Déjà adoptée par plus de 750 000 familles en France, l’application de santé préventive May s’ouvre à l’international avec un déploiement simultané au Royaume-Uni et en Espagne. Portée par une levée de fonds de 7 millions d’euros, la start-up ambitionne de devenir le partenaire santé incontournable des parents en Europe — et bientôt aux États-Unis. Dans un système de santé sous pression, May défend une prévention numérique accessible, personnalisée, et déjà économiquement mesurable.
Lancée en 2020 par Cécilia Creuzet, Antoine Creuzet et Adrien Brunet, May s’est imposée comme une solution de référence pour accompagner les (futurs) parents dans leurs questions de santé du quotidien, grâce à un tchat médical réactif et des contenus certifiés. À l’heure où les inégalités d’accès aux soins s’accentuent, la start-up s’attaque désormais à l’échelle européenne. Interview avec Cécilia Creuzet, cofondatrice et CEO de May, à l’occasion de cette nouvelle phase de croissance.
Forbes France : Pourquoi avoir choisi le Royaume-Uni et l’Espagne pour amorcer l’internationalisation de May ?
Cécilia Creuzet : Nous avons identifié dans ces deux pays des problématiques très proches de celles rencontrées en France : un besoin fort d’accompagnement parental et des systèmes de santé sous tension. L’essor de la santé digitale y est réel, et les parents peinent à trouver un suivi fiable et accessible. Nous avons donc adapté plus de 3000 contenus pour coller aux contextes médicaux locaux. Le tchat, pour l’instant, repose sur une IA conversationnelle supervisée par des soignants — l’équipe médicale locale pourra être renforcée plus tard, en fonction de l’accueil.
L’expansion à l’international se fait via des investissements solides. Comment s’est préparé ce changement d’échelle ?
C. C. : On ne prépare jamais totalement un passage à l’échelle — on le vit. Mais chez nous, l’enjeu clé a été d’aligner toutes les équipes autour de cette vision. Ce n’est pas qu’un sujet tech : il faut un agenda commun, que chacun se projette dans cette croissance. C’est ce qui rend le projet excitant en interne.
Quels objectifs vous êtes-vous fixés pour ces deux pays dans les 12 mois à venir ?
C. C. : Notre priorité est de réussir ce lancement, mais nous voyons plus loin. D’ici la fin de l’année, nous visons une ouverture aux États-Unis et à deux autres pays européens. Nous avons conçu May comme un complément au parcours de soins : en France, par exemple, notre modèle a déjà permis d’éviter 45 000 consultations en 2024, soit près de 3,9 millions d’euros économisés pour la Sécurité sociale, selon une méthodologie validée par le BCG.
Et pourquoi ne pas avoir commencé par l’Europe du Nord, souvent citée en exemple sur les sujets de parentalité ?
C. C. : C’est vrai, mais le Royaume-Uni présente une vraie appétence pour les solutions numériques en santé, malgré le Brexit. Le RGPD reste applicable pour nous. Et développer une version en anglais est une étape importante pour toucher plus largement. Cela dit, on a été très surpris par les différences culturelles : par exemple, la péridurale concerne 80 % des accouchements en France contre seulement 20 % au Royaume-Uni — la vision y est beaucoup plus « physiologique ». Ça change tout dans l’accompagnement proposé.
Quel a été le déclic pour créer May ?
C. C. : En 2019, pendant la grève des urgences, j’ai été marquée par le fait que les enfants de moins de 6 ans figuraient parmi les principales causes d’encombrement. Pourtant, on ne fait pas plus d’enfants qu’avant ! J’ai eu la chance d’avoir une belle-mère médecin — j’avais littéralement un professionnel de santé dans ma poche pour répondre à mes questions. Je me suis dit que tout le monde devrait pouvoir en bénéficier. Avec internet, l’anxiété parentale est plus forte aujourd’hui, et parfois, on manque juste de la bonne information au bon moment.
Être femme, CEO, dans la tech et la parentalité : double défi ou double force ?
C. C. : Franchement, les deux. La maternité m’a rendue plus exigeante dans mes choix, plus rapide dans mes arbitrages. Et le fait d’être légitime dans ce qu’on construit, parce qu’on l’a vécu, ça change tout.
On a créé May juste avant le Covid, en février 2020, et il y a eu des moments très denses. En janvier 2024, je signais les term sheets de notre dernière levée de fonds quelques semaines après mon accouchement ! J’ai trois enfants, entre 1 et 8 ans. Le défi, c’est la désorganisation permanente qu’il faut apprendre à accepter. Être en couple avec son cofondateur est parfois vu comme un red flag par les investisseurs, mais pour nous, c’est une force. On se connaît par cœur, on se soutient, on se pousse.
Comment May se différencie-t-elle des autres applis pour jeunes parents ?
C. C. : On n’est ni une app lifestyle ni une plateforme de téléconsultation classique. On a voulu créer une vraie proximité, une relation continue et bienveillante. C’est pour ça qu’on ne s’appelle pas Docto “quelque chose”. Nous sommes un partenaire du quotidien, avec la crédibilité du médical. On a aussi lancé des programmes thématiques, comme sur le post-partum ou le sommeil de l’enfant. Et au-delà de 6 ans, nos utilisateurs quittent l’appli — preuve qu’on est bien là pour répondre à une période précise, cruciale.
Vous êtes intervenue récemment à l’Assemblée nationale. Sur quoi avez-vous alerté ?
Oui, sur la réforme du congé parental. Le postpartum reste un angle mort des politiques publiques, alors qu’il concentre une grande détresse : 1 femme sur 6 souffre d’une dépression du post partum. Il faut du soutien, de l’information, et une vraie reconnaissance de la santé mentale maternelle. En octobre, nous avons publié une tribune dans Le Monde avec des propositions concrètes pour améliorer cette prise en charge.
À quoi ont servi les 7 millions levés récemment ? Une Série B est-elle prévue ?
C. C. : Cette levée nous a permis de financer l’expansion internationale, d’enrichir nos contenus et de développer l’IA conversationnelle qui accompagne les parents dans les nouveaux pays. Une série B n’est pas exclue, mais pour l’instant, nous sommes concentrés sur l’impact.
Quel est le meilleur conseil entrepreneurial que vous ayez reçu ?
C. C. : D’oser faire les paris en avance de phase. Quand ça décolle, il vaut mieux être prêt que réactif. Et le conseil que je donnerais : entourez-vous de gens qui vous challengent sans vous juger.
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