Rechercher

L’illusion du libéralisme responsable

La confusion entre capitalisme et libéralisme est fréquente. Elle est alimentée par les opinions des acteurs de la vie économique pour orienter des politiques publiques. Plusieurs modèles économiques s’affrontent et se complètent selon les époques, les cultures et les avancées civiques. Dans ce contexte, un nouveau concept émerge : le libéralisme responsable.

Une contribution de Florian Dubart, multi-entrepreneur (Revolucy, Complisoft…) et membre du conseil d’administration de Face Grand Lyon

Ce choix sémantique n’est pas neutre. Il fait écho à la nécessité de développer des pratiques de responsabilité sociétale des entreprises (RSE), portées par des valeurs sociales et environnementales mais aussi… financières.

 


Capitalisme et libéralisme

 

Le capitalisme repose sur l’accumulation de capital et la création de valeur. Il peut être « responsable » car il repose sur des décisions humaines : son fonctionnement dépend de ce que les détenteurs du capital veulent construire. Il laisse place aux choix et à l’engagement.

Le libéralisme, lui, repose sur l’idée que seul un marché libre, sans intervention, garantit l’efficacité économique. Dès lors, parler de libéralisme “responsable” est un non-sens : ce désengagement de toute régulation empêche par définition toute forme de responsabilité.

 

Théorie du ruissellement

 

Le libéralisme responsable s’appuie sur la théorie du ruissellement : les réformes fiscales en faveur des plus riches profiteraient indirectement aux plus pauvres. Tirée des politiques de Ronald Reagan, cette théorie justifie la suppression de l’ISF, l’optimisation fiscale, l’élargissement du Crédit Impôt Recherche ou encore les niches fiscales.

Pourtant, les prix ont augmenté de 12,3 % entre septembre 2021 et décembre 2023 [1]. 9 millions de Français métropolitains étaient sous le seuil de pauvreté en 2022, soit 14,4% de la population [2]. Ce taux était de 14,5% en 2018 : la situation est donc systémique, pas conjoncturelle. En 2023, 16% des emplois salariés sont précaires [3], le nombre de bénéficiaires de l’aide alimentaire a triplé en dix ans [4].

Selon l’Oxfam :

– « la fortune des milliardaires dans le monde a plus augmenté en 19 mois de pandémie qu’au cours de la dernière décennie.
– En France, de mars 2020 à octobre 2021, la fortune des milliardaires français a augmenté de 86 %.
– Les 5 premières fortunes françaises possèdent autant que les 40 % les plus pauvres. »

 

Application concrète du libéralisme et TPE

 

Cette idéologie s’incarne aussi dans des choix structurels : cibler la fraude sociale plutôt que fiscale [5][6], geler le point d’indice des fonctionnaires [7] tout en externalisant via des cabinets privés [8], maintenir une fiscalité uniforme qui pénalise les petites structures.

Les TPE, qui représentent 96% des entreprises, peinent à accéder aux marchés publics, aux aides adaptées, à la commande publique [9]. Leur taux d’imposition implicite est souvent plus élevé que celui des grandes entreprises. En 2023, plus de 55 000 entreprises ont été placées en procédures collectives. Ce n’est pas conjoncturel, c’est structurel [10].

 

Le libéralisme est une composante possible du capitalisme. Il n’en est ni l’essence ni le catalyseur. Le mot « responsable » est ici détourné : il devient un outil d’inversion de la charge de la preuve. Ne pas suivre ce dogme c’est être irresponsable. Cette infantilisation renforce une classe dominante qui, sous couvert de bien commun, détricote le droit du travail, vend les actifs publics et étrangle les plus petites structures pour renforcer des marchés oligopolistiques.

Ne laissons pas le libéralisme dit “responsable” justifier des choix politiques ou économiques dommageables à notre tissu économique.

[1] Etudes de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), 2024
[2] INSEE, L’essentiel sur… la pauvreté, 2024
[3] Centre d’observation de la société, 2024
[4] Etude CSA pour la fédération française des banques alimentaires, 2023[5] Etude HCFiPS sur la fraude sociale, 2024

[6] Cour des comptes, 2023
[7] INSEE, L’essentiel sur… les salaires, 2023
[8] Rapport de commission d’enquête du Sénat, 2022
[9] L’Observatoire économique de la commande publique, 2019
[10] Banque de France, 2024


À lire également : Future of Venture | Retraite par capitalisation : un levier stratégique pour financer l’innovation européenne

Vous avez aimé cet article ? Likez Forbes sur Facebook

Abonnez-vous au magazine papier

et découvrez chaque trimestre :

1 an, 4 numéros : 30 € TTC au lieu de 36 € TTC