à voir circuler « des centaines de milliers de Teslas» en conduite totalement autonome aux États-Unis d’ici l’an prochain. Une projection optimiste : Waymo, pionnière du secteur, a déjà déployé 1 500 véhicules dans quatre villes américaines et prévoit d’en ajouter 2 000 autres en 2025. De son côté, Tesla fait face à des retards et à plusieurs problèmes de sécurité, comme l’a rappelé Forbes en début de mois.

Malgré cela, l’administration Trump semble alignée sur les ambitions de Musk. Le secrétaire aux Transports, Sean Duffy, s’est rendu cette semaine à la gigafactory de Tesla près d’Austin pour y rencontrer le milliardaire et « voir de ses propres yeux l’avenir des véhicules autonomes ».

« Nous pensons que l’IA et la conduite autonome représentent à elles seules un potentiel d’au moins 1 000 milliards de dollars pour Tesla », estime Dan Ives, analyste chez Wedbush, qui vient de relever son objectif de cours pour l’action à 500 dollars (elle a terminé la semaine à 339 dollars). « Nous nous attendons pleinement à ce que ces projets clés soient accélérés sous un second mandat Trump, alors que les blocages réglementaires auxquels Tesla faisait face ces dernières années sont en train de disparaître. »

L’autre grande entreprise de Musk, SpaceX, semble elle aussi bénéficier du nouveau climat politique. Le département de la Justice américain a abandonné une procédure accusant la société d’avoir refusé d’embaucher certains immigrés. Et le National Labor Relations Board (NLRB), qui avait poursuivi SpaceX en janvier 2024 pour le licenciement présumé abusif de huit employés ayant rédigé une lettre ouverte critiquant Musk, a finalement clos le dossier le mois dernier. Dans une déclaration conjointe avec SpaceX, l’agence a remis en question sa propre compétence dans l’affaire.

Un revirement que regrette Lauren McFerran, ancienne présidente du NLRB et aujourd’hui chercheuse à la Century Foundation : « Ce changement brutal est très inhabituel et représente un revers majeur pour les salariés de SpaceX. C’est une nouvelle victoire pour l’entreprise, qui continue à freiner les efforts de ses employés pour faire entendre leur voix au travail. »

SpaceX était déjà un contractant majeur du gouvernement américain avant le retour de Donald Trump à la Maison-Blanche. Mais sous sa nouvelle présidence, l’entreprise d’Elon Musk semble bien partie pour capter une part encore plus importante des fonds fédéraux. Selon un rapport publié en avril par les élus démocrates de la Chambre des représentants, SpaceX détient actuellement près de 16 milliards de dollars de contrats actifs avec l’État fédéral — dont 6 milliards octroyés le mois dernier par le département de la Défense.

L’entreprise serait aussi bien placée pour participer à un projet cher à Donald Trump : la création d’un bouclier de défense antimissile baptisé « Golden Dome ». Ce programme, estimé à 175 milliards de dollars sur trois ans, pourrait donner lieu à des contrats colossaux avec le Pentagone. Pour l’heure, « aucun contrat futur lié à l’initiative Golden Dome n’a été annoncé », a précisé un haut responsable du département de la Défense dans un courriel adressé à Forbes. « SpaceX est en bonne position pour décrocher de nouveaux contrats publics, et les relations de M. Musk avec l’administration lui sont clairement favorables », analyse Gil Luria, expert technologique chez D.A. Davidson.

Autre levier de croissance : Starlink, la filiale de SpaceX dédiée à l’internet par satellite, qui aurait représenté près des deux tiers des 13,1 milliards de dollars de revenus de l’entreprise l’an dernier. Là encore, l’équipe Trump semble lui ouvrir des portes. Le Washington Post a révélé que le département d’État et plusieurs ambassades américaines avaient activement incité des gouvernements étrangers à lever les obstacles réglementaires pour les entreprises de satellites, en citant souvent Starlink comme exemple. Le secrétaire d’État Marco Rubio aurait lui-même exhorté à accélérer les démarches en ce sens.

ProPublica a confirmé que dans plusieurs petits pays africains, des diplomates américains ont fait pression sur les autorités locales pour qu’elles délivrent plus rapidement les licences nécessaires à Starlink, allant jusqu’à organiser des rencontres entre des représentants de l’entreprise et des responsables gouvernementaux.

