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L’impact d’une habitude sur une entreprise : la stratégie gagnante de Google et de Netflix

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L'impact d'une habitude sur une entreprise : la stratégie gagnante de Google et de Netflix

Dans un contexte professionnel en évolution constante, les décisions stratégiques majeures occupent une place de premier plan dans l’actualité. Cependant, des actions simples, effectuées de manière répétée au fil du temps, peuvent avoir un impact significatif sur la performance d’une entreprise. Ces habitudes collectives ou managériales, lorsqu’elles sont bien choisies et incarnées, deviennent des piliers silencieux de la performance. Voici pourquoi et comment elles se distinguent.

Une contribution de Sylvie S. de Gil, Senior Strategy Consultant

 

La notion d’habitude est souvent associée aux routines personnelles, telles que se lever tôt, pratiquer une activité physique ou lire chaque soir. Dans le monde de l’entreprise, une habitude peut ainsi devenir bien plus qu’un automatisme : elle peut se transformer en une structure invisible, une discipline partagée, un moteur de transformation.


À la différence des plans stratégiques ou des réorganisations, souvent ponctuels et coûteux, il s’agit d’une démarche qui s’inscrit dans la durée et qui s’effectue de manière fluide et continue. Cette dynamique s’inscrit dans une logique de transmission, d’enracinement et de développement d’une identité culturelle. Il est essentiel de comprendre que son impact sur la performance collective peut être exponentiel.

Dans cet article, nous allons examiner des exemples concrets d’habitudes adoptées par des entreprises de toutes tailles, qui ont su en faire des leviers de succès. Il ne s’agit pas de les reproduire, mais plutôt d’en saisir la logique pour concevoir les vôtres.

 

Quatre critères essentiels pour qu’une habitude puisse être considérée comme efficace

 

Clarté : la clarté est un atout majeur pour la compréhension et la transmission de l’information.

Répétition : cette pratique s’inscrit dans la planification régulière et structurée, à des intervalles prédéterminés (hebdomadaire, quotidien, mensuel, etc.).

Portée collective : cette action implique différents échelons de l’organisation.

Agilité : elle fait preuve d’une grande flexibilité et est capable de s’adapter tout en conservant une stabilité fondamentale.

Les habitudes contraignantes, quant à elles, se caractérisent souvent par leur inutilité (réunions improductives, rapports excessifs, e-mails redondants) ou par leur désalignement stratégique (pratiques qui vont à l’encontre de la culture affichée de l’entreprise).

La clé d’une gestion efficace réside dans la conception délibérée d’habitudes alignées à la fois sur la vision stratégique de l’entreprise, sur les priorités définies et sur les besoins spécifiques des équipes.

 

Étude de cas Netflix et Google

 

1. Netflix et l’habitude du feedback radical

Netflix se distingue par son approche managériale innovante. Cette approche s’articule autour d’un système de feedback constant et direct, favorisant l’amélioration continue et l’alignement des efforts avec les objectifs stratégiques de l’entreprise. Cette démarche s’inscrit dans le cadre de la politique de « liberté et responsabilité » instaurée par Reed Hastings.

Au lieu d’un processus d’évaluation annuel traditionnel, les équipes s’évaluent mutuellement de manière constructive et en temps réel, favorisant ainsi une communication transparente et un développement continu. Cette démarche s’inscrit dans une logique d’amélioration continue, sans recourir à des mesures punitives.

Conformément aux objectifs fixés, l’environnement est devenu agile, les talents ont évolué rapidement et l’entreprise a démontré sa capacité à pivoter efficacement face aux défis du marché.

Cette approche s’avère efficace car elle est intégrée à tous les échelons de l’entreprise : elle est définie par la direction, soutenue par des outils de feedback 360, et alignée avec la vision stratégique de l’organisation.

Les compétences de leadership de Hastings sont consignées dans l’ouvrage de 2020 No Rules Rules: Netflix and the Culture of Reinvention, qu’il a coécrit avec l’auteure spécialisée en management, Erin Meyer.

