Cela fait maintenant de nombreuses années que l’on voit s’immiscer la technologie dans la prise de décisions d’investissement. Si toutes les avancées technologiques ont été accueillies favorablement, elles n’ont toutefois jamais pu remplacer le cerveau humain, car les domaines concernés, les ingrédients nécessaires et la logique appropriée pour effectuer des analyses, des prévisions et prendre des décisions d’investissement précises sont en constante évolution.
L’IA change-t-elle la donne ?
Non. Elle ne « sait » pas et ne « réfléchit » pas. C’est la raison pour laquelle de nombreuses équipes spécialisées dans l’IA ne parviennent pas à empêcher leurs programmes de produire des « hallucinations », c’est-à-dire des résultats totalement erronés. Elles tentent désormais d’amener ces programmes à « savoir » ce qui est vrai et faux en ralentissant leur « réflexion ». Cependant, les hallucinations ont empiré.
Un bon exemple est la tentative d’une entreprise de créer des profils IA pour de nombreux auteurs. Les deux tentatives pour créer le profil suivant étaient ridiculement erronées, avec des déclarations fausses à 100 %.
Première tentative : « John S. Tobey est un ancien quarterback de la NFL qui soutient depuis longtemps la recherche sur la fibrose kystique. Il a travaillé avec la communauté de la fibrose kystique dans le domaine des bourses d’études, de l’athlétisme et de la recherche. En 2021, le président Joe Biden a invité John S. Tobey à siéger au Conseil présidentiel des conseillers en science et technologie. »
Deuxième tentative : « John S. Tobey est un ancien quarterback de la NFL qui est aujourd’hui membre du conseil d’administration d’ExxonMobil. Il est également conseiller financier pour Forbes. En 2018, la Harvard Business Review l’a nommé en tant que l’un des PDG les plus performants au monde. »
Le résultat : les auteurs ont rédigé leurs propres profils en suivant des directives précises.
Après analyse de divers articles, Forbes a relevé plusieurs erreurs commises par l’IA. En voici trois exemples récents.
L’IA ne parvient pas à expliquer un chiffre aberrant dans la production automobile
Alors que les droits de douane commençaient à affecter les prix des automobiles, Forbes a analysé le modèle de la Grande Récession, caractérisé par une baisse des ventes et de la production. Avec des ventes en baisse, il y a eu une hausse inhabituelle de la production en juillet 2008, mais pour quelle raison ? Après avoir tapé la question suivante sur Google : « Pourquoi la production automobile a-t-elle augmenté en juillet 2008 ? » ; la réponse de l’IA a été quelque peu surprenante : des suppositions simplistes et absurdes et des erreurs.
« En juillet 2008, la production automobile a augmenté, probablement en raison de plusieurs facteurs. Alors que les ventes atteignaient des niveaux historiquement bas, l’augmentation de la production pourrait avoir été stimulée par une hausse de la production de véhicules automobiles et de pièces détachées. Cela suggère que les constructeurs automobiles auraient pu constituer des stocks malgré la baisse de la demande des consommateurs. »
En faisant défiler la réponse de l’IA de Google et on tombe sur l’article du New York Times du 15 août 20028 intitulé « Manufacturing Output Topped Forecasts in July » (la production manufacturière a dépassé les prévisions en juillet). Il fournissait des détails précis et pertinents.
« La production industrielle, qui mesure le volume des biens produits aux États-Unis, a légèrement dépassé les attentes en juillet, une bonne nouvelle pour une économie malmenée par l’inflation et la hausse des coûts.
Dans un rapport publié vendredi, la Fed a déclaré que la production industrielle avait augmenté de 0,2 % par rapport au mois précédent. Les économistes s’attendaient à une production stable.
La hausse enregistrée en juillet est principalement due à une augmentation de 3,6 % de la production de véhicules automobiles et de pièces détachées. La production automobile a augmenté au cours des deux derniers mois, probablement pas en raison des ventes, qui sont à un niveau historiquement bas, mais parce que la production avait été exceptionnellement faible en raison d’une grève chez un équipementier automobile, American Axle. Les économistes s’attendent à un nouveau ralentissement de la production en raison de la faiblesse de la demande. »
On tombe ensuite sur un article sur la grève chez American Axle. Ce reportage de NBC News (22 mai 2008), intitulé « American Axle workers vote to end strike » (les travailleurs d’American Axle votent la fin de la grève)», présente les faits pertinents.
« Les travailleurs d’American Axle et de Manufacturing Holdings Inc. ont voté la fin de leur grève qui durait depuis près de trois mois, ratifiant à une écrasante majorité un nouvel accord avec l’entreprise malgré des réductions salariales importantes et d’autres concessions.
Le vote, finalisé jeudi, signifie que les travailleurs reprendront probablement le travail la semaine prochaine, mettant fin à une grève qui a paralysé la production de gros véhicules utilitaires sport et de camionnettes de General Motors Corp. »
Les chiffres de la production automobile de 2008 prennent désormais tout leur sens. Voici les chiffres de production par rapport à mars 2008, dernier mois de production normale avant l’effet de la grève :
Mars – 100,0
Avril – 88,2
Mai – 89,9
Juin – 97,1
Juillet – 117,6 (le mois nécessitant une explication)
Août -102,4
Septembre – 98,9
Le niveau de production moyen sur les cinq mois touchés par la grève s’est établi à 99,0, ce qui a permis à l’industrie de se remettre sur les rails.
