En dépit des efforts croissants pour rapprocher les entreprises et les chercheurs, il subsiste encore en France un faussé entre leurs représentations. Pourtant en matière d’innovation et de savoirs, le potentiel des chercheurs pour les entreprises est énorme. Dans cette interview, Charles Aymard, directeur des études à l’Institut Okay Doc, revient sur son travail, il souligne que la confiance entre les entreprises et les chercheurs et l’expérimentation de nouvelles formes de collaboration sont essentielles à une collaboration sur le long terme.
Charles Aymard, pouvez vous nous expliquer en quoi consiste ton travail de recherche sur les liens entre les entreprises et l’expertise des chercheurs ?
Nous explorons plusieurs directions qui questionnent et interrogent les relations entre les organisations et les chercheurs. Mon travail interroge notamment la relation qu’entretiennent les docteurs et les entreprises en France. Nous sommes partis du constat que l’appariement entre les formations des docteurs et les besoins des entreprises n’était pas optimal, et ce malgré une porosité croissante entre les deux univers ; porosité issue de plusieurs tentatives de rapprocher les deux univers.
Le rapport de La Fabrique de l’Industrie est particulièrement parlant en matière d’innovation. Alors que de nombreuses études montrent que les docteurs peuvent apporter leur expertise aux entreprises, peu d’études analysent les attentes des entreprises vis-à-vis des docteurs. C’est l’angle que nous avons choisi d’adopter au sein de Okay Doc Institute afin d’envisager de nouveaux axes de dialogue entre les deux mondes.
Cette recherche s’inscrit également dans un programme de recherche plus large que nous menons avec Okay Doc. A termes, nous ambitionnons de comprendre et d’expliquer notre rapport à la science et à ses architectes : les chercheurs.
Quel est le potentiel des chercheurs pour les entreprises ? Comment peuvent-ils aider à résoudre des problèmes ou à stimuler l’innovation ?
Les chercheurs peuvent apporter de nombreuses compétences aux entreprises. Ces savoir-faire sont notamment listés par l’ANDES et se retrouvent dans de nombreuses recherches portant sur la transférabilité des compétences. Or, au delà de l’innovation ou de la recherche et développement… peu d’entreprise ont connaissance des informations et des techniques qu’elles peuvent se procurer grâce aux apports des chercheurs.
Ceci me permet de préciser que les grandes innovations ne sont pas le fait d’un savant brillant qui mène des expériences dans son coin mais émanent d’équipes de recherche et d’écosystèmes qui mettent en commun des moyens pour générer des synergies. Les relations chercheurs – entreprises ne font pas exception à cette règle.
Pour pouvoir tirer pleinement profit des compétences des docteurs, il faut donc réussir à nouer le dialogue entre les deux univers ; c’est l’enjeu auquel Okay Doc tente de répondre à travers la mise en relation des docteurs et des entreprises via la réalisation d’expertises scientifiques.
Pouvez vous nous donner un exemple de mission de conseil réussie que vous avez menée pour une entreprise ? Comment les chercheurs ont-ils aidé cette entreprise à atteindre ses objectifs ?
Les missions de conseil que nous effectuons portent notamment sur de la veille technologique ou scientifique, la rédaction d’état de l’art qui se situent en amont des projets de développement.
Concrètement, nos études précèdent l’action en guidant les décideurs et en leur apportant les éléments nécessaires pour leur bonne compréhension des enjeux techniques et scientifiques.
Si je dois donner un exemple concret, nous avons récemment travaillé sur un état de l’art relatif à la question du management hybride et du télétravail. Cette veille scientifique permet de développer des outils facilitant la compréhension des mutations du travail dans un contexte de numérisation croissante des relations. Les outils et les formations qui découlent de cette recherche permettent finalement d’avoir une compréhension fine du télétravail pour proposer des solutions concrètes et applicables dans le quotidien des managers.
Comment les entreprises peuvent-elles trouver des chercheurs spécialisés dans leur domaine d’activité ? Existe-t-il des réseaux ou des plateformes pour mettre en relation les chercheurs et les entreprises ?
Nous avons plusieurs activités chez Okay Doc. L’une d’entre elles c’est le sourcing de candidats pour des entreprises souvent les plus innovantes qui ont des emplois de scientifiques à pourvoir en interne. Les chercheurs sont moins souvent présents sur les réseaux professionnels il est donc souvent nécessaire pour les ressources humaines de ses entreprises de se faire accompagner pour sélectionner leurs futurs talents.