Ci-dessous un exemple de cas traduit en français :

« Il a été constaté que la plupart des collaborateurs sont réticents à l’idée d’émettre des feedbacks constructifs à l’attention de leurs pairs, et encore plus à celle de leur hiérarchie. Même lorsque leurs remarques sont bien intentionnées, ils craignent d’être perçus comme trop durs. Chez Netflix, nous avons une approche différente. Voici un exemple tiré de notre dernier ouvrage :

Rose, vice-présidente de l’équipe communication mondiale de Netflix, réunit ses collègues pour présenter son plan de communication autour du lancement de la deuxième saison de 13 Reasons Why. Elle propose que Netflix finance une étude indépendante menée par des chercheurs afin d’examiner l’impact de la série sur les adolescents, dans le but de mieux positionner le programme lors de sa sortie.

Pendant la présentation, ses collègues contestent l’idée. Au fur et à mesure que les objections s’enchaînent, Rose accélère son discours. L’ambiance devient tendue dans la salle. Rose se précipite encore plus dans ses slides. Finalement, sa collègue Bianca lève les bras et lui dit : « Rose, ça ne fonctionne pas ! »

Bianca lui explique qu’elle donne l’impression d’être sur la défensive, et qu’elle doit ralentir et répondre aux inquiétudes pour regagner l’attention de la salle. Rose prend alors conscience du ton nerveux qu’elle employait, remercie Bianca pour son feedback, ajuste son attitude et commence à répondre aux questions. L’énergie de la pièce change immédiatement.

Netflix valorise ce type d’échange.

« Chez Netflix, ne pas s’exprimer lorsqu’on est en désaccord avec un collègue ou lorsqu’on a un feedback utile à partager revient à être déloyal envers l’entreprise », écrit Erin Meyer dans No Rules Rules.

Tant que le feedback est donné avec une intention positive (dans le but d’aider la personne concernée) et qu’il propose une solution alternative (en se concentrant sur ce que la personne peut faire différemment), il peut — et devrait — être partagé à tout moment, dans n’importe quel contexte.

En retour, la seule chose attendue de la personne qui reçoit le feedback, c’est qu’elle remercie. Elle n’est pas obligée d’appliquer les conseils.

Dans cette histoire, Bianca a vu ce que Rose pouvait faire pour réussir et lui a donné un retour constructif. Rose a montré de la reconnaissance et a adapté sa posture. Si Bianca s’était contentée de critiquer sans proposer d’alternative, l’interaction aurait eu une tout autre tonalité.

Hastings reconnaît que pour encourager un tel niveau de franchise, « il faut d’abord se débarrasser des imbéciles ».

 

2. Google et la réunion debout quotidienne (Daily stand-up)

Chez Google, notamment au sein des équipes techniques, la pratique des réunions debout de 15 minutes s’est imposée comme une norme incontournable. Chaque matin, chaque membre partage trois points : ses actions de la veille, ses actions prévues pour la journée, et les obstacles à sa réalisation.

Cette approche, inspirée des méthodologies agiles, favorise l’efficacité et la cohésion au sein de l’équipe, tout en cultivant une transparence fluide.

Conformément aux résultats obtenus, les équipes sont désormais responsabilisées, la coordination est plus fine et les obstacles sont mieux anticipés.

Cette habitude est un atout majeur pour l’ entreprise, car elle est régulière, brève (15 minutes) et structurante pour le flux de travail répète Google.

