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La Réunion : quand des modalités artificielles viennent fausser une concurrence saine

RéunionSource : GettyImages

OPINION // La régulation d’un marché crée parfois des conditions injustes pour un acteur ayant réussi, par l’investissement, l’innovation ou la qualité de ses services, à se positionner efficacement face à des mastodontes. 

La 5G est un enjeu majeur pour la compétitivité économique de la France. Soucieux de ne pas reproduire les erreurs commises lors du passage à la 4G dans les départements de l’océan Indien – La Réunion et Mayotte ont eu accès à cette technologie en 2016, soit cinq ans après la Métropole -, l’État accélère le processus de déploiement de la 5G en outre-mer. Ainsi, à La Réunion, l’Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse (Arcep) a lancé une consultation publique en vue de l’attribution des fréquences dans la bande basse de 700 MHz sur l’île.

Une attribution qui revêt un enjeu majeur : support nécessaire au fonctionnement du réseau mobile, les fréquences sont limitées car ne pouvant se situer que dans des bandes précises, afin de ne pas interférer avec les activités aériennes ou radiotélévisées. Les bandes les plus basses (700 MHz), plus performantes à travers les obstacles, assurent une meilleure couverture que les autres et sont nécessaires au bon déploiement de la 5G. Comme toute ressource limitée, elles sont donc âprement disputées par les opérateurs mobiles. 

Dans ce contexte de forte concurrence, l’Arcep a décidé d’attribuer, pour la première fois dans l’histoire de la téléphonie mobile réunionnaise, les lots de fréquences aux enchères, sur le modèle suivant : au cours d’un premier tour, chaque opérateur se verra remettre un lot de 5 MHz dans la bande 700 MHz, puis deux lots de 5 MHz seront ensuite proposés aux plus offrants. Au total, chaque opérateur ne pourra posséder plus de 30 MHz de fréquences basses, c’est-à-dire dans les bandes 700, 800 et 900 MHz.

Ces enchères s’adressent aux grands opérateurs nationaux, Free, Orange et SFR, mais aussi à un acteur local, Zeop Mobile. Ce dernier, bien implanté sur l’île, ne possède ni des fréquences basses – à l’inverse de ses concurrents qui en détiennent 19,8 MHz pour Free et 22,4 pour SFR et Orange dans les bandes 800 et 900 MHz – ni leur puissance financière. Résultat, au terme de cette attribution, Zeop plafonnera à 10 MHz de fréquences basses quand tous ses concurrents auront atteint le seuil de 30 MHz fixé par l’Arcep.

Cet exemple illustre un problème fondamental de la régulation de la concurrence : la création artificielle de modalités défavorisant un acteur ayant réussi, par l’investissement, l’innovation ou la qualité de ses services, à se positionner efficacement face à des mastodontes. 

La concurrence est un principe élémentaire en sciences économiques. Elle se définit basiquement comme une forme d’organisation sociale des relations, où domine un souci d’égalité des positions entre celui qui offre et celui qui demande. Voilà pour la théorie. Dans les faits, cette notion se révèle un peu plus complexe, notamment par son aspect juridique.

En clair, pour que l’économie de marché remplisse les objectifs du droit de la concurrence, qu’il s’agisse de l’efficience économique ou du bien-être du consommateur, tout acteur doit être soumis à des règles dont le respect est imposé par l’État. C’est exactement cette fonction que l’Arcep assume, avec transparence et indépendance, en fixant, depuis 1995, les obligations générales qui s’appliquent à l’ensemble des opérateurs. Dans un souci d’équité compréhensible, elle applique les mêmes règles sur l’ensemble des territoires de la République.

Sauf que le marché de la téléphonie mobile à la Réunion impose une approche différente. Les opérateurs majeurs n’y ont pas joué le même rôle de développement qu’en Métropole, alors que Zeop y investit pour sa part massivement depuis une dizaine d’années, pour permettre à plus de 80% de la population réunionnaise d’avoir accès à l’internet très haut débit et pour couvrir toute l’île avec son réseau mobile 4T4R. Ironiquement, ces éléments correspondent parfaitement aux critères pris en compte dans le système d’attribution à « soumission comparative », prôné par l’Arcep dans le passé. 

Il est difficile de croire que la Réunion soit trop éloignée pour qu’une autorité parisienne ne puisse capter les spécificités locales de son marché de téléphonie mobile. Malheureusement, la déconnexion apparente ne permet plus d’assurer les conditions nécessaires à une économie de marché saine. Au risque de créer un sentiment d’injustice. 

 

Tribune rédigée par Noel Labelle, consultant expert en information économique

 

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