Plus près de nous, Starlink pourrait bientôt décrocher un nouveau contrat avec la Federal Aviation Administration (FAA). L’agence a lancé une phase de tests avec les services satellitaires de SpaceX, dans le cadre d’une « période d’essai initiale» qui pourrait déboucher sur une modernisation à long terme des infrastructures de sécurité aérienne, selon une déclaration de l’entreprise en mars. Un porte-parole du département des Transports a confirmé que des essais étaient en cours dans plusieurs installations de la FAA, notamment en Alaska, à Oklahoma City et à Atlantic City.

« Pour moderniser notre système de télécommunications, nous collaborons avec plusieurs entreprises et technologies. Il n’y a pas de solution unique », a-t-il précisé dans un communiqué transmis par courriel. « C’est pourquoi nous testons aussi bien les satellites que la fibre optique et le sans-fil, afin de garantir la sécurité. »

Pendant ce temps, xAI, la jeune entreprise d’intelligence artificielle fondée par Elon Musk, cherche à s’imposer dans le secteur public. Selon The Information, la société, qui développe le chatbot Grok, ambitionne de remporter des contrats gouvernementaux en s’appuyant notamment sur les données issues des agences fédérales.

Toujours selon Reuters, le DOGE — une autre entité liée à Musk — utilise déjà Grok dans ses activités avec l’administration et inciterait le personnel du département de la Sécurité intérieure des États-Unis à y recourir également. Une affirmation que le département a démentie, assurant qu’aucun outil ou produit spécifique n’était recommandé à ses employés. De son côté, xAI n’a pas souhaité commenter.

L’entreprise d’intelligence artificielle d’Elon Musk, xAI, qui construit actuellement un superordinateur géant à Memphis, pourrait elle aussi tirer parti du recul de la régulation environnementale. L’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (EPA) a engagé ce qu’elle qualifie de « plus vaste initiative de déréglementation de l’histoire des États-Unis ». À l’automne dernier, l’EPA avait commencé à s’intéresser à xAI, soupçonnée d’utiliser des turbines à gaz temporaires sans autorisation conforme, en infraction avec la loi fédérale sur la qualité de l’air (Clean Air Act). Interrogée par Forbes, un porte-parole de l’agence a indiqué par courriel que le dossier était « toujours en cours d’examen ».

Même les plus petites entités de l’empire Musk semblent bénéficier du contexte politique. En janvier, Donald Trump a démis de ses fonctions l’inspectrice générale du département de l’Agriculture des États-Unis, Phyllis Fong, dans le cadre d’un remaniement plus large visant plusieurs agences de contrôle. Son bureau enquêtait alors sur Neuralink — la start-up de Musk spécialisée dans les implants cérébraux — pour des soupçons de mauvais traitements infligés à des animaux, selon Reuters. L’enquête était toujours en cours au moment de son limogeage. Le département de l’Agriculture n’a pas répondu aux sollicitations de l’agence de presse.

La Boring Company, la société fondée par Elon Musk pour construire des tunnels, peine encore à faire ses preuves : depuis sa création en 2017, elle n’a livré qu’un seul projet notable, un tunnel à Las Vegas. Mais elle pourrait bientôt décrocher un contrat d’envergure. D’après le New York Times, elle est en discussion avec la Federal Railroad Administration pour participer à un projet Amtrak estimé à 8,5 milliards de dollars. Un porte-parole du département des Transports a toutefois précisé qu’aucune décision n’avait été prise pour l’instant, ajoutant qu’« Amtrak, en coordination avec le département des Transports, suivra les procédures standard pour les appels d’offres et la sous-traitance ».

La semaine dernière, Elon Musk a accompagné Donald Trump lors de sa visite au Moyen-Orient, une tournée marquée par plusieurs annonces favorables à ses entreprises. L’Arabie saoudite a accepté d’introduire Starlink dans ses infrastructures maritimes et aériennes, tandis qu’Abou Dhabi — qui avait dévoilé en février un projet de tunnel en partenariat avec la Boring Company — a fait savoir qu’il mènerait prochainement un essai clinique avec Neuralink.

De retour à la Maison-Blanche mercredi, Musk était aux côtés de Trump pour une réunion retransmise en direct avec le président sud-africain Cyril Ramaphosa. À cette occasion, le président américain a accusé son homologue de ne pas agir face à un prétendu « génocide » visant les Afrikaners blancs — une théorie complotiste chère à Elon Musk, mais largement discréditée. « Je préfère ne pas mêler Elon à ça. Il suffit que je prononce son nom pour qu’il se retrouve impliqué dans autre chose », a lancé Trump avec ironie depuis le Bureau ovale, provoquant les rires de l’assistance. « C’est ce qu’Elon voulait. »

 

Un article de John Hyatt pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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