Voici un exemple de conversation qui a eu lieu lors d’une réunion quotidienne :

1. Membre de l’équipe 1 :
« Hier, j’ai finalisé le développement de la première version du module de connexion utilisateur. À partir de maintenant, je vais procéder à la phase de test. Je n’identifie pas d’obstacles significatifs à la réalisation de ces objectifs. »

2. Chef d’équipe : « C’est une excellente nouvelle ! Veuillez partager le plan de test que vous utilisez.

3. Membre de l’équipe 2 :
« Hier, j’ai travaillé sur la conception de la base de données pour la nouvelle fonctionnalité. À ce stade, je suis chargé de finaliser le schéma et de procéder à des tests de validation avec des données d’exemple. Je suis en attente de quelques éléments supplémentaires de la part de l’équipe UI. »

4. Chef d’équipe :
« D’accord, je vais faire le point avec l’équipe UI. Je vous remercie pour votre contribution. Il est indispensable de respecter les délais impartis pour atteindre les objectifs fixés par le projet. »

Voici les principaux éléments à prendre en compte lors de la présentation quotidienne de l’état des lieux des activités de Google :

Dans le cadre de cette démarche orientée action, la conversation se concentre sur l’identification et la résolution des obstacles potentiels qui pourraient freiner l’équipe dans l’atteinte de ses objectifs de sprint.

Le dispositif collaboratif offre aux membres une opportunité de partager des informations, de solliciter de l’assistance et de se conformer aux priorités définies.

Ce processus est conçu pour être responsabilisant, encourageant ainsi l’autonomie et l’engagement des collaborateurs.
Chaque collaborateur est responsable de ses avancées et doit communiquer tout obstacle éventuel.

Cette approche est structurée, mais souple.

 

Comment intégrer de manière pérenne une nouvelle pratique au sein de l’entreprise ?

 

Pour qu’une habitude devienne un véritable levier collectif, il est essentiel de comprendre que la bonne volonté individuelle ne suffit pas. Elle doit s’inscrire dans un cadre structuré, soutenu par le leadership et aligné avec la culture de l’entreprise.

Le rôle des dirigeants est primordial : sans modèle à suivre, une nouvelle habitude ne peut se développer. C’est en insufflant une dynamique de changement au quotidien que les leaders génèrent un effet d’entraînement naturel. La mise en place d’une démarche commune entre la direction et les équipes est un facteur clé de succès pour l’implantation d’une nouvelle habitude.

 

Voici un processus structuré en 5 étapes

 

Afin d’identifier un besoin concret, il est essentiel de se concentrer sur des éléments spécifiques tels que la perte de motivation, la lenteur dans la prise de décision ou le manque de coordination. Il est également judicieux de sélectionner un enjeu réel, visible et partagé.

Dans le cadre de la démarche d’amélioration continue de la qualité de vie au travail, il est suggéré de mettre en place un processus simple et récurrent. Ce processus peut prendre la forme d’un point hebdomadaire rapide, d’une mise à jour des priorités chaque lundi matin, ou d’un moment de reconnaissance en fin de réunion.

Pour une mise en place optimale, il est recommandé de démarrer avec une équipe pilote. Il est essentiel d’observer attentivement les effets, les bénéfices et les résistances de ces changements.

Après 30 jours, il convient d’évaluer les résultats obtenus. Quels ajustements sont nécessaires pour optimiser l’efficacité de cette stratégie ? L’optimisation de cette phase d’ajustement est essentielle pour perfectionner le rituel.

Une habitude qui fonctionne mérite un nom, un cadre et une diffusion claire. Il est nécessaire de lui attribuer une identité afin de l’ériger en repère collectif.

 

L’habitude, un levier d’une efficacité redoutable, mais souvent sous-estimé

 

On surestime fréquemment l’impact d’un changement majeur et on sous-estime la puissance d’un petit geste répété. Comme James Clear le souligne dans son ouvrage Atomic Habits, « Une amélioration de 1 % par jour conduit à une transformation radicale sur le long terme ».

Dans le monde de l’entreprise, une bonne habitude ne constitue pas une tâche supplémentaire, mais représente une structure invisible qui apporte de la clarté, renforce la culture d’entreprise, fluidifie la communication et mobilise l’intelligence collective.

La création d’une habitude alignée, pertinente et incarnée constitue un levier simple, mais stratégique, pour transformer l’organisation de l’intérieur de manière efficace et discrète, tout en générant un impact significatif.

 


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