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Comment les Industriels De L’Automobile Se Sont Mis à Faire Des Ventilateurs

À la mi-mars, alors que le coronavirus se propageait aux États-Unis et que le gouvernement n’avait pas encore donné l’ordre de confinement, Jim Hackett, le PDG de Ford, fermait déjà ses 30 usines automobiles. Au téléphone avec les employés de la Maison-Blanche, pour parler de l’impact de la pandémie sur l’industrie, Jim Hackett a déclaré : « Qui sait, peut-être que nous devrions faire des ventilateurs ? »

Et c’est précisément ce que Jim Hackett et son entreprise ont commencé à faire cinq jours plus tard. Ford et GE Healthcare se sont rapidement mis d’accord pour lancer la production d’une version plus simple des ventilateurs pneumatiques pour les hôpitaux et les États qui se préparaient à un déluge de patients du Covid-19. Ils ont ensuite fait appel à un petit fabricant de Floride du nom de Airon, dont le modèle de ventilateur simplifié était moins cher, plus facile et donc plus rapide à produire en grandes quantités. « Lorsque ce problème est survenu, il est devenu très clair que nous avions une responsabilité à assumer », déclare-t-il.

Toutefois, il n’est pas le seul. D’autres fabricants à travers l’Amérique comme General Motors et Xerox, se sont joints à eux pour aider à produire des ventilateurs par milliers. Il s’agit du plus grand mouvement mené par les fabricants américains, hors temps de guerre, pour produire en quelques semaines l’équivalent de plusieurs mois ou années de production d’appareils médicaux. « Il existe peu de fabricants de ventilateurs, et ils ont un rythme de production très serré », explique Pamela Fry, vice-présidente d’Airon. « Ce n’est pas comme si un fabricant avait 100, voire 100 000 ventilateurs en stock. »

En effet, les ventilateurs qui propulsent l’air et l’oxygène dans les poumons des patients qui ont des difficultés respiratoires sont des appareils médicaux dont personne ne veut avoir besoin en grande quantité. Mais pour les patients du Covid-19 gravement atteints, il n’y a pas d’autres options. L’Institute for Health Metrics and Evaluation de l’Université de Washington estime que les hôpitaux auront besoin de près de 17 000 ventilateurs dans les jours à venir pour faire face au pic de la pandémie à la mi-avril. Des États comme New York, où les cas de COVID-19 sont très nombreux, ont déjà tiré la sonnette d’alarme sur la pénurie potentielle de ventilateurs. Les États-Unis disposaient d’environ 160 000 ventilateurs médicaux dans les hôpitaux de soins intensifs avant la pandémie, selon le rapport d’avril du Johns Hopkins Center for Health Security, basé sur les données de 2010, dont 62 000 appareils et 98 000 autres qui pouvaient assurer le service en cas d’urgence.

Il existe plusieurs types de ventilateurs médicaux : des ventilateurs électroniques complexes et d’autres plus simples au système plus ancien ; des ventilateurs jetables et des dispositifs d’urgence qui fonctionnent mieux en dehors de l’unité de soins intensifs. Les prix varient de 120 dollars pour un ventilateur jetable à plus de 20 000 dollars pour les appareils haut de gamme. Chacun a ses avantages et ses inconvénients, car les fabricants trouvent un équilibre entre la nécessité de rapidité et la complexité du traitement d’une nouvelle maladie mortelle.

General Motors, en collaboration avec Ventec Life Systems a pu produire des ventilateurs portables, et obtenu un contrat de 489 millions de dollars (447 millions d’euros) avec le ministère de la Santé et des Services sociaux pour effectuer la livraison de 30 000 ventilateurs à la réserve nationale d’ici fin août. Le concessionnaire automobile Ford, qui ne retire aucun profit sur ce projet, prévoit d’en livrer 6 132 d’ici juin. Les équipes de SpaceX d’Elon Musk fabriquent des valves pour les appareils de Medtronic. Le fabricant d’aspirateurs Dyson se prépare à construire un nouveau modèle de ventilateur conçu par ses soin. Xerox fabrique des ventilateurs jetables en partenariat avec une petite entreprise d’appareils médicaux appelée Vortran. Quant aux fabricants actuels, comme ResMed et Philips, ils intensifient également leurs efforts de production et se lancent dans la fourniture de pièces détachées. De plus, les entrepreneurs d’appareils médicaux ont créé de nouvelles entreprises comme BreathDirect pour fabriquer des appareils d’urgence plus simples. 