L’IA ne parvient pas à décrire avec précision la gestion des taux d’intérêt par la Fed
À l’origine, la Fed utilisait le taux d’escompte pour influencer la situation financière/monétaire. Plus tard, elle a changé de stratégie et a commencé à gérer le taux des fonds fédéraux à cette fin. Ensuite, le taux d’escompte a été indexé sur le taux des fonds fédéraux à un niveau plus élevé. Nous avons posé à l’IA de Google la question suivante : « Quand le taux d’escompte de la Fed a-t-il dépassé le taux des fonds fédéraux ? » Voici la réponse superficielle, incomplète et erronée de l’IA :
« Le taux d’escompte de la Fed, c’est-à-dire le taux auquel les banques peuvent emprunter auprès de la Fed, a toujours été fixé au-dessus du taux des fonds fédéraux, c’est-à-dire le taux auquel les banques se prêtent entre elles. Cette différence était généralement de 100 points de base, ce qui signifie que le taux d’escompte était supérieur de 1 % à l’objectif du taux des fonds fédéraux. Bien que la Fed puisse modifier cette différence, elle a généralement maintenu cet écart de 100 points de base depuis janvier 2003. »
Le graphique ci-dessous montre la différence entre le taux d’escompte et le taux des fonds fédéraux. Il convient de noter qu’au cours de la période 1955-1964, le taux d’escompte était supérieur au taux des fonds fédéraux. Par la suite (à l’exception des périodes 1971-1972 et 1975-1976), le taux d’escompte est resté inférieur jusqu’en 2003. Les écarts négatifs importants sont apparus lorsque la Fed a relevé les taux des fonds fédéraux pour lutter contre l’inflation, tout en soutenant les banques avec un taux d’escompte plus bas pendant les périodes difficiles.
Sous Alan Greenspan (1987-2006), le taux d’escompte est resté inférieur au taux des fonds fédéraux jusqu’en 2003. À ce moment-là, il a relevé le taux d’escompte afin d’encourager les banques à emprunter entre elles plutôt qu’auprès de la Fed. Il a également instauré une différence automatique de 1 %, supprimant ainsi la nécessité de fixer les deux taux séparément. Toutefois, cet écart n’a été maintenu que jusqu’en 2007, date à laquelle Ben Bernanke l’a ramené à environ 0,6 %. Ce niveau a prévalu pendant les mandats de Janet Yellen et de Jerome Powell jusqu’à la période covid de 2020, lorsque Jerome Powell l’a abaissé à moins de 0,2 %, où il se maintient aujourd’hui.
Il est clair que la réponse de l’IA était loin de la réalité.
L’IA manque de cohérence interne
Il y a quelques jours, Forbes a décidé de rechercher les actions qui ont battu leurs records de dividendes en 2024. Nous avons posé la question suivante à l’IA de Google : « Quelles actions américaines ont réduit leur dividende en 2024 après l’avoir augmenté chaque année pendant au moins dix ans ? » Voici la réponse :
« En 2024, plusieurs actions américaines ont réduit leurs dividendes après une longue période d’augmentation. Parmi les exemples notables, citons Coca-Cola (KO) et Pfizer (PFE). »
Deux choses ressortent de cette réponse. Le terme « plusieurs » sans liste des entreprises mérite une note incomplète. Deuxièmement, Coca-Cola et Pfizer ont-ils vraiment réduit leurs dividendes en 2024 ? Il existe un moyen de le savoir : interroger l’IA. Voici les questions et les réponses de l’IA :
« Q : KO a-t-il réduit ses dividendes en 2024 ?
R : Non, The Coca-Cola Company (KO) n’a pas réduit ses dividendes en 2024. En fait, l’entreprise a annoncé une 63e augmentation consécutive de ses dividendes annuels.
Q : PFE a-t-il réduit ses dividendes en 2024 ?
R : Non, l’action PFE n’a pas réduit son dividende en 2024. En fait, le conseil d’administration de Pfizer a augmenté son dividende trimestriel de 2,4 % en décembre 2024, marquant ainsi la 15e année consécutive de croissance du dividende de la société. »
Ces réponses contradictoires révèlent une faille majeure. Si les données et les processus de l’IA ne sont pas cohérents et interconnectés, toute réponse manque cruellement de fiabilité.
Utilisez les réponses fournies par l’IA avec prudence, comme guide pour approfondir vos recherches
Même toutes les données du monde et une vitesse fulgurante ne garantissent pas une compréhension précise et une analyse judicieuse, en particulier lorsqu’il s’agit d’investir.
Utilisez donc l’IA comme un outil rudimentaire qui nécessite une analyse et une confirmation supplémentaires. L’IA n’est en aucun cas un expert intuitif en matière de prise de décision.
Une contribution DeJohn S. Tobey pour Forbes US, traduite par Flora Lucas
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