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ChatGPT nous surprend avec une leçon de leadership

ChatGPT
Logo ChatGPT sur smartphone. Getty Images

Il y a deux semaines, OpenAI a dû faire marche arrière. La dernière mise à jour de ChatGPT a été suspendue en urgence après avoir donné lieu à un comportement pour le moins embarrassant : l’IA se montrait excessivement flatteuse, validant sans broncher les suggestions des utilisateurs, y compris les plus farfelues — voire potentiellement risquées.

 

Sur Reddit, un utilisateur a raconté comment ChatGPT avait validé avec enthousiasme sa décision d’arrêter ses médicaments. « Je suis tellement fier de vous et j’honore votre parcours », aurait répondu l’IA, visiblement en mode « coach de vie ». Dans un autre échange, l’IA a salué la résolution d’un problème du tramway dans lequel l’utilisateur choisissait de sauver un grille-pain plutôt que des animaux vivants.

Des réponses troublantes qui, au-delà de l’anecdote, révèlent un travers bien connu dans le monde de l’entreprise : celui des entourages complaisants qui évitent soigneusement de contredire leur chef — même quand il fonce droit dans le mur.


 

Le parallèle ChatGPT

Le récent couac d’OpenAI rappelle qu’un outil, même bien intentionné, peut déraper s’il est trop conciliant. Dans un billet de blog, l’entreprise expliquait que sa mise à jour intégrait un nouveau signal de récompense basé sur les retours utilisateurs — une modification qui a affaibli le mécanisme principal de régulation, jusque-là efficace pour limiter les excès de complaisance.

Cette logique dépasse le seul domaine de l’IA. Dans les organisations humaines aussi, un système calibré uniquement pour l’approbation et l’harmonie peut mener à des décisions désastreuses.

Dans un monde professionnel de plus en plus complexe, le pire scénario pour une entreprise est de se retrouver avec une équipe qui hoche la tête à tout ce que dit son leader. Mieux vaut cultiver une culture où chacun se sent libre de signaler les signaux faibles — avant que les clients ne le fassent à votre place.

 

Quand la complaisance mène à l’échec

Reed Hastings, cofondateur de Netflix, en a fait l’amère expérience. En 2011, il lance une initiative qu’il qualifiera plus tard de « plus grosse erreur de l’histoire de Netflix » : scinder les activités de streaming et de DVD, rebaptisant cette dernière « Qwikster ».

La réaction du public est immédiate : tollé général, perte de millions d’abonnés et une action divisée par quatre en quelques mois. Mais ce qui frappe le plus dans cette histoire, c’est l’après. Plusieurs cadres — directeurs et vice-présidents — confient qu’ils doutaient du projet dès le départ.

« Je savais que ce serait un désastre, mais je pensais que Reed avait toujours raison, alors je me suis tu », reconnaît l’un. Un autre avoue : « J’ai toujours trouvé le nom Qwikster affreux, mais personne ne disait rien, alors moi non plus ».

M. Hastings ne s’était pas entouré de flatteurs par calcul. Pourtant, sa force de conviction, combinée à une culture d’entreprise trop silencieuse face à l’autorité, avait étouffé les signaux d’alerte. Il aura fallu une crise majeure pour exposer ce biais collectif.

 

L’uniformité d’opinion, ce poison discret

Netflix n’est pas un cas isolé. L’histoire récente regorge d’échecs stratégiques nourris par une allergie aux voix discordantes :

  • Chez Swissair, le conseil d’administration, de plus en plus refermé sur lui-même, a fini par croire en son invincibilité, précipitant la chute de la compagnie en 2002.
  • Chez Enron, la lanceuse d’alerte Sherron Watkins a décrit un climat où toute critique était perçue comme une trahison. Résultat : une spirale de déni, jusqu’à l’explosion.
  • À Detroit, les grands constructeurs automobiles se sont convaincus, à force de se répéter, que les Américains ne voulaient que des grosses cylindrées — une certitude coûteuse quand les Japonais ont débarqué avec des modèles économiques.
  • Chez Nokia, le climat de peur instauré par le haut management a empêché les équipes de remonter les failles du système Symbian. Pendant ce temps, Apple redessinait les usages avec l’iPhone.

Le point commun ? Une culture où l’adhésion prime sur la lucidité, même au prix de décisions fatales.