Tandis que les entreprises reconfiguraient leurs usines pour les aider, l’administration Trump a publié un décret le 18 mars identifiant explicitement les ventilateurs comme une priorité nationale dans le cadre de la loi sur la production de défense afin d’accélérer les choses. Par ailleurs, ce n’est pas la première fois que des producteurs automobiles modifient leur production et domaine d’expertise pendant des crises nationales. En effet, au cours de la Deuxième Guerre mondiale, Ford, General Motors et autres concessionnaires avaient troqué les pare-chocs contre des bombes et du matériel militaire. Un membre de l’équipe fondatrice de la société a tout de suite rappelé à Jim Hackett cet héritage. « J’ai reçu des appels d’Edsel Ford, qui fait partie de notre conseil d’administration, son père était Henry (Ford) II. Il m’a dit : ‘Tu connais l’histoire de la société… Tu es le PDG. Tu sais que nous avons un autre rôle à jouer, dans ce genre de crises » », raconte-t-il.

Ford dit vouloir produire 50 000 ventilateurs d’ici le 4 juillet, tandis que General Motors prévoit d’en fabriquer 10 000 par mois d’ici le mois de mai. La start-up BreathDirect a l’intention de fabriquer 40 000  ventilateurs simples par mois d’ici juin. Et Xerox prévoit de fabriquer jusqu’à 1 million de ventilateurs Vortran jetables et ainsi libérer les appareils de soins intensifs dont ont besoin les patients gravement touchés par le COVID-19. Alors que l’obtention de l’autorisation de la FDA (Food and Drug Administration) pour un dispositif médical prend généralement 100 jours ou plus, « une autorisation d’utilisation d’urgence peut littéralement être délivrée en 24 heures », d’après Dennis Gucciardo, un avocat de Morgan Lewis qui a représenté Airon.

Malgré tous ces efforts, ces appareils n’arriveront pas à temps pour subvenir aux besoins en ventilateurs de New York, ou d’autres zones fortement sollicitées comme Detroit ou la Nouvelle-Orléans. Les ventilateurs pneumatiques, même les plus simples sont des appareils qui ne peuvent pas être mis en marche rapidement. En avril, il faudra donc très vite changer d’objectif et livrer les zones qui en ont le plus besoin, voir même utiliser un appareil pour deux patients du Covid-19. Certains chercheurs commencent à se demander si les machines d’apnée du sommeil BiPAP et CPAP peuvent être utilisées dans ce but en ajoutant des tubes endotrachéaux avec des filtres antiviraux pour une utilisation sur des patients qui ne sont pas gravement malades. 

« Nous constatons déjà une hausse de l’offre des ventilateurs disponibles, qui sont rapidement livrés dans les zones qui en ont fortement besoin », explique par mail le Dr Tom Frieden, ancien chef des Centres de contrôle et de prévention des maladies et aujourd’hui PDG de Resolve to Save Lives. Mais il souligne qu’il subsiste quelques lacunes. D’ici mai, si tout se passe comme prévu, ces nouveaux efforts de production pourraient entraîner la mise hors service de milliers de ventilateurs, la production continuant à augmenter en juin et juillet.

Prenons comme exemple, Airon, le petit fabricant de ventilateurs qui est au centre du partenariat Ford-GE Healthcare. Eric Gjerde, un ancien inhalothérapeute spécialisé dans les soins intensifs, a fondé la société en 1997 et en a fait un fabricant respecté de ventilateurs médicaux. Mais le fabricant basé à Melbourne, en Floride, ne produit que trois ventilateurs par jour en temps normal, ils sont passés à 10 par jour pendant la crise du coronavirus. Ainsi, le 26 mars, lorsque MedWorld Advisors a mis Airon en relation avec GE Healthcare, les deux sociétés ont rapidement conclu un accord : ces machines, qui fonctionnent à la pression atmosphérique plutôt qu’à l’électricité et se vendent à environ 7 000 dollars (6 400 euros), sont bien plus faciles à fabriquer que les modèles électroniques complets qui se vendent à partir de 20 000 dollars (18 296 euros). 