En parallèle nous mettons en relation pour des prestations ponctuelles des entreprises avec des chercheurs. Aujourd’hui il existe de nombreuses plateformes qui permettent de mettre en relation des experts et des entreprises à la recherche de connaissances et de savoir-faire spécifiques. Cette plateformisation de la relation donneur d’ordre – prestataire s’est parfois faite au détriment des aspects humains qui sont pourtant primordiaux dans la recherche. Or, pour nouer des partenariats entre le monde de la recherche et le monde de l’industrie, il faut d’abord créer une relation de confiance et expliquer les objectifs de chacune des deux parties. C’est l’une des leçons que nous avons retenu chez Okay Doc en accompagnant à la fois les entreprises et les chercheurs tout au long de leur collaboration en internalisant le rôle de chef de projet.
Au-delà de ces élements, je trouve la formulation « trouver des chercheurs » amusante car elle met en avant la nécessité d’avoir recours à des professionnels de la recherche pour trouver.
Le général De Gaulle disait « des chercheurs qui cherchent on en trouve, mais des chercheurs qui trouve on en cherche ». J’aimerais donc actualiser cette citation en disant que pour trouver, il faut d’abord chercher.
Les entreprises peuvent donc mettre toutes les chances de leur côté en ayant recours à des chercheurs pour trouver des solutions innovantes à des problématiques techniques, technologiques, humaines ou encore scientifiques.
Les conférences données par des chercheurs peuvent-elles aider les entreprises à mieux comprendre leur domaine d’activité et à trouver des idées innovantes ? Avez-vous des exemples concrets de conférences qui ont eu un impact significatif sur les entreprises qui y ont assisté ?
Tout dépend de ce que l’on appelle une conférence. S’il s’agit d’un chercheur de renom et que la conférence est une plénière qui se déroule dans le cadre d’un évènement privé, la valeur ajoutée de l’intervention se situera plutôt dans le caractère inspirant du discours et dans sa capacité à voir un sujet sous un nouvel angle. Autrement dit, le chercheur pourra faire passer des concepts scientifiques innovants qui permettront à l’audience de réfléchir sur une thématique précise. S’il s’agit d’un évènement plus restreint, alors l’intervention du chercheur pourra s’apparenter à un workshop centré sur un problème directement lié à l’entreprise. Je pense à un exemple très concret de conférence que nous avons organisé l’année dernière. Nous intervenions avec un conférencier qui présentait les transformations impactant le métier de DRH.
Dans un environnement incertain, mouvant, et numérisé, l’apport d’un conférencier permet d’envisager de nouveaux leviers pour fidéliser et managers les équipes tout en apportant des outils et des clefs de compréhension des transformations en cours.
Enfin, comment voyez vous l’avenir de la collaboration entre les chercheurs et les entreprises ? Pensez vous que cette collaboration sera de plus en plus importante à l’avenir ?
Clairement oui. Faire intervenir des chercheurs devient une nécessité pour toutes les organisations car les chercheurs sont rodés à l’exercice de pensée pour faire un pas de côté, sortir des sentiers battus, et questionner les idées reçues qui souvent mènent à des impasses. Ce ne sera pas en reprenant des recettes déjà utilisées ou en reprenant des poncifs managériaux que nous pourrons ouvrir la porte aux innovations disruptives.
Ensuite, la lutte contre les fake news, y compris dans le champ industriel, devient une nécessité.
En luttant contre ces fake news, les entreprises qui innovent feront reposer leurs nouveaux produits ou leurs nouveaux services sur des consensus scientifiques solides qui procurent in fine un avantage concurrentiel durable qui ne s’effondre pas à la moindre turbulence.
Enfin, car les entreprises françaises doivent rapidement prendre conscience du réservoir de compétences et de connaissances inexploitées et disponibles pour innover efficacement. Investir dans la recherche c’est prendre le risque de l’innovation. Les chercheurs permettent de réduire ce risque grâce à leurs compétences liées à la gestion de projets de recherche. Il ne vous vient jamais à l’esprit de recourir à votre boulanger pour réparer votre voiture, il en est de même pour la recherche et l’innovation.
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