Donald Trump menace de taxer les films produits à l’étranger. Une annonce floue, aux airs de croisade culturelle. Pour en comprendre les enjeux, Forbes France a interrogé Nolwenn Mingant, professeure d’histoire et de culture des États-Unis à l’Université de Nantes et spécialiste de l’industrie hollywoodienne. Selon elle, cette mesure irréaliste relève surtout d’un discours idéologique tourné contre la mondialisation du cinéma.
Désirée de Lamarzelle : Le cinéma est un bien culturel. Dans ce cadre, une taxe comme celle évoquée par Donald Trump serait-elle applicable ?
Nolwenn Mingant : A priori, non. D’abord, parce que le cinéma est profondément internationalisé, particulièrement depuis la fin des années 1990. Un film est aujourd’hui conçu par une entreprise américaine, financé par cette même structure, mais souvent coproduit avec d’autres pays. Il peut être tourné à l’étranger, avec des équipes techniques, des acteurs et actrices non américains. La postproduction, la musique, les effets visuels peuvent être réalisés au Canada, en Europe ou en Nouvelle-Zélande. On a donc des films pensés à Hollywood mais fabriqués de manière transnationale. D’où la question : que taxe-t-on, exactement ?
Donald Trump invoque des raisons de sécurité nationale. Cela vise-t-il ces productions tournées hors des États-Unis ?
N. M. : C’est ce qu’on peut supposer. Il semble cibler ce que l’on appelle les runaway productions, ces films tournés hors du territoire américain. Mais il faut noter que ce n’est pas une revendication de l’industrie. À la fin des années 1990, les techniciens hollywoodiens demandaient une intervention de l’État. Mais depuis, on est entré dans un écosystème international, marqué par une compétition entre pays — et même entre régions – pour attirer les tournages via des avantages fiscaux. Les États américains eux-mêmes participent à cette compétition : la Géorgie, New York, la Louisiane ont mis en place des dispositifs très attractifs. Aujourd’hui, les professionnels demandent des subventions ou des incitations fiscales au niveau fédéral, pas des droits de douane. Ce type de mesure n’est pas adapté à la réalité de la production.
Certains articles évoquent une taxation des films produits à l’étranger, par exemple en France, puis diffusés aux États-Unis. Est-ce de cela qu’il s’agit ?
N. M. : Aucune précision n’a été donnée. Lorsqu’il parle de “films produits à l’étranger”, cela semble désigner des films américains tournés hors des États-Unis. Il ne fait pas référence, à ce stade, aux films étrangers, comme les productions françaises qui seraient importés sur le territoire américain. C’est flou.
Quelles seraient les conséquences concrètes si une telle taxe venait à s’appliquer aux films non américains ?
N. M. : Ce serait un coup dur. Les films français ont déjà une faible visibilité aux États-Unis. Une taxe supplémentaire rendrait leur distribution quasi impossible. Aucun distributeur ne prendrait le risque de les importer. Cela dit, encore une fois, ce n’est pas ce que la proposition semble viser. Ce qui est visé, c’est le retour des tournages aux États-Unis. Or cela impliquerait de détruire un système international solidement installé. De nombreux pays — la France, le Canada, la Nouvelle-Zélande, la Hongrie, la Thaïlande, ou encore des cités comme Abou Dhabi – ont structuré leur économie autour de l’accueil des productions américaines. Si cela s’arrête, ces économies locales seraient gravement affectées.
Mais cela ne signifie pas pour autant que les studios rapatrieraient automatiquement leurs tournages. Les producteurs cherchent des paysages spécifiques, des talents locaux. Certains professionnels affirment qu’en cas de contrainte, ils préféreraient recourir à des effets spéciaux ou à l’intelligence artificielle, plutôt que de revenir tourner aux États-Unis.
Et cela représenterait un coût important ?
N. M. : Bien sûr. Il existe une concurrence permanente entre les différents pôles de production à l’international. Lorsqu’un pays propose un avantage fiscal, les autres s’alignent. C’est un système flexible, mouvant, qui s’est consolidé depuis la fin des années 1990. Il fonctionne. Il est efficace.
Faut-il prendre cette déclaration de Trump au sérieux ?
N. M. : Je ne vois pas comment cela pourrait se concrétiser. L’industrie ne soutient pas cette initiative. Ce n’est pas une revendication de leur part. Cette proposition sort de nulle part. Elle suscite déjà une réticence dans le milieu, car le système actuel donne satisfaction.
Est-ce une nouvelle offensive idéologique de Trump, une manière de réactiver une guerre froide culturelle ?
N. M. : C’est ce que je crois. Il utilise le sujet à des fins de communication. Quand il affirme que l’industrie du cinéma américain est moribonde, c’est faux. Les films sont toujours pensés aux États-Unis, remplis d’idéologie américaine. Ils relèvent toujours du soft power. Il s’adresse, à mon sens, à un électorat conservateur ou religieux, méfiant envers Hollywood. C’est une stratégie politique.
Cela pourrait-il devenir un outil de censure ?
N. M. : La censure existe déjà, mais elle passe par d’autres canaux. Regardez Disney, qui a annoncé suspendre ses programmes d’inclusion et de diversité sous la pression du contexte politique. La censure opère déjà sur ces sujets-là. Quant à cette taxe, il est possible qu’elle reste une déclaration sans suite, car juridiquement inapplicable. Mais on ne peut exclure non plus qu’elle serve de prélude à d’autres mesures. On l’a vu dans d’autres secteurs : certaines annonces, jugées irréalistes au départ, ont fini par prendre forme.
Cette logique s’applique-t-elle aussi aux séries télévisées ?
N. M. : Absolument. Et c’est ce qui surprend les professionnels : Trump ne mentionne jamais les séries, alors qu’elles sont, elles aussi, massivement tournées à l’étranger, notamment au Royaume-Uni. Cela renforce l’impression d’une déclaration improvisée, ponctuée de mots-clés sensationnalistes. Par exemple, le terme “propagande” renvoie à l’imaginaire de la guerre froide, mais ne reflète en rien la réalité de l’industrie aujourd’hui.

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