Présenté hors compétition au festival de Cannes, le film de Thierry Klifa décoiffe la haute bourgeoise dans un récit librement inspiré de l’affaire Bettencourt, entre art, héritage et solitude dorée. Un bijou élégant, caustique, jamais caricatural.
« Il la décoiffe au propre comme au figuré », s’amuse Thierry Klifa à propos du photographe qui vient bousculer l’héritière dans La Femme la plus riche du monde. Et c’est sans doute la meilleure manière de dire ce que réussit ce film librement inspiré de l’affaire Bettencourt, mais qui refuse tout didactisme ou effet de reconstitution. Rien n’est lourd, tout est en mouvement. À commencer par ses deux figures centrales : Marianne, interprétée par une Isabelle Huppert magistrale, et Fantin, le photographe insolent campé magnifiquement par Benjamin Laffite, un duo à contretemps qui donne au récit tout son relief.
Le pitch tient du conte cruel contemporain : une femme immensément riche, héritière d’un empire, accoutumée à la solitude, à la suspicion et à la gestion d’un pouvoir discret, voit sa vie bouleversée par l’irruption d’un jeune photographe ambitieux, aussi fasciné qu’insaisissable. Une fille mutique, un majordome silencieux, des avocats, des dons colossaux, et surtout un goût prononcé pour les secrets. Cela pourrait virer au thriller ou à la satire, mais Klifa choisit autre chose : une forme de romanesque assumé, au bord de la caricature, mais sans jamais y tomber, guidé par un sens aigu du détail, du geste et des dialogues.
Ce qui frappe d’abord, c’est la justesse du ton. Klifa ne cherche ni l’empathie forcée ni la dénonciation. « Ce qui m’intéressait, ce n’était pas tant la famille que la question de la transmission », explique-t-il. Et c’est là que son film trouve sa profondeur : dans cette tension entre ce qui est reçu et ce qui est vécu, entre l’héritage et la liberté, entre la légende d’un père et la tentation de s’en affranchir ou, au contraire, de la perpétuer comme une croix. Une croix de vie, que Marianne porte avec une forme d’orgueil résigné. Sa fille, elle, cherche l’absolution dans une mission morale : sublimer tout cet argent qu’elle n’a pas gagné, en s’en faisant la gardienne éclairée, presque jésuite.
Le luxe n’est jamais ostentatoire dans ce film, et c’est peut-être ce qui le rend si singulier : il épouse les codes d’un monde où la richesse ne s’exhibe pas, mais se vit comme une langue maternelle silencieuse.
Visuellement, La Femme la plus riche du monde s’éloigne des clichés habituels. Pas de clinquant ni de satire à la Succession, mais une élégance presque feutrée, travaillée avec soin par une direction artistique précise : décors somptueux mais discrets, costumes sobres, couleurs qui évoluent au fil des émotions. À mesure que Fantin entre dans la vie de Marianne, la palette s’éclaire, les plans s’ouvrent. La mise en scène épouse cette respiration, et la musique d’Alex Beaupain accompagne subtilement ce glissement de la mort vers le désir.
Le casting, enfin, est d’une rare justesse. Isabelle Huppert, impériale sans jamais être figée, offre à Marianne une complexité troublante : entre enfant blessée et grande prêtresse du capital. Laffite, tout en charme et en inquiétude, incarne un contrepoint idéal. Et Marina Foïs, dans un rôle plus intérieur, fait exister cette fille en quête de dignité, tiraillée entre la loyauté filiale et l’appel du sens.
Klifa signe ici un film à la fois caustique et délicat, sans effet de manche, porté par un vrai goût du romanesque. Un cinéma du détail, des regards, des silences. Une tragédie en chaînes d’or, où l’art et l’argent s’observent, se désirent et parfois se confondent. Un bijou discret, à déguster avec la même élégance qu’un caviar servi sans ostentation.
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