« Pourquoi apprendre une langue étrangère quand ChatGPT ou DeepL peuvent tout traduire en quelques secondes ? » Cette question, nous l’entendons tous les jours et il faut y répondre clairement : parce qu’une langue ne se résume pas à sa traduction. Parce qu’abandonner l’apprentissage des langues reviendrait à renoncer à une dimension essentielle de notre compréhension du monde. Parce qu’au moment où l’intelligence artificielle s’impose dans tous les domaines, maîtriser une langue étrangère est un acte profondément stratégique… et profondément humain.
Une contribution de Julie Vignaux, Présidente de Learnation
Quand la traduction devient automatique… que perd-on ?
Reconnaissons-le : les outils de traduction n’ont jamais été aussi puissants. Propulsés par l’IA générative, ils s’invitent dans nos échanges professionnels comme dans nos recherches personnelles. Selon une étude menée par Google Cloud en octobre 2024 [1], 86 % des entreprises ayant intégré l’IA générative dans leurs outils constatent des gains de productivité significatifs, et 75 % observent une amélioration directe de leurs revenus.
Gardons à l’esprit que l’IA, malgré sa précision, reste un outil. Elle traduit efficacement, mais disparaît lors des moments décisifs : négociations, réunions cruciales ou dîners d’affaires. Face à un interlocuteur, c’est la maîtrise de sa langue (ou d’une langue commune) qui créera la connexion authentique. Dans l’entreprise, cette présence directe transforme une transaction en relation durable. L’IA est un allié pour la préparation, mais sur le terrain des relations humaines, parler la langue reste stratégiquement irremplaçable.
[1] Google Cloud. The ROI of Gen AI – A global survey of enterprise adoption and value, octobre 2024
La maîtrise des langues, avantage culturel et compétitif
Les neurosciences le confirment : l’apprentissage des langues stimule la plasticité cérébrale, améliore la mémoire, la concentration et même les capacités d’empathie. Une étude relayée par The Conversation (Thompson, 2017) montre que les individus multilingues développent une plus grande tolérance à l’ambiguïté et à la différence [2].
Et sur le plan économique ? L’OCDE le rappelle dans son rapport Perspectives des compétences 2023 [3] : les langues étrangères figurent parmi les compétences les plus stratégiques pour les années à venir, au même titre que la programmation ou la résolution de problèmes complexes (OCDE, 2023). Elles ne sont pas un luxe culturel, mais un investissement de long terme dans l’intelligence collective.
Sur le marché du travail actuel, parler plusieurs langues constitue toujours un différenciateur clé, particulièrement dans certains secteurs d’activité : évidemment ceux liés à la diplomatie ou à la négociation, mais aussi certains domaines très spécialisés comme la recherche scientifique, où la maitrise des langues demeure incontournable.
[2] THOMPSON, Amy. Comment l’apprentissage des langues étrangères rend plus tolérant. In : The Conversation ; 12 janvier 2017
[3] OCDE. Compétences – Perspectives OCDE 2023. Paris : Organisation de coopération et de développement économiques, 2023
Les bénéfices cognitifs et relationnels de l’immersion linguistique
Parler une langue étrangère, ce n’est pas seulement pouvoir commander un café à l’étranger. C’est intégrer des références, des codes, des logiques de pensée et même un rapport au temps différent. C’est voir le monde sous un autre prisme – et mieux en comprendre les subtilités.
Une analyse de l’OCDE sur les technologies de traduction automatique [4] rappelle d’ailleurs que si les outils d’IA peuvent faciliter certaines interactions, ils risquent aussi d’uniformiser notre rapport à la langue et de gommer des dimensions essentielles à la communication humaine.
Refuser d’apprendre une langue parce qu’un outil la traduit à notre place, c’est comme refuser d’apprendre à cuisiner parce qu’on peut se faire livrer : pratique à court terme, mais réducteur, appauvrissant, et profondément aliénant.
[4] BORGONOVI, Francesca, HERVÉ, Justine et SEITZ, Helke. 2023. Not Lost in Translation: The Implications of Machine Translation
L’IA ne remplace pas l’apprentissage des langues – elle le réinvente
Bien utilisée, l’intelligence artificielle ne tue pas l’apprentissage linguistique. Elle le transforme. Elle permet d’individualiser les parcours, de rendre l’évaluation plus précise, de rendre les exercices plus vivants, plus immersifs. C’est une nouvelle modalité pédagogique qui, bien positionnée dans le parcours d’apprentissage, enrichit l’expérience. Notre conviction profonde est que l’IA et l’humain doivent former un duo pédagogique où la technologie amplifie l’apprentissage sans jamais le déshumaniser. Elle n’est pas une fin, mais un moyen d’enrichir notre rapport aux langues, à condition de les utiliser en conscience.
Dans un monde qui valorise la vitesse et l’efficacité à tout prix, apprendre une langue prend du temps. C’est exigeant. C’est parfois frustrant. Mais c’est aussi un acte d’ouverture, d’humilité, de liberté.
À l’ère de l’IA, continuer à apprendre une langue étrangère, c’est refuser la facilité apparente. C’est choisir l’effort, la nuance, la relation. C’est (aussi) refuser que la machine fasse tout à notre place. Dont penser.
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