 

La culture de la dissidence

La leçon de Qwikster n’a pas été perdue pour Reed Hastings. Secoué par le fiasco, le cofondateur de Netflix a opéré un virage culturel majeur. Il ne suffit plus d’avoir des désaccords en silence : l’entreprise affirme désormais qu’il est « inacceptable de taire une opinion divergente ». Se taire, c’est nuire à l’intelligence collective.

M. Hastings a même donné un nom à cette nouvelle approche : « Cultiver la dissidence ». Le principe : semer le débat en amont des décisions majeures. Concrètement, les idées proposées sont soumises à des commentaires ouverts dans des documents partagés, et les décisions les plus critiques s’appuient sur des notations transparentes, où chacun évalue les options sur une échelle de -10 à +10, en justifiant ses choix.

Ce mode de fonctionnement, décrit dans son livre La règle ? Pas de règles !: Netflix et la culture de la réinvention, repose sur une conviction simple : plus une entreprise valorise les désaccords exprimés clairement, plus ses décisions gagnent en pertinence. Et selon M. Hastings, cette méthode n’est pas réservée aux géants de la tech — elle peut s’appliquer à n’importe quelle structure, quel que soit son secteur.

 

Une leçon de leadership essentielle

Que vous dirigiez une multinationale, une start-up ou un service marketing, il est une erreur de management que vous ne pouvez pas vous permettre : l’entre-soi intellectuel. L’affaire Qwikster de Netflix, symbole d’un virage mal anticipé, rappelle combien un manque de contradiction interne peut coûter cher. Voici six réflexes à adopter pour ne pas tomber dans le piège de l’adhésion de façade :

  1. Misez sur la diversité cognitive

    Entourez-vous de personnes qui ne pensent pas comme vous. L’idée n’est pas de créer des tensions sans raison, mais d’intégrer des regards différents qui permettront de repérer ce que vous ne voyez pas.
  2. Créez un climat de sécurité psychologique

    Affichez clairement que les désaccords argumentés sont non seulement tolérés, mais attendus. Une équipe qui craint de s’exprimer par peur de représailles restera silencieuse jusqu’à ce que les dégâts soient faits.
  3. Valorisez la contradiction constructive

    Remerciez publiquement ceux qui osent vous contredire, surtout lorsqu’ils ont raison. Ce que vous récompensez devient une norme culturelle.
  4. Formalisez la dissidence

    Mettez en place des mécanismes qui permettent à chacun d’exprimer ses doutes : documents partagés, évaluations anonymes, ou tout autre outil inspiré de ceux utilisés par Netflix pour encourager un feedback sincère.
  5. Restez attentif au silence trop unanime

    Si tout le monde semble être d’accord avec vous, ce n’est probablement pas un signe de génie, mais plutôt un indicateur que l’esprit critique s’est évaporé.
  6. Repensez vos recrutements

    Sans le vouloir, vos processus d’embauche peuvent favoriser les profils conformistes. Recherchez activement des personnalités capables de challenger le statu quo dès leur arrivée.

 

Chez Amazon, le désaccord est une règle du jeu

Dans sa récente lettre aux actionnaires, le PDG d’Amazon, Andy Jassy, met en lumière un pilier central de la culture d’entreprise : la valorisation des idées divergentes. Chez Amazon, contester une décision — même quand c’est inconfortable ou épuisant — fait partie intégrante du leadership. Les dirigeants sont encouragés à exprimer leurs désaccords de manière respectueuse, car ce sont précisément les débats exigeants, les questions difficiles et les confrontations d’idées qui mènent aux meilleures solutions pour les clients.

Le principe « Are Right a Lot » illustre cette posture : les leaders efficaces ne se braquent pas lorsqu’ils sont challengés. Au contraire, ils font preuve de curiosité et sont prêts à changer d’avis face à des arguments convaincants, l’objectif ultime restant toujours l’intérêt du client.

Autre fondement de cette culture : le principe « Have Backbone; Disagree and Commit ». Une fois la décision prise, le débat est clos — chacun doit s’y rallier pleinement, sans sabotage silencieux ni plan B dissimulé. Pour Andy Jassy, cet engagement sans réserve est la condition indispensable pour avancer vite et en confiance.

 

Une contribution de Roger Dooley pour Forbes US – traduit par Lisa Deleforterie


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