« Ce sont des systèmes pneumatiques complexes, mais il n’y a pas beaucoup de pièces », explique Eric Gjerde « nos voitures sont bien plus complexes que nos ventilateurs ». En tout et pour tout, les ventilateurs Airon ont à peu près 200 pièces, leur production nécessite 15 à 20 étapes comparées aux milliers d’étapes que comprend la confection d’une voiture. Ford a donc reconfiguré son usine de composants de Rawsonville à Ypsilanti dans le Michigan, qui en temps normal assemble des batteries de voiture, des systèmes d’induction d’air et autres composants automobiles, pour fabriquer des ventilateurs presque 24 heures sur 24 avec trois équipes de 500 travailleurs du syndicat UAW. Le 3 avril, seulement huit jours après la réunion avec l’équipe Airon, Ford a reçu l’accord de la FDA dans le cadre de leur programme d’autorisation d’urgence.

Suite à cela, l’équipe de Ford a travaillé à l’analyse des pièces et à la recherche d’une source d’approvisionnement. Un point essentiel, car une pénurie de n’importe quel composant peut créer un véritable blocage. Heureusement c’est un domaine où Ford, avec sa chaîne d’approvisionnement approfondie, a quelques atouts dans sa manche. « Un de nos avantages… est que nous sommes capables d’aller vite », a expliqué le vice-président de Ford, Jim Baumbick, lors d’une conférence téléphonique annonçant le projet. « La simplification du dispositif Airon nous permet d’agir plus rapidement étant donné l’urgence. »

Ils ont aussi pu compter sur de nombreux efforts de la part des fabricants médicaux. Medtronic, un géant de l’appareil médical, a partagé les modèles de leurs appareils avec tous les fabricants susceptibles de les construire. BreathDirect, fondé par Darren Saravis, entrepreneur dans le domaine médical, a conçu un nouveau ventilateur d’urgence de 10 000 dollars (9 148 euros) avec l’aide du directeur technique de Bunnell, qui fabrique des ventilateurs à haute fréquence pour les nourrissons. Xerox s’est associé à Vortran, un petit fabricant d’appareils médicaux, pour produire en masse des ventilateurs jetables d’un prix de 120 dollars (120 euros). « Si nous nous concentrons sur les ventilateurs à faibles risques, cela permettra de soulager les ventilateurs à haut risque », explique Naresh Shanker, directeur technique de Xerox. 

Au début du mois d’avril, il semblait que toutes les usines s’étaient tournées vers le Covid-19. « Honnêtement, c’est la production la plus rapide que j’ai jamais vue », explique Darren Saravis. « Dormir n’est pas en option. » Mais il reste encore beaucoup de chemin à parcourir avant que les ventilateurs ne commencent à sortir des chaînes de production en grande quantité. « Il faudra des mois » pour obtenir une augmentation massive de l’offre, explique Gail Baura, professeur d’ingénierie à l’université Loyola de Chicago, spécialisée dans la technologie des appareils médicaux et auteur d’un manuel d’école de médecine. « Il faut attendre suffisamment longtemps pour obtenir un produit de qualité, car sinon on ne peut pas l’utiliser sur des patients. »

De plus, il n’y a pas que les ventilateurs qui sont en pénurie. De nombreux hôpitaux au centre de la crise COVID-19 sont également confrontés à une pénurie de médecins, d’infirmières et d’inhalothérapeutes, nécessaires au fonctionnement des machines, et certains n’auraient même pas assez de sédatifs pour assurer le confort des patients pendant l’intubation. Un respirateur sans un médecin qui sait comment intuber et les sédatifs qui le permettent n’aide pas un patient gravement malade. Ford et les autres fabricants ne peuvent pas faire grand-chose à ce sujet, mais ils excellent dans leur domaine et savent forcer des chaînes d’approvisionnement complexes à se plier à leur volonté. « Avec notre chaîne d’approvisionnement, nous construisons un F-150 toutes les 52 secondes », explique M. Hackett. « C’est aussi complexe, voire plus, qu’un ventilateur. Cela nous a donné la confiance que si nous pouvions trouver le modèle, nous dirons au gouvernement que nous pouvons construire n’importe quoi à l’échelle. »

 

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