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Future of World : À quand le grand soir des chaînes de valeur mondiales ?

Chaines de valeur
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Depuis deux décennies, les chaînes de valeur mondiales ont redessiné la carte économique du globe, propulsant des régions et redéfinissant les règles du commerce international. Au cœur de cette transformation se trouve la montée en puissance irrésistible de la Chine. Avec l’adhésion à l’Organisation mondiale du commerce (OMC) en 2001, la Chine s’est intégrée profondément dans les chaînes de valeur mondiales, devenant le cœur industriel du monde. Des secteurs entiers, des textiles à l’électronique, ont déplacé leurs centres de gravité vers ce géant asiatique, attirés par des coûts de production réduits et une main-d’œuvre abondante. Or, la pandémie a révélé la dépendance – et donc la vulnérabilité- de l’occident à l’Asie du Sud-Est, faisant dire à beaucoup que le moment était venu de rebattre les cartes des chaînes de valeur. Sauf que rien ne s’est passé comme prévu…

En 2013, le président Xi Jinping lance la stratégie de la « Ceinture et la Route » (Belt and Road Initiative), un vaste projet d’infrastructures visant à relier la Chine à l’Europe, à l’Afrique et au reste de l’Asie à travers un réseau de routes commerciales terrestres et maritimes. Avec plus de 150 pays participants et un investissement cumulé de 1 000 milliards de dollars à ce jour, ce projet a consolidé la place de la Chine en tant que leader indétrônable des chaînes de valeur mondiales. Cette stratégie ambitieuse a permis à Pékin de sécuriser des routes commerciales vitales, d’asseoir sa domination industrielle et d’étendre son influence économique et géopolitique bien au-delà de ses frontières. En 2021, la Chine représentait 28,7 % de la production manufacturière mondiale, contre seulement 3,4 % en 1990, selon les données de l’Organisation des Nations unies pour le développement industriel (ONUDI). Une évolution fulgurante qui fait de ce pays l’épicentre des chaînes de production globales. Cependant, ce tableau de la mondialisation a été profondément perturbé par un événement inattendu : la pandémie de Covid-19.

 

L’effet Covid : la promesse de la relocalisation ?

Or, la crise sanitaire mondiale a mis en lumière la vulnérabilité des chaînes de valeur fortement dépendantes de l’Asie du Sud-Est. Fermetures d’usines, ruptures d’approvisionnement, retards logistiques : la pandémie a révélé l’extrême fragilité d’un modèle fondé sur une hyperspécialisation géographique. En Occident, la prise de conscience a été brutale. Pour de nombreux gouvernements et entreprises, il devenait urgent de réduire l’exposition à l’Asie, relocaliser certaines industries stratégiques et redéfinir des approches plus résilientes. Des milliards de dollars ont été annoncés pour soutenir le retour de la production sur le sol européen et américain. En Europe, l’Union a mis sur la table un plan de 750 milliards d’euros pour relancer l’économie, avec un accent particulier sur la résilience industrielle. Aux États-Unis, l’administration Biden a engagé 52 milliards de dollars pour renforcer la production de semi-conducteurs sur le sol américain via le CHIPS Act. Des secteurs critiques comme la pharmacie, les équipements médicaux, l’électronique ou encore l’automobile devaient être rapatriés. En 2020, près de 62 % des entreprises interrogées par la Chambre de commerce américaine en Chine exprimaient l’intention de diversifier ou de déplacer leurs chaînes d’approvisionnement. Pourtant, quatre ans plus tard, la grande relocalisation reste largement au stade des promesses non tenues.

 

Pourquoi la relocalisation n’a pas (encore) fonctionné

Malgré ces intentions affichées, la réalité du terrain a montré que le découplage de la Chine est bien plus complexe que prévu. L’analyse récente publiée par Project Syndicate le 30 août 2024 souligne ainsi l’énigme de la surcapacité chinoise comme un facteur clé. Le marché chinois, avec son infrastructure de production inégalée, reste en effet un choix incontournable pour les entreprises internationales. En dépit des surcapacités, notamment dans les secteurs sidérurgiques, les fabricants chinois continuent de dominer par leur compétitivité-coût et leur flexibilité. La Chine reste donc l’usine du monde non seulement pour ses faibles coûts mais aussi pour ses écosystèmes industriels parfaitement intégrés, qui n’ont pas d’équivalent ailleurs. Le coût de la relocalisation en Europe ou aux États-Unis demeure prohibitif : infrastructures à reconstruire, main-d’œuvre qualifiée à former, subventions nécessaires pour rendre ces industries rentables. En 2023, la production manufacturière chinoise a encore augmenté de 3,6 %, tandis que les importations américaines en provenance de Chine n’ont reculé que de 1,2 %, un chiffre dérisoire au vu des ambitions de découplage.

 

Nouvelles rivalités : la bataille Chine + 1

Parallèlement, un nouveau paradigme de rivalité s’est installé : la stratégie « Chine + 1 », qui incite les multinationales à diversifier leur production en dehors de la Chine, tout en maintenant des bases en Asie. L’Inde se profile comme la grande bénéficiaire de cette nouvelle configuration. Comme l’explique cette analyse récente du média « Le Grand Continent », l’Inde attire massivement des investissements en quête d’alternatives à la Chine, avec une croissance des IDE de 13,3 % en 2023. Des géants comme Apple ou Samsung ont commencé à déplacer une partie de leur production vers l’Inde, un mouvement stratégique qui fait écho à la montée en puissance de ce pays comme nouvelle grande place industrielle.

L’issue de cette nouvelle guerre industrielle reste cependant incertaine. Si la Chine conserve une avance considérable, l’Inde se positionne en sérieux concurrent. Pour les pays occidentaux, le grand soir des chaînes de valeur n’est pas pour demain car les décisions géostratégiques et industrielles ne suivent pas encore la cadence imposée par les discours politiques.

 

Un futur à réinventer

La mondialisation des chaînes de valeur traverse une période de turbulences. L’illusion d’un découplage rapide et efficace de la Chine s’est donc heurtée à des réalités économiques implacables. Alors que les rivalités commerciales redessinent les contours de la production mondiale, une nouvelle cartographie des chaînes de valeur semble inéluctable. Peut-être faut-il y voir non pas la fin d’un modèle, mais l’avènement d’une nouvelle ère où l’agilité et la diversification primeront sur la simple logique de coûts. Comme le soulignait John Maynard Keynes : « La difficulté ne réside pas tant dans le fait de concevoir de nouvelles idées que d’échapper aux anciennes. » En attendant le grand soir, il nous faudra réapprendre à penser autrement…


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