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Gouvernance : l’arme cachée du réarmement économique

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Gouvernance : l’arme cachée du réarmement économique

Alors que la France engage un effort sans précédent pour soutenir ses PME et ETI stratégiques dans le cadre d’un vaste programme de “réarmement économique” (cf. les annonces faites récemment par la BPI sur un plan d’investissement à hauteur de 450 Mn d’€ notamment en direction des PME et ETI œuvrant dans des secteurs connexes à la Défense), il apparaît critique, avant même de connaître les modalités associées à l’emprunt et la liste potentielle des récipiendaires, de définir quelques conditions préalables et notamment celle qui reste étonnamment sous-estimée : la gouvernance.

Une contribution de Franck Thibault, Président de Blueboard

 

Il ne s’agit pas ici d’un sujet accessoire. Dans un monde marqué par l’instabilité géopolitique, l’accélération technologique, les tensions commerciales, les incertitudes sur les chaînes d’approvisionnement, les menaces cyber et les impératifs de souveraineté industrielle, la capacité des entreprises à anticiper, piloter, et s’adapter devient aussi critique que leur capacité à produire.


Or, cette capacité repose, avant toute chose, sur la qualité et la diversité des compétences qui siègent au sein de leurs conseils d’administration.

Aujourd’hui, une majorité de PME et d’ETI françaises restent gouvernées de manière informelle, autour d’un noyau dirigeant souvent resserré, rarement challengé. Selon Bpifrance Le Lab, 7 entreprises sur 10 ne disposent même pas de conseil d’administration formel.

Ce modèle pouvait être acceptable dans des environnements relativement stables. Mais il atteint ses limites face à la complexité actuelle et notamment à l’heure où de l’argent public va être régulièrement investi dans le tissu économique. Les PME, les ETI généralement, ne peuvent plus affronter des risques globaux avec des schémas de gouvernance locaux.

Ainsi, le paradoxe est criant : l’État s’apprête à injecter des millions d’euros dans des entreprises stratégiques, notamment industrielles, pour renforcer la souveraineté économique du pays — sans conditionner ces investissements à une modernisation de leur gouvernance.

Or, injecter de l’argent public dans des structures sans gouvernance stratégique robuste, c’est comme renforcer la coque d’un navire sans s’assurer qu’il y a un capitaine formé à la navigation en haute mer. Car oui, les crises à venir – ruptures d’approvisionnement, pression technologique, dérèglement climatique, conflits – seront des mers agitées. Ce serait une erreur.

Mais considérons le sujet plutôt sous l’angle de l’opportunité qui consiste à changer le regard : l’ouverture de la gouvernance ne diminue pas le pouvoir du dirigeant. Elle le renforce.

Réarmer l’économie française, ce n’est pas seulement produire plus. C’est penser plus loin. Cela suppose de mieux anticiper les ruptures technologiques, de maîtriser les risques cyber, d’intégrer les enjeux environnementaux dans la stratégie, de décrypter les impacts géopolitiques sur les filières industrielles.

Ces compétences ne sont pas toujours disponibles en interne. Elles doivent être intégrées dans les conseils d’administration, à travers des administrateurs indépendants, des profils venus du numérique, de la défense, de l’ESG, de la cybersécurité, ou encore de l’intelligence économique.

Un bon conseil d’administration n’est pas un club d’anciens : c’est un lieu de débat, de prospective, de confrontation des idées. C’est le capteur stratégique de l’entreprise.

Conditionner les aides publiques à une gouvernance modernisée n’est pas une contrainte. C’est un levier. Pour structurer des entreprises plus résilientes. Pour attirer les talents. Pour rassurer les investisseurs. Pour sécuriser la chaîne de valeur industrielle nationale.

Des dispositifs d’accompagnement existent. Ils doivent être massifiés, soutenus, généralisés. Il faut créer une culture de la gouvernance stratégique dans les PME et ETI, à la hauteur des défis auxquels elles font face.

Nous encourageons l’ensemble des parties prenantes – pouvoirs publics, investisseurs, fédérations professionnelles, dirigeants, régions – à intégrer la gouvernance comme axe stratégique des politiques de soutien aux entreprises en s’assurant que les compétences critiques sont bien autour de la table.

Si le mouvement d’une plus grande ouverture ne vient pas des entreprises elles-mêmes, il serait préjudiciable qu’un régulateur, voire le législateur prenne les dispositions nécessaires pour accélérer cet agenda comme il avait su le faire en 2011 fort justement avec la Loi Copé-Zimmermann afin de promouvoir la diversité des conseils au sein des entreprises cotées.

Dans le cadre du plan de réarmement économique, il apparaîtrait donc légitime d’exiger que chaque euro investi soit aussi un euro de gouvernance renforcée. Ce devrait être la demande des investisseurs, pas seulement institutionnels, mais aussi des particuliers qui seront invités à investir.

 

Formons, accompagnons, professionnalisons les conseils. Créons des viviers de compétences utiles à la souveraineté économique du pays, car face aux menaces de demain, c’est dès aujourd’hui qu’il faut réarmer les cerveaux des entreprises avec des profils capables de « savoir lire » le monde. Cela suppose d’intégrer, dans les instances de gouvernance, des profils qui justement ne viennent pas – ou plus – seulement du même monde. L’argent seul ne suffira pas à bâtir des champions durables. Il faut aussi des femmes et des hommes capables d’anticiper l’avenir pour ne pas le subir.

 


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